09/01/2015
In memoriam : hommage à Bernard Maris
Je ne sais plus comment j’ai découvert Bernard Maris. C’est peut-être bien SES qui me l’a fait connaître…
Depuis, j’étais un inconditionnel.
J’ai lu ses deux anti-Manuels d’économie « Les fourmis » et « Les cigales » (Éditions Bréal, 2003 et 2006) au premier semestre 2007 et au dernier trimestre 2008, juste avant et juste après le déclenchement de la grande crise financière qui, d’après les économistes bien pensants (à savoir 90 % des économistes) ne pouvait pas avoir lieu. Du premier tome, j’ai retenu que « la concurrence ne fait pas la croissance », que « le crédit fait la monnaie » et qu’on « ne peut pas ouvrir pas à pas un marché » (or, c’est ce qu’on fait). Et du second, que les néolibéraux, c’est n’importe quoi, et qu’ils nous ont amenés à la crise. B. Maris se laissait souvent emporter par son lyrisme, son idéalisme, voire son simplisme ; d’où des pages pas toujours claires ni très concrètes. Mais quel régal que ce non-conformisme, que cet enthousiasme, que cet amour du peuple, de la liberté (voir son soutien de toujours à Charlie Hebdo, qui lui a coûté la vie), des espoirs de Mai 68 !
Plus tard, fin 2012, j’ai lu son « Plaidoyer (impossible) pour les socialistes » Albin Michel, 2012, publié après le décès de son épouse Sylvie, fille de l’écrivain Maurice Genevoix. Il y raconte son enfance et sa jeunesse, placées sous le signe du socialisme et du Sud-Ouest ; c’est documenté, alerte, passionné, brouillon et rageur. Les socialistes de 1981 en prennent pour leur grade, Mitterand en tête.
En fait, seuls trouvent grâce à ses yeux, le grand Jaurès et Keynes (qui n’était pas socialiste).
La thèse du livre ? Le socialisme est introuvable, il est fini. Le capitalisme (qu’il confond en permanence avec le libéralisme) a tout absorbé, et les sociaux-démocrates se contentent de gérer, en essayant de prouver qu’ils font mieux que la Droite… Amère victoire !
B. Maris était un grand communicant ; à part ses livres, dont quelques romans, ses chroniques dans les journaux les plus divers, il tenait depuis sept ans, un « moment de radio à deux voix » sur France Inter, avec Dominique Seux des Échos. Çà donnait envie de se réveiller (et éventuellement de se lever) pour écouter ces joutes oratoires. B. Maris, arrivé à vélo, souriant, facétieux, iconoclaste, apportait la plupart du temps un point de vue original et une hauteur de vue sur des questions réputées absconses.
Un de ses derniers textes, une interview croisée avec Jacques Attali dans le Monde du 16 septembre 2014, montrait une grande convergence, surprenante, avec l’ancien conseiller de François Mitterand et président de la Commission pour la libération de la croissance.
Incidemment, je signale que les deux économistes en appellent tous deux au développement de la francophonie, d’une union francophone, espace de production d’avenir, facteur de croissance et d’identité (J. Attali), les lieux d’expansion existent : la francophonie par exemple… Avec la francophonie, il faut ouvrir des espaces économiques où l’Allemagne ne domine pas (B. Maris).
Écoutons ses derniers mots : « Nous allons vers une économie du partage, de la gratuité, du logiciel libre. La figure centrale de demain sera le chercheur qui, lorsqu’il donne quelque chose à la communauté, ne le perd pas. Le chercheur répond aux besoins fondamentaux de l’homme : la création, la curiosité, le changement, le progrès. Il est obligé de coopérer. La coopération canalise la violence… L’au-delà du capitalisme sera une économie solidaire et fraternelle… »
B. Maris est mort de la violence.
On dit parfois que les cimetières sont remplis de gens irremplaçables… et l’on sous-entend qu’après les hommages funèbres, l’oubli est immédiat, et les héros d’hier aussitôt remplacés.
Mais il me vient en tête un contre-exemple : Michel Colucci, dit Coluche.
Non seulement les gens qui le détestaient l’ont mis aujourd’hui dans leur Panthéon intellectuel, mais l’homme de la rue le cite à tout bout de champ. Et quand on ne se rappelle plus exactement ce qu’il avait dit, on conclut : qu’est-ce qu’aurait dit Coluche en pareil cas !
On n’est pas près d’oublier Bernard Maris.
Et personnellement, j’attends de voir ce qu’il adviendra de sa dernière prophétie : « Je pense qu’il y aura une nouvelle crise financière, que la zone euro éclatera, que l’Europe se balkanisera… » (Charlie Hebdo, 15 décembre 2010).
Et ce matin, à l’heure de la chronique éco., sur France Inter, à 7 h 50, ce sera dur, très dur…
07:30 Publié dans Actualité et langue française | Lien permanent | Commentaires (0)
08/01/2015
Pour la défense de la liberté d'expression et de l'esprit français...
Pas de billet aujourd'hui, jour de deuil national, en hommage aux journalistes de Charlie Hebdo, aux policiers et à Bernard Maris, sauvagement assassinés à Paris.
Les chipoteries sur la langue s'effacent devant plus grave qu'elles : la liberté d'expression, la vie, la mort.
Mais la défense de l'esprit français n'est pas loin : caricaturer, moquer, rire de tout...
pour éviter d'en pleurer
Je me presse de rire de tout avant d'être obligé d'en pleurer
Le Barbier de Séville, Beaumarchais
… Je savourais l'azur, le soleil éclatant,
Paris, les seuils sacrés, et la Seine qui coule,
Et cette auguste paix qui sortait de la foule.
Dès lors pourtant des voix murmuraient : Anankè.
Je passais ; et partout, sur le pont, sur le quai,
Et jusque dans les champs, étincelait le rire,
Haillon d'or que la joie en bondissant déchire.
Le Panthéon brillait comme une vision.
La gaîté d'une altière et libre nation
Dansait sous le ciel bleu dans les places publiques ;
Un rayon qui semblait venir des temps bibliques
Illuminait Paris calme et patriarcal ;
Ce lion dont l'œil met en fuite le chacal,
Le peuple des faubourgs se promenait tranquille.
Le soir, je revenais ; et dans toute la ville,
Les passants, éclatant en strophes, en refrains,
Ayant leurs doux instincts de liberté pour freins,
Du Louvre au Champ-de-Mars, de Chaillot à la Grève,
Fourmillaient...
Victor Hugo
Les Contemplations
Lueur au couchant (extrait)
juillet 1855
(Anankè : fatalité en grec)
08:11 Publié dans Actualité et langue française | Lien permanent | Commentaires (0)
07/01/2015
L'harmonie du style selon G. Grente (I)
« L’harmonie du style est le sens du rythme ».
Pour un musicien, cette phrase n’a pas de sens, justement… Mais l’explication qui suit est claire : « Elle consiste à équilibrer les phrases et allier les mots, de manière à ne choquer l’oreille par aucune dissonance et à la charmer par une cadence musicale ». Bien que la cadence ait un sens bien particulier en musique, on comprend que l’harmonie du style implique à la fois les sons et le rythme.
« Les phrases, même les plus simples, sont soumises aux lois de l’harmonie ». G. Grente définit la « période » comme « une phrase dont le sens général, maintenu et prolongé à travers les différentes propositions qui la constituent, s’achève seulement au dernier mot… Une phrase courte peut être « périodique » et une longue phrase ne l’être point ». Là, ce sont les électriciens qui tiquent (quid du 50 Hz ?)…
D’où les règles à respecter pour qu’une phrase soit harmonieuse :
§ Répartir les membres de la période de telle sorte que la voix, en les parcourant, rencontre sans effort les repos nécessaires ; ne pas multiplier les incises, ne pas les attacher « en grappe » ;
§ Respecter l’équilibre et la symétrie ; qu’il n’y ait dans la phrase ni excroissances ni lézardes.
Ce qui donne à la période son prix, c’est l’aisance de l’allure et l’harmonie de la chute.
§ Surveiller les pronoms relatifs, qui trébuchent souvent et se heurtent avec un bruit de rocaille ;
§ Les parenthèses brisent fréquemment aussi l’harmonieuse unité de la phrase ;
§ L’harmonie n’a pas d’ennemi plus redoutable que les propositions ou les mots superflus ;
L’harmonie veut aussi une agréable alliance de mots… :
§ Distribuer avec art les syllabes sourdes et les syllabes sonores ;
§ Combiner les mots longs et les mots brefs ;
§ Éviter les rencontres de mots choquantes et d’abord les hiatus ;
Gardez qu’une voyelle à courir trop hâtée,
Ne soit d’une voyelle en son chemin heurtée.
Boileau, Art poétique, I, 107-108
§ Les assonances (ressemblance de sons à la fin des mots) doivent être bannies ;
§ La succession de mots où se trouvent les mêmes consonnes – surtout r et t – est contraire à l’harmonie (ex. : un gros rat rôdait) ;
§ La succession des mêmes voyelles est également funeste (ex. : ainsi entra la lame du couteau) ;
§ Les adverbes sont de lourds moellons (ex. : le monument est pourtant actuellement fâcheusement restauré) ;
§ L’emploi des locutions conjonctives sera aussi contrôlé (ex. : que…que…) ;
§ S’il est nécessaire de recourir aux imparfaits du subjonctif, on comprendra que leur répétition détruit l’harmonie (NDLR : nous sommes en 1938, les jeunes filles de l’école privée connaissent l’imparfait du subjonctif… Aujourd’hui, l’existence même du mode subjonctif est ignorée ; c’est donc la seule règle concernant le style dont je suis certain qu’elle sera appliquée ; elle l’est déjà) ;
§ Une série d’infinitifs est pareillement défectueuse (ex. : n’allez pas croire pouvoir le faire réussir) ;
§ Les participes présents veulent être légèrement maniés ».
10:19 Publié dans Règles du français et de l'écriture | Lien permanent | Commentaires (0)