03/10/2016
Irritations linguistiques XXXIV : littérature, bénir et nation
De Jacques Julliard dans un long article décoiffant sur « L’école, année zéro » du Marianne du 2 septembre 2016, cette diatribe : « Le but de l’Académie française n’est pas de procurer une vieillesse heureuse à tous les écrivains, c’est de défendre la langue française ». C’était pas évident ? Mais ce n’est qu’un hors d’œuvre avant son morceau de bravoure : « Prenez le cas de la littérature, notre bien le plus précieux. Qu’est-ce que la France sans sa littérature ? Une petite nation neurasthénique, velléitaire, incapable d’assumer son passé, comme ces nobles décavés qui n’ont plus qu’à faire visiter la galerie de leurs ancêtres et à faire de la communication sur leur château qui menace de tomber en ruine. Regardez les programmes (…). La littérature française en a pratiquement disparu. En France, la littérature n’est pas que la littérature. Elle n’est pas qu’un des beaux-arts : elle est une forme de résistance à l’oppression. Elle est ce qui nous tire vers le haut (…). La littérature doit rester notre rapport à la vie, qui nous permet de résister au mercantilisme comme au fanatisme. Je suis sceptique avec Montaigne et Voltaire,, chrétien avec Pascal et Chateaubriand, rêveur avec Gérard de Nerval, romanesque avec Balzac et Proust, véhément avec Bernanos. Pendant ce temps-là, les faiseurs de manuels mettent Claude François dans leurs exercices pratiques ». Et encore Claude François a-t-il composé « Comme d’habitude » ! Il y aurait bien pire.
Du coq à l’âne : je lis dans le Marianne du 9 septembre 2016 (page 25) : « Emmanuel Macron, le grand frère des riches, a été bénit lors d’une messe médiatique… » (peu importe la fin de l’alinéa). C’est oublier que le verbe « bénir » se conjugue comme « finir » (verbes en –ir/issant), à ceci près que l’on écrit « une union bénie par une eau bénite ». Manu a donc été béni (et non pas bénit). Grand bien lui fasse !
Toujours dans ce même numéro de Marianne, un entretien intéressant avec Bruno Colson qui vient de publier « Clausewitz » (Perrin, 2016). Il dit « Clausewitz critique la francophilie des élites prussiennes au moment où Napoléon est tout-puissant et asservit l’Europe. Il veut alors ouvrir les yeux de ses compatriotes qui n’ont pas confiance en leurs propres ressources et est séduit par l’œuvre de certains auteurs allemands comme Schiller, Goethe et les frères Schlegel (…). Il a combattu et craint les Français toute sa vie mais uniquement parce qu’ils dominaient alors l’Europe. Sur le plan culturel, il n’a jamais cessé de leur vouer une certaine admiration. Il se réclame encore de Montesquieu après Waterloo ». La France de 2016 serait-elle la Prusse de 1800, et l’animateur de ce blogue un émule de Clausewitz ?
Terminons par cette citation d’Ernest Renan par Renaud Dély dans le Marianne du 15 juillet 2016 : « L’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation ».
29/09/2016
Irritations linguistiques XXXIII : la langue de la République est le français
Guillaume Pépy, qui n’en rate pas une, a dit dans Les Échos : « Les gares sont devenues des city boosters ». Comme quoi, la SNCF est très moderne et son président un dirigeant dans le vent (source Marianne, 2 septembre 2016).
Qui a écrit : « des bureaux organisés en open space (…), on y aperçoit un fauteuil très design (…), pour se faire épiler entre deux conference calls dans une ambiance lounge (…), dans l’installation de cette calm zone » ? C’est la journaliste Élodie Emery, dans le Marianne du 15 juillet 2016 et dans un début d’article de 15 lignes (en colonne de 5 cm de large). Calcul pour les forts en maths : quelle est la fréquence des franglicismes par cm2 ?
Et Daniel Bernard parsème son article – par ailleurs intéressant et très éclairant sur les causes des dérives actuelles – dans le Marianne daté du 26 août 2016 sur les adolescentes radicalisées, des termes « imagerie mainstream », « rappeuse show biz », « limitées aux selfies », « blogueuse mode hijab style », « schéma djihad friendly »… Va-t-il falloir lutter contre l’arabofranglais ? Pendant ce temps, dans un hypermarché de la bourgeoise et cultivée Aix-en-Provence, un rayon entier est consacré au halal et porte comme enseigne le mot « Maghreb » et un long bandeau en arabe. Un des chocs de mon été (après Nice et Saint-Étienne du Rouvray, naturellement, sans commune mesure)… Les marchands ne reculeront décidément devant rien.
Rappel (les soulignés sont de l’auteur) : Constitution de la République française du 4 octobre 1958
Titre premier - De la souveraineté
Article premier
La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.
La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales.
Version résultant de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008
Article 2
La langue de la République est le français.
L’emblème national est le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge.
L’hymne national est la « Marseillaise ».
La devise de la République est « Liberté, Égalité, Fraternité ».
Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple.
Version résultant de la loi constitutionnelle n° 95-880 du 4 août 1995
Interrogé sur son livre « Le crépuscule de la France d’en haut » (Flammarion, 2016) par Emmanuel Lévy dans le Marianne du 9 septembre 2016, Christophe Guilluy déclare : « La France est ainsi devenue une société américaine comme les autres, multiculturelle, où les tensions et la paranoïa identitaire se développent (…). Confrontées à un modèle qui les insécurise, les classes populaires cherchent moins l’affrontement que la préservation de leur capital social et culturel ». Et la question du franglais là-dedans n’est effectivement pas la plus grave.
Bruno Le Maire, candidat à la primaire de la droite et du centre de 2016, a accusé notre excellente ministresse de l’Éducation d’avoir introduit un enseignement obligatoire de l’arabe à l’école primaire. C’est faux : à l’école primaire, on se contente d’initiations aux langues étrangères, arabe compris (cité par Marianne, 9 septembre 2016). Le même a fustigé l’abandon de l’enseignement du latin et la suppression des classes bi-langues. Il propose de « faire de la maîtrise de la langue française la priorité absolue de la maternelle et du primaire » et envisage de supprimer l’enseignement des langues et cultures des pays d’origine, mis en place dans les années 70, qui est selon lui « un obstacle à la bonne intégration ». Facile à dire quand on est dans l’opposition mais on ne peut qu’être d’accord avec lui.
19/09/2016
"Le français en cage" (Jacques Laurent) : critique I
Cet été, en traversant le marché de Deauville, et en fouillant dans l’étal d’un bouquiniste, j’ai découvert un livre de Jacques Laurent, dont le titre m’a attiré immédiatement : « Le français en cage » (Grasset et Fasquelle, 1988). La quatrième de couverture parlait d’un coup de gueule, en réaction aux « interdits » prétendument insupportables que certains profèreraient quant au « bien parler », je n’ose dire « au bien écrire ».
Encore une fois le hasard (littéraire) faisait bien les choses ! Quoi de plus à propos en effet que cette découverte, au moment où je terminais l’analyse du brûlot de Jean Dutourd, « À la recherche du français perdu » ? (voir les billets précédents, en août 2016).
Dans ce livre d’humeur de Jacques Laurent nous avons affaire à du « lourd » comme disent certains ; Jacques Laurent qui était aussi Académicien était tout aussi déterminé à obtenir une liberté de langage que notre Jean à pourfendre les écarts au français établi.
Le livre commence par une question de Vaugelas : « S’il faut dire il y en eut cent tués ou il y en eut cent de tués (NDLR : en effet, c’est une question que je me suis toujours posée). Nous avons de bons auteurs qui disent l’un et l’autre (…). Aujourd’hui le sentiment le plus commun de nos écrivains est qu’il faut toujours mettre le de, car en parlant jamais on ne l’omet (NDLR : pour moi, ce n’est pas une raison…), et par conséquent c’est l’usage qu’on est obligé de suivre (…). C’est la beauté des langues que ces façons de parler, qui semblent être sans raison pourvu que l’usage les autorise. La bizarrerie n’est bonne nulle part que là ». Inutile de vous dire, chers lecteurs, que dès l’exorde, j’étais braqué…
Dans le premier chapitre, prétexte à évoquer des souvenirs d’élève au lycée Condorcet, notre Académicien frappe fort, à propos de l’expression « il consent que », que son professeur biffe d’un trait rouge et remplace par « il consent à ce que ». L’ennui, c’est que le même lui fit apprendre par cœur une tirade de Molière où figure ce vers « Je consens qu’une femme ait des clartés de tout ». La construction était devenue incorrecte d’après le professeur mais perdurait dans le langage courant. Idem pour la construction « balancée » : soit… soit ou bien ou… ou, alors que les Classiques écrivaient par exemple : Soit qu’il parle ou qu’il écrive…
Dès la page 14, Jacques Laurent affiche la couleur, une couleur qui apparemment n’a guère troublé Jean Dutourd dix ans après : « Elles me donnèrent seulement à méditer un peu sur la tyrannie que beaucoup d’amateurs de français pratiquent à l’aveugle comme s’ils obéissaient à un devoir sacré, celui d’interdire ».
Comme moi avec « Dire, ne pas dire » de l’Académie ou avec le « Manuel pratique de l’art d’écrire » de M. Courault (Hachette, 1956), Jacques Laurent lit en 1957 la « Dissertation littéraire générale » de MM. Chassang et Senninger et y trouve les « interdits » suivants : « On ne dit pas : (…) il s’en rappelle, se baser sur, malgré que… Mais on dit : (…) il se le rappelle, se fonder sur, bien que, quoique suivi du subjonctif » (NDLR : je retrouve ici les dadas de mes professeurs de français du collège et du lycée). Mais il en tire une conclusion opposée à la mienne : « Choisir arbitrairement sept fautes quand on veut régenter une langue aussi périlleuse que la nôtre, c’est d’abord sommaire. Il m’intéressait aussi de noter que sur les sept (fautes), cinq n’en étaient pas, et je ne l’avais démontré que trop aisément (…) ». Las ! En fait de démonstration, Jacques Laurent aligne des arguments spécieux. Par exemple, pour défendre « malgré que », il note « qu’il était du meilleur français à condition d’être employé avec le subjonctif du verbe avoir et dans une circonstance précise : malgré qu’il en ait ». Et alors ? Il ne répond pas à la question ! De même, pour défendre « s’en rappeler », il écrit qu’il est « inattaquable dans cette phrase : De cette demeure, il ne se souvenait que confusément mais il finit par s’en rappeler quelques détails, le bleu des volets, l’inclinaison du toit et le son du heurtoir ». C’est de la malhonnêteté intellectuelle que de vouloir infirmer une loi générale par le seul fait qu’une exception existe !
Et il pense conclure en disant que l’emploi de ces mots « est délicat et parfois contestable mais leur mise hors la loi est d’une brutalité incompatible avec le sens du subtil qui entre pour une si grande part dans l’heureuse pratique d’une langue ». Puis il passe à autre chose, en l’occurrence ses réponses à des remarques de lecteurs, pour justifier son envie d’écrire un livre sur le sujet.
À suivre…