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19/07/2016

Sans voix

Pas question de ne pas marquer le coup, le mauvais coup, l’horrible mauvais coup…

Mais pas question non plus d’en rajouter à bon compte aux bougies, aux fleurs, ni même aux crachats ou aux huées…

Pas question non plus de se risquer sur la voie des interprétations plus ou moins savantes, des avis péremptoires (« il n’y a qu’à », « il faut qu’on »), des critiques intéressées…

Mais comment ne pas s’arrêter quelques instants – au moins une minute – devant l’horreur, la violence aveugle, la série noire qui continue et qu’on nous promet loin de la fin, sidéré, sans voix ?

C’était à Nice, en plein dans le bel été enfin arrivé, et le jour de la Fête nationale, héritage de notre Révolution et de la Troisième République, symbole de joie et de Lumières, sur la Promenade qu’adoraient les riches Anglais…

À quoi bon des mots ?

Nous sommes sans voix.

18/07/2016

L'été Dutourd de France (II) : néologismes inutiles

Dans son livre « À la recherche du français perdu », Jean Dutourd pourfend les mots nouveaux (souvent importés de l’américain et tombant ainsi dans le piège pourtant bien connu des faux amis), qui non seulement sont inutiles mais encore remplacent indûment tout un ensemble de mots existants qui permettaient d’exprimer des nuances.

Voici par exemple « privilégier » qui a pris le pas sur « favoriser » (alors même que la nuit du 4 août est censée avoir aboli les privilèges…) et « conforter », qui remplace souvent, à tort, « consolider », « raffermir », « fortifier », « renforcer », « soutenir », « corroborer », « étayer », « confirmer », « rassurer », etc. (page 26).

« Problème » n’est pas vraiment un néologisme inspiré de l’anglais, sauf quand il se répand dans des expressions comme « j’ai un problème » (au lieu de « j’ai une difficulté »), « un enfant à problèmes » (au lieu de « un enfant difficile »), « faire problème » ou « poser problème » (au lieu de « soulever une difficulté » ou même « tomber sur un os ») (page 33).

Jean Dutourd ironise en prédisant qu’un jour des personnes âgées (des « vieux »…) diront : « Au niveau de la sénescence, la durée fait problème »…

Il fait remarquer que les verbes « indifférer » et « insupporter » n’existent pas et que les expressions « Cela m’indiffère » (au lieu de « Cela m’est indifférent ») et « Cela m’insupporte » (au lieu de « Cela m’est insupportable ») sont tout simplement des barbarismes (page 42).

Le cas du mot « opportunité » est bien connu des lecteurs de ce blogue ; en américain, « opportunity » signifie « occasion » ; en français, l’opportunité est la qualité de quelque chose qui est opportun, c’est-à-dire qui arrive à point nommé ou qui vaut la peine d’être fait. Les ignorants (de l’anglais – ils sont nombreux par chez nous… –) traduisent « opportunity » par « opportunité » et tombent dans le piège du faux amis (page 43). Pire que cela, pour dire « occasion », ils disent « opportunité ». Ça fait moderne…

Mes lecteurs connaissent aussi « générer », que d’aucuns emploient à la place de « engendrer », « produire », « occasionner », « donner naissance », « faire éclore », « inventer »… toutes les nuances permises par le vocabulaire disparaissent si l’on utilise uniquement « générer ». Jean Dutourd nous apprend que c’est du psittacisme, qui consiste à répéter stupidement les mêmes mots parce qu’on les entend sans cesse (page 45).

Écoutons-le dans l’un de ses morceaux de bravoure – il dit mieux que moi ce que je pense – : « Entre le mot nouveau et le mot ancien, il faut faire l’effort de choisir le mot ancien, qui est à nous, qui appartient à notre âme. Par exemple, au lieu de « sécuriser », dire « rassurer » ; au lieu de « gratifiant », dire « satisfaisant », « doux au cœur », « agréable », voire « grisant » ; au lieu de « positionner », dire « expliquer », « situer » ou « définir » ; au lieu de « performant », dire « excellent », « supérieur », « de premier ordre », etc. » (page 54).

Il voit dans cette paresse linguistique généralisée un symptôme de colonisation.

Moi aussi.

14/07/2016

"Souvenirs d'enfance et de jeunesse" (Ernest Renan) : critique (I)

Je ne sais plus lequel, parmi les auteurs que je lisais il y a quelques mois, citait souvent Renan ; Natacha Polony ? Alain Finckielkraut ?

Et je ne sais même plus à quelle occasion il ou elle le citait ; l’école ? la nation ? la religion ?

En fait, peut-être que tout simplement, je l’ai confondu avec Péguy…

Toujours est-il que j’ai lu les « Souvenirs d’enfance et de jeunesse » que Ernest Renan a publiés en 1883.

Quelques mots d’abord sur cet écrivain et intellectuel oublié, qui connut, dans les années 1880, « une vogue qui (a) fait de lui, avec Victor Hugo, le représentant le plus illustre de l’intelligence française ».

Ce Breton de Tréguier, né en 1823 et mort en 1892, était agrégé de philosophie, docteur ès lettres et fut membre de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, professeur au Collège de France et élu à l’Académie française.

Il fut un écrivain prolifique, étudiant essentiellement les religions et les langues et traduisant le Livre de Job et le Cantique des Cantiques : « Études d’histoire religieuse », « Histoire générale des langues sémitiques », « Vie de Jésus », « Histoire des origines du christianisme », « Dialogues philosophiques », « Histoire du peuple d’Israël » sont ses ouvrages les plus connus.

Mais il a dû la difficulté de sa carrière d’intellectuel et aussi sa réputation, à son parcours spirituel original, en phase avec les soubresauts religieux de son époque : élevé dans la plus pure tradition catholique, au Petit Séminaire, puis au Grand Séminaire à Paris, il quitte la voie de la prêtrise à l’âge de 22 ans, à la suite d’une crise terrible au cours de laquelle il remet en cause l’enseignement qu’il a reçu, sans toutefois cesser d’être croyant.

À dire vrai la lecture de ce livre, dans l’édition établie par son grand spécialiste, Jean Pommier, en 1959 et reprise par Folio (n°1453), est assez laborieuse, à cause de son « appareil critique » (comme disent les savants), à savoir la multitude de commentaires de bas de page et de renvois à d’innombrables notes en fin de volume. À cause aussi d’une longue introduction de quarante pages, dans laquelle, Jean Pommier analyse l’œuvre, thème par thème, avec une partialité et un enthousiasme dérangeants.

Croyant y trouver soit les souvenirs d’un petit Breton du XIXème siècle, soit la réflexion sur la Nation et l’État d’un grand intellectuel, je suis resté sur ma faim. En outre, la forme en est déconcertante puisque ce n’est pas un récit suivi mais « des pages presque sans ordre », de l’aveu même de l’auteur. Et que dire de ces récits naïfs comme « le broyeur de lin » ou « le bonhomme Système », sinon qu’ils présentent de nos jours bien peu d’intérêt, pas même de pittoresque ou de nostalgie ?

A contrario la Préface d’Ernest Renan est remarquable, fort intéressante, et pour ainsi dire, actuelle, sans avoir de rapport avec le livre qu’elle introduit : « Le monde marche vers une sorte d’américanisme, qui blesse nos idées raffinées, mais, une fois les crises de l’heure actuelle passées, pourra bien n’être pas plus mauvais que l’ancien régime pour la seule chose qui importe, c’est-à-dire l’affranchissement et le progrès de l’esprit humain.

Une société où la distinction personnelle a peu de prix, où le talent et l’esprit n’ont aucune cote officielle, où la haute fonction n’ennoblit pas, où la politique devient l’emploi des déclassés et de gens de troisième ordre, où les récompenses de la vie vont de préférence à l’intrigue, à la vulgarité, au charlatanisme qui cultive l’art de la réclame, à la rouerie qui serre habilement les contours du Code pénal, une telle société, dis-je, ne saurait nous plaire.

Nous avons été habitués à un système plus protecteur, à compter davantage sur le gouvernement pour patronner ce qui est noble et bon. Mais par combien de servitudes n’avons-nous pas payé ce patronage !   » (page 5) et, plus loin, « Le but du monde est le développement de l’esprit, et la première condition du développement de l’esprit, c’est sa liberté. Le plus mauvais état social, à ce point de vue, c’est l’état théocratique, comme l’islamisme et l’ancien État pontifical, où le dogme règne directement d’une manière absolue. Les pays à religion d’État exclusive comme l’Espagne ne valent pas beaucoup mieux. Les pays reconnaissant une religion de la majorité ont aussi de graves inconvénients » (page 7). S’en suit un manifeste pour la laïcité, le libéralisme à l’anglo-saxonne et l’Europe.