12/04/2019
"Macron, un mauvais tournant" (Les économistes atterrés) : critique I
À l’heure des manifestations et des revendications des Gilets jaunes – toutes deux de grande ampleur –, à l’heure des interventions du Président de la République et des premières mesures adoptées par l’Assemblée nationale – toutes deux modestes et limitées au respect du « cap » fixé, il était intéressant de se précipiter sur le dernier livre des Économistes atterrés coordonnés par Henri Sterdyniak, et intitulé « Macron, un mauvais tournant » (Les liens qui libèrent, 2018) ; c’est ce que j’ai fait en pleine trêve des confiseurs.
Par son approche d’une alternative au néolibéralisme, ce livre s’inscrit dans la ligne de ceux du regretté Bernard Maris, de Naomi Klein et de Gilles Raveaud, pour ne citer que les derniers ouvrages que j’avais lus.
À l’heure où le « Grand débat » voulu par l’exécutif pour calmer le jeu et gagner du temps est clos, à l’heure où le Président de la République (française) a fini de battre la campagne (dans tous les sens du terme), à l’heure où ses chauffeurs de salle prétendent que l’Oracle va parler et que des mesures « fortes » vont être engagées, il me semble opportun de rendre compte de ce livre, bien que malheureusement aucun membre de l’exécutif ne soit abonné à ce blogue.
Allez brûlons la politesse au monarque républicain et voyons ce que disent les économistes hétérodoxes des réformes possibles et souhaitables (voir aussi mon billet du 12 mars 2019 à leur propos). Et, encore une fois, pourquoi ne les entend-on pas ?
« Nous pensons que le vieux monde dont nous peinons à sortir, est celui du libéralisme. Ce régime qui s’est imposé depuis près de quarante ans a profondément déstructuré nos sociétés, en creusant les inégalités, en engendrant bien souvent du chômage et, dans tous les cas, de la précarité. Ce qui permet au néolibéralisme de tenir en dépit de son bilan calamiteux, accentué par la crise de 2007 (…) est l’absence d’alternative cohérente à lui opposer » (page 8). On ne saurait mieux dire !
« Car l’économie libérale est injuste et n’a pas l’efficacité à laquelle elle prétend » (page 9).
« La grande crise de 2007 a marqué la faillite économique du néolibéralisme » (page 10).
« Les interventions budgétaires (…) et monétaires ne se sont pas accompagnées d’une remise en cause substantielle de la finance libéralisée, du libre-échange, de l’austérité salariale et de la contre-révolution fiscale. Ces volets qui forment le noyau dur du néolibéralisme sont restés en l’état » (page 11).
Les auteurs analysent ensuite l’élection présidentielle française de 2017 (« Macron : de l’aubaine à l’hubris ») et concluent : « Globalement, cependant, son programme est un programme de droite puisqu’il s’agit de lever les obstacles réels ou imaginaires à l’activité des entreprises, des plus riches, des plus ambitieux, supposés plus innovants, en promettant aux classes populaires qu’elles tireraient quelques bénéfices futurs de la croissance retrouvée, au prix néanmoins de nouveaux sacrifices immédiats » (page 17). « Et c’est uniquement en ce sens que Macron incarne la modernité : faire basculer la France dans un néolibéralisme à l’anglo-saxonne » (page 18).
« Emmanuel Macron représente aussi une classe de jeunes entrepreneurs, ambitieux et avides. Le nouveau discours dominant vante les jeunes entreprises innovantes, sans s’interroger sur l’intérêt économique, social ou écologique des prétendues innovations » (page 20).
Et pour bien comprendre ce que vont être les propositions de l’exécutif à l’issue (peut-être provisoire…) de la crise des Gilets jaunes : « Bercy, l’inspection des finances, la Cour des comptes ont leurs idées arrêtées sur la politique économique (…) qu’ils veulent imposer aux forces politiques et à la société :
- réduire le nombre de fonctionnaires
- faire travailler plus longtemps les enseignants
- contrôler les chômeurs
- réduire les durées d’hospitalisation
- contrôler les collectivités locales qui gaspilleraient l’argent public
- reculer l’âge de la retraite
- faire baisser les pensions, les allocations logement, les allocations familiales, les allocations chômage, les remboursements maladie
- ne plus subventionner les associations
- etc.
Avec Emmanuel Macron et les jeunes hauts-fonctionnaires qui l’entourent, ils ont pris directement le pouvoir » (page 21).
« Son programme économique n’est pas un programme progressiste (…) Ce n’est pas non plus un programme écologiste (…) Ce n’est pas non plus un programme véritablement libéral (…). Ce sont uniquement les classes dirigeantes, les plus riches, le patronat, qui se voient offrir un surplus de pouvoir (payer moins d’impôts, pouvoir licencier à sa guise) au détriment des classes populaires, dont la liberté consiste précisément à avoir un emploi garanti, une protection sociale généreuse, la voix au chapitre dans les décisions publiques. C’est un programme néolibéral, progressiste uniquement pour ceux qui considèrent que le progrès consiste à imposer à la France d’aller vers le modèle anglo-saxon des années 1980 » (page 23).
Toutes les protestations et revendications des Gilets jaunes n’ont-elles pas là leur origine ? Et n’étaient-elles pas prévisibles ?
Au total, les Économistes atterrés nous livrent, dans une introduction brillante, une analyse implacable de la cause de nos maux et des conséquences dommageables des nos choix électoraux par défaut.
07:00 Publié dans Économie et société, Essais, Les économistes atterrés, Littérature, Livre | Lien permanent | Commentaires (0)
11/04/2019
Le roi est mort, vive la reine (addendum)
Et, de ce point de vue (voir mon billet du jour sur la féminisation de la langue française), l’excellent Renaud Séchan est à côté de la plaque quand il écrit dans sa chanson féministe, Miss Maggie :
Palestiniens et Arméniens
Témoignent du fond de leurs tombeaux
Qu'un génocide, c'est masculin
Comme un SS, un toréro
Car il semble confondre le genre des mots et le sexe des individus.
Mais la licence poétique…
17:07 Publié dans Actualité et langue française, Règles du français et de l'écriture, Société | Lien permanent | Commentaires (0)
Le roi est mort, vive la reine
Dans le Marianne du 11 janvier 2019, le blogueur Samuel Piquet nous livre une amusante chronique sur la dernière lubie des féministes qui souhaiteraient féminiser, à défaut du mot « Épiphanie » (ce qui est impossible par construction), la tradition culinaire elle-même qui y est attachée : il paraît que certaines étiquettes affichaient « galette des roiseines »…
Il cite le linguiste Alain Bentolila : « Le genre en français n’a rien à voir avec le sexe (…) Voir dans une convention morphologique fondée sur le pur arbitraire linguistique, un complot machiste manifeste une totale ignorance des faits linguistiques ».
Son article est hilarant – si la cause moquée n’était pas consternante – et se conclut par cette paraphrase de Pascal : « Un.e roi.eine sans divertissement est une ho.femme plein.e de misère ».
Mais à quoi servent les arguments savants, logiques, dépassionnés ? À rien ; il vaudrait sans doute mieux passer toutes ces demandes aberrantes sous silence, afin de ne leur faire aucune publicité.
Moins drôle mais tout aussi consternant, la nouvelle lubie de certaines féministes : lutter contre le masculinisme supposé de la langue française. Un autre linguiste, Jean Szlamowicz, signalait dans Figaro Vox, le 3 avril 2019, un tweet de l’association « Osez le féminisme » dans lequel elle souhaitait « rendre femmage » (au lieu de « hommage ») à la cinéaste Agnès Varda.
Il fait remarquer que « dans l’usage, le mot hommage ne fait pas référence à l’homme ». on a donc l’impression que l’exercice consiste, comme dans la technique de récriture en informatique, à remplacer systématiquement « hom » par « fem »… Une langue vivante évolue certes mais pas suite aux caprices délirants de minorités.
Jean Szlamowicz estime que « c’est un coup de force symbolique qui n’a d’autre effet que de rendre la cause détestable par sa futilité » et que « cela constitue une intimidation sexiste qui tente de cliver la société pour créer deux camps opposés ».
Dans la même veine, on a déjà eu le cas du mot « patrimoine ». Et on s’épuise à contrer chaque initiative par des raisonnements étymologiques : « Que patrie et Patricia soient dérivés de pater n’en fait pourtant pas des mots masculins ou masculinistes ».
« Homme » vient de humus, c’est pour cela que le mot possède une nuance universelle (les droits de l’homme…) et qu’il se distingue de l’idée de virilité.
« Le vrai féminisme ne consiste pas à inventer des interprétations symboliques mais à s’attaquer aux injustices. Pourquoi ne pas s’en prendre à la misogynie réelle que représente le voile islamique, par exemple ? » (voir le cas de l’avocate iranienne Nasrine Sotoudeh condamnée pour avoir défendu des femmes qui avaient enlevé leur voile, ce qui est considéré comme une incitation à la débauche), « mais aussi les violences, l’excision, les mariages forcés ».
Sa conclusion est ironique et désabusée : « On peut imaginer qu’elles (les femmes saoudiennes) se consolent de leur manque de liberté en constatant que des militants français luttent courageusement contre les suffixes masculins en défiant l’autorité de leur correcteur orthographique » !
« Quand on se soucie aussi peu des conditions sociales réelles des femmes, on n’œuvre pas à leurs droits mais on relativise radicalement l’importance des situations concrètes ».
Encore une fois, j’ai hésité à colporter ce genre de divagation (féministe), dont peu de gens ont eu connaissance heureusement, car c’est leur faire de la publicité indue. En revanche, j’ai plaisir à mentionner le livre de ce linguiste, « Le sexe et la langue », présenté comme « une petite grammaire du genre en français, où l’on étudie écriture inclusive, féminisation et autres stratégies militantes de la bien-pensance ».
07:00 Publié dans Actualité et langue française, Règles du français et de l'écriture, Société | Lien permanent | Commentaires (0)