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07/11/2016

Tics de langage

Le site internet du Figaro contient un espace « Langue française » fort intéressant. Le 17 octobre 2016, la rubrique « actu des mots » mettait l’accent sur les « Dix tics de langage à proscrire pour le bien de l’humanité ». Au-delà de l’outrance, peut-être humoristique, du titre, il y a bien là de quoi être irrité, au bureau, sur le marché ou dans les transports. Il ne s’agit pas de dénoncer une quelconque ignorance du français ; il s’agit seulement de moquer la paresse intellectuelle, l’instinct d’imitation bébête, la beaufitude, le laisser-aller, mais aussi la naïve envie de faire bloc, de s’assimiler, de montrer sa ressemblance ou sa sympathie, de certains de nos concitoyens, qui se traduit par l’emploi répété inlassablement et automatiquement, d’expressions toutes faites, condensées, censément drôles ou non conformistes, et la plupart du temps incorrectes. C’est une sorte de verlan du bobo, du Français moyen et des Dupont Lajoie… 

Dans la liste du Figaro, j’ai noté :

  • « j’dis ça, j’dis rien », qui ne veut rien dire, justement !
  • « j’ai envie de dire » (et ses variantes : « j’veux dire » ou bien « j’dirais » et ses ajouts tout aussi inutiles : « en même temps », « tu vois » (cf. les Inconnus)) : on a envie de hurler : « eh bien, dites-le ! »
  • « c’est juste pas possible » : ça, c’est vraiment affreux ! « juste » est un adjectif qui n’a aucune raison d’être utilisé à la place de « uniquement » ou « simplement »… C’est tout simplement (!) une servile imitation de l’américain just, qui lui est un adverbe et signifie « précisément », « exactement ». Tous ces gens, quand ils ont appris au collège le peu d’anglais qu’ils connaissent, ont pourtant subi les foudres de leurs professeurs au sujet des faux-amis… Pendant combien d’années faudra-t-il dire et écrire qu’entre deux langues, même en partie cousines comme le français et l’anglais, la transposition ne consiste pas à remplacer un mot par un autre, fût-il graphiquement ressemblant ?
  • « entre guillemets » ou pire « entre quotes », avec la mimique et deux doigts de chaque main qui s’agitent de chaque côté de la tête, comme pour imiter le lapin Wonder… Idiot de vouloir mettre des guillemets sur un message oral ! Écrivez-le plutôt, si vous adorez les guillemets à ce point…
  • « tu vois », « j’avoue », « c’est trop », « euh… », « hmmm », etc. Sus à ces fioritures sans queue ni tête, qui au mieux indiquent que les idées du locuteur « ne suivent pas », au pire qu’il nous enfume ou qu’il n’a rien à dire d’intéressant. 

Et le rédacteur du Figaro de conclure : « Préférons la simplicité et épurons notre syntaxe. Nul besoin de couper ses phrases de ces tics inutiles pour maintenir le contact avec votre interlocuteur ; si votre sujet est intéressant, il se suffira à lui-même ». Bien dit ! 

Tique.jpg

Les lecteurs de ce blogue savent bien que des pratiques risibles comme celles-là, j’en ai dénoncé déjà des dizaines… C’est satisfaisant de voir qu’elles préoccupent également un grand quotidien national. 

Dans un numéro ancien (août 2014) du journal des activités sociales de l’énergie, j’ai trouvé un autre tic, plutôt courant à l’oral en ce moment : « 5000 bénévoles, mobilisés auprès de leurs collègues inactifs, mais pas que » (au lieu de « pas uniquement »). Qu’est-ce qui peut bien conduire des gens, et même des journalistes, à écrire et parler comme cela ?

03/11/2016

"Le français en cage" (Jacques Laurent) : critique VI

Décidément ce livre de Jacques Laurent m’aura donné du fil à retordre, non pas qu’il soit difficile à lire ou abscons, bien au contraire ; mais il est concis et synthétique au point que j’ai été tenté d’en faire un compte rendu exhaustif, quasiment une paraphrase ; de plus, le point de vue de l’auteur reste assez « fuyant », en ce sens qu’il approuve ou désapprouve tel ou tel mot, telle ou telle transformation du sens, tel ou tel emploi, telle ou telle mode, au gré de ses préférences à lui, qui ne sont pas toujours complètement argumentées. 

Ce qui frappe, c’est la grande connaissance de la langue de l’Académicien, qui en appelle tantôt à Littré, tantôt à Voltaire, et connaît l’étymologie et le sens originel des mots. Le chapitre VIII est ainsi pour lui l’occasion de disserter sur « abîmer », « gêner », « étonner », « énerver », « denture » et « dentition », « inclinaison et inclination », « impressionné », « ouvrir », « susceptible », « emprise », « empire » et « empreinte », « mappemonde » et enfin « compendieusement », pour dire ce que lui évoque tel mot et proposer de le garder ou de l’abandonner. Beaucoup de subjectivité dans tout cela… 

Le chapitre IX est consacré au style, en particulier à l’obligation qui nous était faite, au collège, d’éviter les répétitions (on a constaté plus tard, en lisant des manuels américains, que ceux-ci usaient et abusaient des répétitions, rendant leur lecture fastidieuse et lassante). Or, dit Laurent, nos ancêtres, tels Vaugelas et Pascal, ne condamnaient pas la répétition, l’encourageant même quand le mot en valait la peine. Plus tard, une sorte de perfection formelle fut recherchée, à travers des « règles de style » auxquelles nous devions nous soumettre. À cette occasion, André Gide en prend pour son grade, accusé de « sacrifier la précision de la pensée à un mouvement de coquetterie ». Ça tombe bien car j’ai lu cet été un livre de Gide dont je vous parlerai prochainement. Et a contrario, Molière demandait de « sacrifier toute régularité à la justesse de l’expression ».

Jacques Laurent reproduit aussi une page de « Le Rouge et le Noir », dans laquelle Stendhal multiplie comme à plaisir les répétitions, qui pourtant ne l’avaient pas choqué lors de ses centaines de lecture de cette page, fasciné qu’il était par le texte et par l’histoire. En revanche, une page d’une nouvelle de Mérimée l’avait arrêté à cause d’une incohérence dans la narration, bien plus gênante qu’une répétition. Et le verdict tombe : « Mérimée, contrairement à Stendhal, prêtait une haute valeur à la forme ; il écrivait froidement minutieusement, et son imagination était vide ».

Êtes-vous Mérimée ou Stendhal ? Flaubert (la concision) ou Proust (la surcharge) ? Rousseau (la correction) ou Stendhal (la négligence) ?

Quant à moi, considérant Proust comme l’écrivain par excellence, j’avoue être séduit également par Albert Camus et Jean Giono, maîtres ès sobriété littéraire. 

Et vient enfin la conclusion, sous la forme du chapitre X. Il commence par un extrait du « Dictionnaire des racines des langues européennes » de M. Grandsaignes d’Hauterive. C’est l’aventure linguistique de la racine –ar « qui contient les notions de jointure et d’arrangement », que l’on trouve en français dans armoire, orteil, article, alarme, arithmétique, aristocrate, harmonie, artiste, inerte, rituel, artisan, etc. Puis il passe à la racine hug, à ye, à kap et à ghel et détaille leurs mille métamorphoses, les associations d’idée qui ont produit d’innombrables nouveaux mots en grec, en latin, en français, mais aussi en espagnol, italien, anglais et allemand.

Sleepings.jpgJe laisse au futur lecteur de cet opuscule le plaisir de découvrir l’anecdote « ferroviaire » qui le clôt. En fait Jacques Laurent ne conclut pas ; il demande « qu’on laisse aux mots la licence de rêver, comme nous, durant leurs longues nuits ». Après tant de tentatives de démonstrations cartésiennes, c’est dire que le fin mot (!) revient à la poésie et à la subjectivité. Et c’est bien pour cela que le livre brille seulement par son érudition et n’est d’aucune manière un manuel de « bien écrire »… 

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31/10/2016

"Le français en cage" (Jacques Laurent) : critique V

J’imagine d’ici la tête de mes fidèles lecteurs… lundi matin, à l’heure habituelle, rien dans la messagerie… du moins rien en provenance du blogue « Le bien écrire » ! Consternassionne (Conceptionne) ! Le manque s’installe, c’est dur… Que s’est-il donc passé ?

Rien de bien grave… seulement que votre blogueur avait laissé le billet du 31 octobre 2016 dans son ordinateur, sans le publier dans hautETfort !

Toute honte bue, voici donc le billet qui s’est tant fait attendre. 

Nous en sommes maintenant rendus au chapitre VII du petit livre de Jacques Laurent.

Célébrant « le pouvoir épigénétique du langage », notre Académicien s’en prend aux puristes qui, selon lui, condamnent tout passage du littéral au figuré, surtout quand il est récent, qu’il vient de se produire, qu’il n’est pas consacré par un usage ancestral.

Et pourtant, on connaît : couleur criarde, voix blanche, propos tranchant, déclaration enflammée, etc. 

Créneau en voiture.jpgExemple plus récent de passage du littéral au figuré que cite Jacques Laurent : le mot « créneau », qui appartient au langage de l’architecture et qui est maintenant utilisé pour « désigner un intervalle délimité dans un emploi du temps » (et il aurait pu signaler qu’il désigne aussi l’espace libre entre deux voitures garées, d’où l’expression « faire un créneau »). Et de prétendre que des « fanatiques » condamnent ceux qui utilisent le mot dans les deux acceptions… (NDLR : Jamais entendu parler de cette condamnation ! Et soit dit en passant, heureuse époque où les fanatiques se contentaient d’être des puristes de la langue !). 

Jacques Laurent justifie de façon convaincante la durabilité méritée de telles innovations par le fait qu’elles sont « d’une parfaite vertu symbolique » et qu’elles « répondent à un besoin ». Quand ce n’est pas le cas, alors on peut prédire que la nouvelle acception sera de courte durée, le temps d’une mode en fait ; ce qui lui permet de condamner, à son tour, « les mots saisonniers inventés par des collégiens, des snobs ou des spécialistes du domaine médiatique ». Il en donne comme exemple « c’est un must » et « ce n’est pas ma tasse de thé », qui devaient selon lui « s’en aller tout comme ils sont venus ». Raté, mauvaise pioche, trente ans après, coquin de sort, ils marchaient encore. Je ne vois pas très bien, par ailleurs, en quoi « c’est un must » ressortit à la catégorie des passages du littéral au figuré…

Peut-être simplement est-il là pour « faire un carton » sur « câblé (qui) supplante branché qui avait effacé in »… Et le verdict tombe : « La vie du langage n’est pas concernée par ces mots qui ne sauraient trouver place que dans une histoire anecdotique de la mode ». À ce stade, le lecteur se dit que ce qui plaît à Jacques Laurent est digne de figurer dans le vocabulaire français et que dans le cas contraire, c’est bon pour les oubliettes de l’histoire. Ainsi vole-t-il au secours de « ponctuel », qui désigne « une action réduite à un objectif isolé » et qui a été condamné à tort. Ah bon ? Et c’est pour mieux dézinguer « les politiciens, les journalistes, les bavards » qui abusent « de niveau dans des circonstances où du point de vue de, dans le domaine de, sur le plan de, suffisaient pour distinguer des nuances ». 

Perdrix.jpgLe chapitre se termine par une dissertation subtile : non au genre hybride de « hymne » (masculin quand il est profane, féminin quand il est sacré) ; oui au genre hybride de « couple » (masculin quand il désigne deux êtres liés par une même affection, féminin quand deux choses ou deux êtres sont réunis accidentellement). 

Méditez donc cette belle phrase, lecteurs : « Un couple d’amants dédaigne pour se regarder une couple de perdrix aux choux » ! Amants.jpg