Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

22/05/2017

La langue de la campagne I

Non, non, je ne vais pas vous parler de la langue de l’arrière-pays (qui n’est pas, soit dit en passant, le pays arriéré…), de la langue de la France périphérique de Christophe Guilluy ni de mon patois vosgien ni de ceux que j’ai entendus en Picardie, dans le Cantal ou dans le Périgord !

Cela fait un mois à peine que cette campagne électorale française interminable… a fini par se terminer… C’est du vocabulaire de cette campagne-là et de cette élection-là que je veux vous entretenir, pour m’en plaindre, bien sûr et ironiser. 

Avant cela, je voudrais mettre à part cette curieuse mais très sympathique expression de M. Mélenchon : « les gens ». Non pas quand il parlerait « des gens », du peuple, de personnes anonymes… Mais quand il nous apostrophe : « Allez, les gens, ne vous laissez pas faire ! ». 

Bon maintenant, entrons dans le vif du sujet.

Tout d’abord, cette manie américaine de nommer les personnes par leur prénom et leur nom, même quand on s’adresse à eux, au lieu de dire M. X, Mme Y. Au début d’un entretien ou d’un débat, les journalistes interpellent donc les candidats par un « Bonjour Jean-Luc Mélenchon » ou un « Bonjour François Fillon ». Les candidats en question, ayant plus à y perdre qu’à y gagner, se sont tous bien garder de répondre : « Dites donc Mme S., nous n’avons pas été à l’école ensemble »… En vérité, cette mode remonte à loin. Je la situe à la fin des années 70 ; jeune ingénieur, j’avais été étonné d’entendre les commerciaux des sociétés informatiques américaines parler de cette façon de leurs collègues. C’est effectivement commode, ni révérencieux comme « Monsieur Kennedy » ni familier comme « John » ou « Jimmy » ni cavalier comme « Kennedy ».

Et tout le reste a suivi : par exemple, cette habitude de dire « Le Président Hollande » au lieu de « M. Hollande, le Président de la République » ou « Le Président » tout court.

Plus récemment, on a eu droit à « la première dame » ou plutôt, à la mode doublement américaine « La Première Dame », poste, statut, rôle qui n’existent pas dans notre république. Ah ! on va regretter M. Hollande, le célibataire seul dans les visites officielles et à l’Élysée !

Dernier avatar : « le Président élu », au lieu de « le futur Président ». L’expression peut se comprendre aux États-Unis où il est élu en novembre et ne prend ses fonctions qu’en février suivant.

On a droit aussi, assez souvent, à « le jour d’après » au lieu de « le lendemain ». Alors là…

24/04/2017

Petites nouvelles du Front (III)

Entre temps, j’avais regardé « La grande librairie » de France 5, le 13 avril 2017, dans laquelle, comme souvent, François Busnel accumulait flagornerie (pensez donc, c’est pas tous les soirs qu’on cause avec un professeur au Collège de France…) et sensationnalisme (pensez donc, c’est pas tous les soirs qu’on rencontre un écrivain francophone du Maghreb passionné par la langue française et qui n’a jamais voulu écrire en arabe, sa langue maternelle… D’où l’irrépressible envie de M. Busnel de lui demander trois fois si c’est bien normal tout ça, comme s’il fallait toujours renvoyer les gens à leurs origines et voir la trahison partout).

Le plateau, quant à lui, était alléchant : Claude Hagège, notre linguiste-monument national, Tahar Ben Jelloun, que l’on ne présente plus et dont Quarto édite une somme de onze de ses romans, Jean Pruvost, professeur à Cergy, qui présentait son livre « Nos ancêtres les Arabes » sur les (nombreux) mots français d’origine arabe et enfin Muriel Gilbert, correctrice au journal « Le Monde », qui a tiré de son expérience un petit livre intitulé « Au bonheur des fautes », dans lequel elle raconte ses irritations et parfois sa sympathie pour les fautes de ses collègues journalistes.

Je continue à ne pas être d’accord avec Claude Hagège quand il dit que l’anglais n’envahit que superficiellement la langue française car elle ne touche pas à ses structures (syntaxe). C’est être bien optimiste ! Par ailleurs, et c’est compréhensible, le professeur se place du point de vue du linguiste qui observe l’évolution des langues et exclut donc de son analyse des considérations politico-sociologiques comme par exemple cette question que j’ai souvent posée dans ce blogue : qu’est-ce qui pousse tant de Français (des jeunes mais pas uniquement) à s’exprimer à l’aide d’autant de mots venant d’une langue étrangère (et étrangère, elle l’est assurément pour eux !) ? et n’est-ce pas le symptôme d’un malaise et d’un renoncement profonds, qui s’observent dans d’autres domaines ?

Autre thème d’échange : une certaine admiration de nos deux universitaires pour la langue du rap, que je ne partage pas non plus, au motif que ses pratiquants enrichiraient le français par leur créativité.

Beaucoup d’érudition dans ces échanges, de cabotinage aussi et un peu d’humour, ce qui produit une bonne heure de télévision, agréable à écouter.

06/03/2017

Préoccupations linguistiques : langues régionales

La plupart des problèmes ont plusieurs facettes qui exigent que l’on prenne son temps pour réfléchir et pour adopter une position. C’est un peu comme nos valeurs républicaines – les fameuses Liberté, Égalité, Fraternité, auxquelles certains ajoutent Laïcité – qui, utilisées à leurs limites ou retournées contre leurs défenseurs, ont des implications imprévues et parfois paradoxales. Mais revenons à nos problèmes et à leur « complexité » chère à Edgar Morin, en l’occurrence à la question des langues régionales.

Un examen rapide peut conduire à conclure qu’il n’y a pas de quoi fouetter un chat (ce qui, aujourd’hui, est par ailleurs devenu impossible…), soit que l’on considère que c’est la liberté de chacun de causer comme il veut, soit que l’on trouve sympathique et même formateur d’appréhender une autre culture et d’autres modes de pensée en pratiquant une langue. C’est ainsi que, bien qu’il ne s’agisse pas de langues régionales, des spécialistes considèrent qu’une philosophie africaine (ou même plusieurs) émergerait de son « carcan » occidental si elle était pratiquée au moyen d’une langue africaine (et non plus en français ou en anglais). Voir à ce sujet le séminaire organisé par Alain Mabanckou au Collège de France en mai 2016.

Revenons aux langues dites régionales, c’est-à-dire anciennes et minoritaires dans un territoire à langue nationale. Il est facile, reposant, voire démagogique ou lâche, de ne voir aucune difficulté dans la coexistence entre une langue nationale et un ou plusieurs autres langues, sur un même territoire.

Mais regardons-y de plus près car tout est dans la définition du mot « coexistence ».

Deux interventions du Courrier des lecteurs de Marianne nous y incitaient le 14 février 2014.

D’abord Mark Kerrain, enseignant et traducteur de breton se plaignait d’un article d’Éric Conan (dans le n°875) qui aurait laissé entendre que le breton « n’existerait pas » et aurait fait des « amalgames » entre « bretonitude » (le néologisme est de moi) et « haine de la France ». Notre enseignant sonnait ensuite la charge contre la linguiste Françoise Morvan et contre Jean-Luc Mélenchon qui, on s’en souvient, avait lutté vigoureusement contre la ratification de la Charte européenne des langues régionales (dont j’avais parlé dans ce blogue). Mark Kerrain concluait ainsi : « C’est donc quand nous voyons se dessiner enfin, pour le breton, la protection légale à laquelle toutes les langues européennes ont droit, que ses adversaires se déchaînent. Liberté, égalité et fraternité culturelle n’existent pas : contre le breton, on sort les revolvers et la grosse artillerie ». Quelle violence verbale ! quel excès ! Mais pas plus que pour d’autres causes « minoritaires » qui, au nom de la liberté ou au nom de l’égalité, réclament, exigent, ceci ou cela… C’est la parabole de la Chartreuse de Parme : le prisonnier aura toujours plus d’obstination à s’évader que le gardien à l’en empêcher. Donc tous les prisonniers s’évadent.

Juste en dessous, la position de Serge Cron, tout aussi rennais que l’autre, est beaucoup plus intéressante, plus argumentée et plus objective.

« L’enseignement des langues régionales est une très bonne chose pour ne pas oublier nos origines (bien sûr) et aussi parce que le bilinguisme, dès l’enfance, est une chance (à voir…). Il y a quatre-vingts ans, Léon Blum publiait une étude démontrant que le Finistère, le Bas-Rhin et le Haut-Rhin étaient les départements français où l’on enregistrait les meilleurs résultats scolaires.

Néanmoins, ratifier la Charte des langues régionales pourrait impliquer que les documents administratifs soient imprimés dans les langues régionales ou que tout citoyen puisse demander un interprète à la préfecture, au tribunal…

D’autre part, pourquoi ne pas étendre cette reconnaissance au picard, au gallo, au lorrain (oh oui, oh oui !), au créole, au mahorais au kanak…? Des migrants présents depuis plusieurs générations pourraient eux aussi demander que leur langue soit reconnue dans les documents publics.

Ratifier cette charte serait sans fin. Et à quel coût ? ». 

Voilà donc la face cachée du problème : il faut aller au-delà du réflexe d’empathie bien naturelle envers ceux qui entretiennent la flamme de nos origines et envisager les conséquences. À l’heure où l’impuissance de l’Union européenne dans tous les domaines est liée en partie à sa vingtaine de langues (on compare sans cesse les 300 millions d’Américains parlant peu ou prou l’américain aux 400 millions d’Européens unis n’ayant pratiquement aucune langue commune…) et où cette même Europe, après avoir « constitutionnellement » distingué le français, l’allemand et l’anglais en tant que « langues officielles », a « pratiquement » choisi l’anglais comme langue unique de travail, est-il vraiment opportun de faire éclater l’unité linguistique de la France, acquise plutôt douloureusement du milieu du XIXème siècle au milieu du XXème ? Qu’aura-t-on gagné quand des formulaires seront écrits, non plus en deux langues comme au Canada ou au Maroc, mais en quatre ou cinq ?

Qu’a-t-on gagné avec ces panneaux routiers mentionnant en deux langues le nom des villages dans certaines de nos régions ? D’autant que, dans le Sud, les graphies sont souvent très proches…

Que gagnera-t-on en cohésion sociale à ajouter le breton et le corse aux langues inconnues que l’on entend pratiquer dans nos rues et nos trains de banlieue ?

Et que penser du prétendu intérêt à faire apprendre une langue régionale aux écoliers, à l’heure où les enfants ont un mal fou à apprendre les rudiments du français dans l’École de la République et où les copies des étudiants de licence et de master (diplôme du dispositif LMD qui aurait dû être rebaptisé « maîtrise » en France) sont truffées de fautes d’orthographe et de phrases à la syntaxe aberrante ? Sans compter que l’apprentissage de l’anglais a déjà été acté comme deuxième langue vivante…

Non, apprenons le breton ou le corse à titre de loisir culturel, comme nous apprenons la musique ou l’histoire de l’art ou le tricot (on pourrait mettre à part l’alsacien, qui permet de communiquer facilement avec nos voisins allemands et qui tient donc lieu de deuxième langue vivante) !

Et apprenons le français ! C’est un défi suffisamment difficile à relever mais dont les récompenses sont infinies.