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16/10/2017

Irritations linguistiques LV : flagrant délit

Le jargon juridico-administratif s’est enrichi d’une nouvelle expression, dont les journalistes, bien sûr, font leur miel : la flagrance. « Le parquet a ouvert une enquête en flagrance du chef de tentative de destruction par incendie » (Journal 20 minutes du 5 octobre 2017). Je suppose que ce substantif se réfère à l’expression « flagrant délit »… Et il me semble refléter notre époque de bien-pensance exacerbée, celle qui parle de « techniciens de surface » et de « quartiers difficiles », sous couvert, il est vrai, de précision et d’exhaustivité (tous les malvoyants ne sont pas aveugles, tous les malentendants ne sont pas sourds, Dieu soit loué). Mais ce raccourci et cette substantivation veulent sans doute éliminer l’affreux mot « délit » qui figure dans l’expression originelle et qui signifiait que, dès le constat, on considérait que l’acte était délictueux. Or, halte à la précipitation ! Il faut voir ! D’abord a-t-on bien vu ? Le mal absolu serait la stigmatisation ! Donc c’est flagrant, à n’en pas douter mais flagrant de quoi ? D’où le substantif.

Passons sur l’accumulation de compléments du mot « flagrance » : du chef de tentative de destruction, accumulation bannie par le premier cours d’expression écrite venu.

Fashion week 1.jpg

À part cela, la franglisation de notre langue (moi aussi je suis capable d’inventer des substantifs…) continue son petit bonhomme de chemin (faudra-t-il écrire un jour : sžonž.a petitž.e bonžne-hommež.femme de chemin, pour contenter les féministes ultras ?).

Jugez vous-même… 

Dans un article comparant M. Macron à M. Sarkozy dans leur façon d’exercer la présidence, le journal Marianne du 22 septembre 2017 écrit : « Autre pratique prisée du copy-cat Macron, la méthode dite du carpet bombing, c’est-à-dire l’annonce en rafale de réformes censées laisser groggy des opposants qui ne savent plus où donner de la tête ». Mais à quoi sert donc cet avalanche de termes américains, tous plus incompréhensibles les uns que les autres ? 

Il paraît que le même M. Macron ne voit plus la société française qu’à travers la dialectique des insiders et des outsiders… Pauvre France ! 

Claude Askolovitch, dans sa revue de presse du 28 septembre 2017 sur France Inter, parlait de deal et de cover (pour désigner la première page d’un magazine…). Et les médias nous ont bassinés un temps avec la fashion week, pour désigner une semaine de la mode, dont Paris est pourtant censée être la capitale mondiale !

Fashion week 2.jpg

PS. Le site ooreka définit la flagrance comme suit :

Est flagrant ce qui est constaté sur le coup, sur le fait. En procédure pénale, le terme flagrance renvoie à la notion de flagrant délit. L'article 53 du Code de procédure pénale définit deux types d'infraction flagrante :

  • Est qualifié flagrant le crime ou délit qui se commet actuellement, ou qui vient de se commettre.
  • Il y a aussi crime ou délit flagrant lorsque, dans un temps très voisin de l'action, la personne est poursuivie par la clameur publique, ou est trouvée en possession d'objets, ou présente des traces ou indices laissant penser qu'elle a participé au crime ou au délit.

21/09/2017

Irritations linguistiques LIV : voilà... je vous laisse !

L’été qui se termine ne nous a pas épargné les irritants linguistiques ! 

Ainsi Isabelle Barth, professeur des universités et chercheur en management a-t-elle publié dans LinkedIn, le 21 août 2017, un article « très mode » intitulé « Sortir de sa zone de confort reloaded ». En voici l’accroche : « Il y a des phrases magiques en management qui semblent organiser un consensus et une adhésion immédiate autour d’elles : Sortir de sa zone de confort en est une. Ces formules sont en général précédées de : Il faut !... Il faut savoir sortir de sa zone de confort ! ». Je vous fais grâce de la suite. Ce qui est drôle c’est que reloaded ne figure que dans le titre et n’apparaît plus dans le corps de l’article ! Donc c’est purement accrocheur, pour faire moderne ! 

Il y a des constantes, des tics de langage à longue durée de vie. J’en ai trois en tête. Il y a d’abord le fameux « voilà », en perte de vitesse cependant, qui est proféré d’un air décidé, quand le locuteur ne sait plus quoi ajouter, tout en laissant entendre qu’il s’est suffisamment fait comprendre et que donc ses auditeurs peuvent parfaitement boucher les trous eux-mêmes.

Et il y a l’horrible « Merci d’avoir été notre invité ! » des journalistes de radio et de télévision. La formule en soi est aberrante : l’invité en question l’a été par le journaliste et il pourrait à la limite le remercier de l’avoir été. Le journaliste de son côté pourrait remercier son invité d’avoir accepté l’invitation. Mais le remercier du fait qu’on l’a invité, cela n’a pas de sens ! 

Et il y a l’horripilant « Je vous laisse… » : « Je vous laisse vous asseoir », « Je vous laisse enlever votre veste », « Je vous laisse sortir votre Carte bancaire », etc. (propos que l’on entend aussi bien chez le médecin, le podologue, le dentiste qu’au guichet de la banque – sauf peut-être pour la veste). 

Il paraît que l’un des dadas de « La république en marche » et de l’actuel Président de la République est d’appliquer les méthodes de l’Entreprise pour gérer les hommes et les choses, ce que l’on appelle le management, et partant d’utiliser le vocabulaire lié à ces pratiques, à savoir le franglais (qu'ils croient sans doute être de l’anglais). D’où le teambuilding, le coworking et autres horreurs. Marc Endeweld le souligne dans son article de Marianne le 25 août 2017 : « C’était l’une de ses promesses de campagne : la constitution d’une task force – une force opérationnelle en français – contre le terrorisme (…). La communauté du renseignement se demandait encore à quoi pouvait bien correspondre cet anglicisme dont raffolent les équipes Macron ». 

Je constate aussi que des mots inutiles comme « le store » se répandent à grande vitesse. 

Et j’en suis à me demander comment et pourquoi un terme comme « liseuse » a pu se diffuser aussi rapidement… 

La situation ne s’améliore pas non plus côté typographie ; dans ma commune, des panneaux « Axe Partagé » ont fleuri, avec un p majuscule (pourquoi donc ?), pour indiquer aux cyclistes qu’ils ont le droit de se faire klaxonner et bousculer par les voitures dans les rues concernées. Dans la gazette municipale, on lit : « Virginie D., maire-adjoint en charge de la Vie scolaire, etc. »… (pourquoi pas « chargée de… » ?). Remercions le Ciel d’avoir échappé à « maire-adjointe » ; ça viendra, malheureusement (voir mon billet sur l’orthographe féministe). Bien sûr, tout ce qui doit faire un peu « moderne » dans cette cité est affublé d’un nom en anglais : « OPÉRATION JOB DATING », « KEEP COOL, LE SPORT BONHEUR », « ACROBAT’CLUB », « SO SWING », « SELF DÉFENSE » ( !). Mais le même organe de l’édile utilise par ailleurs à la perfection les majuscules accentuées et les Ç ; donc tout n’est pas perdu.

31/08/2017

Irritations linguistiques LIII : Pâques

Chers lecteurs, cela faisait longtemps que je ne vous avais pas fait part de mes « Irritations linguistiques » (déjà une trentaine ont été publiés), rubrique fondatrice de ce blogue avec celle consacrée aux règles oubliées de notre belle langue…

Voici donc une nouvelle série d’irritations.

À tout seigneur tout honneur : France Inter, abandonné par son animateur vedette Patrick Cohen (la fameuse matinale, le 7-9), nous informait le 28 août 2017 que 501 nouveaux livres seraient publiés à la rentrée (nombre qui donne le tournis et nous fait verser une larme de crocodile sur le sort de ces innombrables auteurs qui ne seront pas lus et dont l’opus terminera au pilon – et ce, sans compter les autres innombrables qui ont essuyé un refus et qui ne seront pas publiés et donc pas lus non plus évidemment). On pouvait penser que le chroniqueur de service n’avait que l’embarras du choix pour en distinguer un et le faire sortir du lot… Eh bien non ! Il n’a rien trouvé de mieux que de consacrer son temps de parole à faire le panégyrique d’un roman américain sur l’esclavage ! Désamour de soi, quand tu nous tiens… 

Parmi les innombrables tics de langage et aberrations du français moderne censé être « branché », il y a « Mais pas que ». Oh que c’est horripilant ! Votre interlocuteur (mais c’est souvent un journaliste) vous cite quelques qualités ou défauts, quelques avantages ou inconvénients… et pour exprimer qu’il y en a d’autres, que la liste est longue, qu’il pourrait multiplier les exemples, il brise là en concluant « Mais pas que » (sous-entendu : mais il n’y a pas que cela). Imaginons les Tontons flingueurs en train de déguster leur tord-boyaux ; Jean Lefèvre « y-trouve un goût de pomme » et Bernard Blier aurait répondu « y-en a mais pas que » ? Bien sûr que non ! Michel Audiard parlait bien mieux que cela ! Il lui a fait dire : « Y-a pas qu’ça mais y-en a ». 

Il y a déjà quelque temps, SG m’a fait suivre un article du blogue des correcteurs du journal « Le Monde » (daté du 13 octobre 2015) consacré aux pléonasmes les plus en vogue dans la presse, qu’ils attribuent à raison à « l’usure des mots mais aussi à la méconnaissance de leur sens ». J’ajouterai le manque criant de bon sens et le snobisme.

Le premier pléonasme m’a amusé car il m’en a rappelé un autre fort en vogue dans le milieu scientifique et technique (et même dans le bâtiment) : le « taux d’alcoolémie » est une expression aberrante puisque l’alcoolémie elle-même est déjà un taux (d’alcool dans le sang), tout comme « évaluer la volumétrie d’une pièce » puisque la volumétrie est la mesure (le mesurage disent les spécialistes) du volume.

« Le Monde » pointe aussi le « tri sélectif », le « principal protagoniste », le « tollé général », le « etc. suivi de trois points » et l’expression « opposer son veto ». Mais, bon prince, il épargne les pléonasmes consacrés par l’usage ou par la littérature : « au fur et à mesure », « le gîte et le couvert », le « pauvre hère » et le « frêle esquif »…

Le record semble détenu par le détestable « au jour d’aujourd’hui » qui serait une façon de dire trois fois la même chose.