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16/06/2016

Irritations linguistiques XXVIII : langue de Président, langue de philosophe, langue de patron

On avait souffert de la diction particulière de M. Chirac, de ses césures intempestives et de ses « euh… » qui ne l’étaient pas moins.

François Hollande discours.jpgOn est à peine mieux loti avec le président actuel, M. Hollande, qui a sa syntaxe à lui. Jugez-en : « La France, elle a fixé ses conditions, la France, elle a dit s’il n’y a pas de réciprocité, s’il n’y a pas de transparence, si pour les agriculteurs il y a un danger, si on n’a pas accès aux marchés publics et si en revanche les États-Unis peuvent avoir accès à tout ce que l’on fait ici, je ne l’accepterai pas » (cité par Bruno Rieth dans le Marianne du 29 avril 2016). N’a-t-il pas appris à faire des phrases simples – sujet, verbe, complément – ? 

 

Dans le même numéro, c’est Régis Debray qui répond à une question sur la confusion entre l’idée de république et celle de démocratie : « En 1989, nous étions déjà gallo-ricains. Mais il y avait encore du jeu. Vingt-sept ans après, nous sommes devenus des Ricains pur sucre, et de bon cœur. Nous avons donc pris les étiquettes d’outre-Atlantique, d’où le brouillage des cartes. L’ancienne gauche républicaine se rêve en parti démocrate (…). Et l’ancienne droite démocrate s’appelle les Républicains. À part le roquefort et le refus très provisoire des spots payants de campagne électorale, je ne vois plus un trait de notre vie publique qui ne soit pas importé de la métropole.

Cela dit, au titre près, les tempéraments de base restent les mêmes, hérités de l’Histoire et en particulier de la Révolution (…). On me dit par exemple que certains officiers dans notre armée totalement otanisée s’expriment encore en français alors que les ordres reçus sont en anglais, tout comme les lettres de M. Moscovici, commissaire européen, à M. Sapin, ministre de son état ». 

Écoutons maintenant M. Drahi, qui va coiffer les journaux qu’il a achetés, de son opérateur téléphonique qui va ainsi devenir : « un éditeur de contenus cross media s’appuyant sur un très diversifié portefeuille de marques premium ». 

Fanzone.jpgEn ce moment, il y a aussi les fan zones qui nous écorchent les oreilles. J’en tenais pour responsables le snobisme et la paresse de nos concitoyens, surtout de leurs élites… Eh bien je me trompais ! C’est une invention de l’UEFA, qui l’impose aux pays d’accueil de l’Euro de football. À vrai dire, ce n’est pas la seule incongruité qui apparaît quand on se documente sur l’organisation de ces compétitions : l’UEFA laisse les pays payer la mise à ses normes de leurs stades mais empoche les recettes ; elle prend carrément la main sur une partie du service d’ordre et sur les fameuses zones où elle a toute latitude pour laisser les marques « partenaires » matraquer les spectateurs avec leurs publicités ! Vous avez dit sport ? Vous avez dit spectacle ? Pauvre société de consommation ! 

J’ai eu un doute l’autre jour en entendant un journaliste parler des « littoraux français » (France Inter, la matinale du 9 juin 2016)… Mais oui, c’est bien le pluriel de « littoral », qui ne se comporte pas comme « festival » et « carnaval » !

J’ai entendu aussi « boycottage », alors que les gens utilisent en général « boycott ». Pourquoi pas ? Autant franciser les emprunts en leur donnant un mode de construction et une consonance familiers. 

Amélie Nothomb.jpgIntrigué et agacé par le succès commercial des Musso et Lévy (Marc, pas B.-H.), j’avais lu et commenté dans ce blogue leur dernier livre (l’histoire de la baudruche…). Je n’ai pas encore fait de même avec Amélie Nothomb mais l’entrefilet d’Alexandre Gefen à son sujet dans le Marianne du 6 mai 2016 ne m’encourage guère à me lancer : « Un nom belge, un chapeau de sorcière sur le melon, un sourire inusable, un discours parfaitement calibré pour une sortie de Seconde (…). Amélie, le culte du moi et des plateaux-télé (…). Capable de vous fournir le même roman pas trop long, pas trop cher, chaque année ; à l’heure de cadeaux de dernière minute pour votre nièce ado, vous penserez Nothomb ».

 

Enfin, dans le même numéro, le sociologue Christopher Lasch parle de ego branding pour désigner l’incessante auto-promotion à laquelle se livrent les responsables publics sur les réseaux sociaux.

25/04/2016

L'Académie française m'écrit (sur le transfèrement)

Vous savez tous, depuis mes billets « Dis pas ci, dis pas ça », que l’on peut interroger le Service du Dictionnaire de l’Académie française sur tel ou tel point de la langue (vocabulaire, orthographe, grammaire).

C’est ce que j’ai fait à propos du mot « transfèrement » qu’utilisent les journalistes quand ils parlent des terroristes arrêtés et dont on attend l’extradition. Quand il s’agit de football, ils parlent de « transfert », dans le cadre du fameux Mercato. Quel est donc l’usage correct ?

Voici la réponse que j’ai obtenue :

 

De : dictionnaire <dictionnaire@academie-francaise.fr>

Objet :         D.1886 transfèrement

Date :         4 avril 2016 15:36:49 HAEC

À : l’animateur du blogue « Le bien écrire »

        Monsieur,

Le mot transfèrement est attesté avec le sens de "fait de transférer une personne d'un lieu de détention à un autre" depuis 1704. Il figure dans la 7e et la 8e édition du Dictionnaire de l'Académie française. Les deux termes sont synonymes, mais transfert peut s'employer dans de nombreux contextes alors que transfèrement ne s'emploie que pour une personne détenue.

18/02/2016

Accent circonflexe, accent régional, tout fout le camp

Voici ce que révèlait Marie-Estelle Pech le 14 février 2016, dans le Figaro Premium :

De Toulouse à Strasbourg, les jeunes générations ont de plus en plus tendance à s'exprimer dans un français « standardisé » imposé par Paris et ses élites.

Si le nombre de Français pratiquant les langues régionales ne cesse de diminuer, les accents régionaux, restes de ces mêmes langues, tendent aussi à s'estomper. « Nous sommes dans une phase d'homogénéisation des prononciations, surtout chez les plus jeunes même si on peut assister à des sursauts d'affirmation identitaire, à Marseille, par exemple », explique Philippe Boula de Mareüil, linguiste et directeur de recherche au CNRS.

Dans la plupart des façons de parler le français, le « r » roulé s'est ainsi presque perdu. « On l'entend encore un peu en Bresse bourguignonne ou dans l'Ariège, uniquement chez les locuteurs les plus âgés », poursuit le linguiste.

Donc l’accent régional tend à disparaître…

La récente lubie du Ministère de l’Éducation nationale, qui veut peut-être détourner l’attention de son invraisemblable réforme du collège en ressuscitant la fameuse « rectification de l’orthographe » de Michel Rocard, vingt-six ans après, constituerait, elle, un mauvais coup porté à l’accent circonflexe.

Michel Rocard.jpgRevenons rapidement sur cette simplification, à laquelle j’avais consacré de nombreux billets dans ce blogue en septembre 2014. Elle a été portée, à la demande du Premier Ministre de l’époque, par une Commission ad’hoc, dont faisaient partie entre autres Maurice Druon secrétaire perpétuel (mais disparu depuis) de l’Académie et Bernard Pivot (aujourd’hui président de l’Académie Goncourt). Elle n’est donc pas l’œuvre de l’Académie française, comme certains voudraient le faire croire, maintenant que la polémique enfle. Au contraire, l’Académie, stupéfaite des concessions faites par son Secrétaire perpétuel, l’a acceptée du bout des lèvres, à la condition que son adoption en soit « facultative » ; autant dire qu’en ce pays où il est si difficile de faire respecter le Code de la Route (obligatoire), c’était saboter la réforme. Et c’est bien ce qui arriva, ce fut un flop.

Certains ricanaient que l’on veuille leur faire écrire « ognon » et « nénufar » et tous ignorèrent superbement les recommandations (remarque : le correcteur de Word accepte ces deux graphies ; il a donc vingt-six ans d’avance sur Mme Belkacem…).

Personnellement, je partageais déjà l’opinion récente de Bernard Pivot (qui cherche à se débarrasser de ce sparadrap), selon laquelle de nombreuses simplifications étaient acceptables, voire souhaitables, mais qu’il ne fallait pas toucher à l’accent circonflexe ni à tout ce qui heurtait notre attachement à la graphie de la plupart des mots.

Dans un sens (simplifier), l’argument était que de nombreuses « complications » de notre orthographe actuelle n’étaient que le fruit (artificiel) de la manie du XIXème siècle de remplacer la graphie phonétique par une graphie étymologique (liée à l’origine grecque des mots). Dans l’autre sens (conserver), l’argument le plus pragmatique était que pour simplifier, on introduisait de nombreuses exceptions et que donc, in fine, on re-compliquait !

Hélène Carère d'Encausse.jpgAu nom de l’Académie, Hélène Carrère d’Encausse, nouveau secrétaire perpétuel, tient un autre raisonnement ; sans entrer dans les détails, elle rejette d’un bloc cette initiative au motif qu’en vingt-six ans, la situation de l’enseignement (en l’occurrence l’enseignement du français) s’est notablement dégradée et qu’aujourd’hui, l’urgence n’est plus à simplifier – ce serait de la cosmétique comme disent les Anglo-Saxons – mais à revenir aux fondamentaux : enseigner aux enfants à lire, à parler et à écrire le français tel qu’il est.

Quant à moi, je reste sur ma position de septembre 2014 : la « rectification » (puisque c’était son nom officiel) était fondée, modérée, argumentée, limitée, et améliorait la cohérence globale de l’orthographe en supprimant des aberrations et en utilisant habilement des régularités existantes. Donc, au prix d’un renoncement à l’accent circonflexe dans « il apparaît », on pouvait l’accepter et jouer le jeu.

Au bout du compte, qu’est-ce donc que cette tentative qui vient du fond des âges ?

On peut imaginer une tentative de « coup politique » pour distraire l’attention des sujets de fond dans lesquels le gouvernement s’est empêtré, en agitant ce chiffon rouge qu’est toujours en France l’atteinte à la langue…

Mais c’est peut-être tout simplement un coup de pouce aux éditeurs en manque de chiffre d’affaires : pouvoir rééditer tous les manuels aux frais de la Princesse (puisque le Ministère paye les livres du Primaire), c’est toujours ça de pris (ou de prix ?).

L’ennui, c’est que l’État – c’est-à-dire nous – est impécunieux.