01/08/2016
Irritations linguistiques XXIX
Ni l’été ni les vacances ni ces temps calamiteux, bien sûr, ne font disparaître le jargon, le franglais, les pléonasmes, la lourdeur, ni les barbarismes.
Le 22 juillet 2016, dans « La maison de France 5 », une Française comblée par un nouvel aménagement de son espace déclare : « Cela nous permet de pouvoir ranger nos affaires »… Pourquoi tant de verbes ? Alors qu’il suffit de dire « Cela nous permettra de ranger nos affaires »…
Dans le 6-9 de l’été sur France Inter, le 27 juillet 2016, j’ai entendu une journaliste on ne peut plus au fait de ce qui fait moderne, nous tartiner de coworking, où travaillent des coworkers, qui sont tous des start-upers, alors qu’elle sait pertinemment qu’il s’agit d’espaces (de travail) partagés. Et de nous dire que cette nouvelle organisation « permet de décider avec qui on va vouloir travailler » (même remarque que précédemment).
Un peu plus tard, dans un reportage sur le rugby à sept, un sportif nous assure « qu’en seven, il faut s’entraîner à plein temps »…
On nous parle aussi dans la Presse d'un U-tuber qui a fait fortune...
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28/07/2016
L'été Dutourd de France (III) : anglicismes
Dans son livre « À la recherche du français perdu », Jean Dutourd pointe beaucoup d’anglicismes. Comme on sait, il y a plusieurs situations distinctes :
- On s’irrite avant tout, parce que c’est le plus visible, de mots américains employés à plus ou moins bon escient pour tout phénomène nouveau ; par exemple, j’ai lu dans un bulletin immobilier récent des Notaires, qu’il était bon, avant de mettre en vente son habitation, de faire venir un home stager… ; cette situation est celle que notait René Étiemble, à savoir que, si la mode sous-jacente passe, le mot trépasse.
- Il y a ensuite tous ces faux-amis de l’anglais qui, souvent, remplacent chacun une foule de mots français existants qui permettaient d’exprimer des nuances ; c’était l’objet de mon billet « L’été Dutourd de France (II) » il y a peu.
- Une autre situation est moins connue, parce que plus difficile à détecter : c’est la transformation insidieuse de notre syntaxe.
Jean Dutourd signale ainsi « l’agonie de l’apposition », forme grammaticale « intrinsèquement française », qui consiste « à mettre des substantifs l’un à la suite de l’autre sans liaison ». Il donne l’exemple de Littré : « Pierre apôtre ».
Or, il se trouve qu’en anglais, « a » tient lieu d’apposition. Et de l’importer en français sous la forme de « un » : « Pierre un apôtre », « Eugénie Grandet un roman de Balzac », etc. (page 27).
Il n’y a pas que la syntaxe ! Il y a aussi la transformation d’habitudes ancestrales ; par exemple, l’apparition des prénoms dans deux populations qui n’en étaient pas affublées auparavant, les écoliers (« Dutourd, venez au tableau ») et les célébrités (Balzac, Mozart, Aragon…). Aujourd’hui personne n’envisagerait de ne pas nommer l’ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy. Et on a eu le film « Amadeus », sur "ton Mozart". Cette remarque de Jean Dutourd est très juste ; je me rappelle que j’avais remarqué cette incongruité dans les années 80 chez les vendeurs d’informatique professionnelle américaine (pléonasme…), juste au moment où le terme footing était remplacé par jogging : un vendeur en particulier n’avait que « Vital T. » à la bouche, au lieu de dire tout simplement « Monsieur T. », sachant que Vital était son prénom, qu'il était suisse et qu'on n'était pas allé à l'école ensemble (page 73).
Les exemples de la deuxième catégorie abondent : J. Dutourd relève divinity (théologie) traduit par « divinité » (page 29), approach (point de vue) traduit par « approche » (page 56), que nous retrouverons dans un prochain billet consacré au « jargon de prestige », attractive (qu’il ne traduit pas par « attrayant » comme je l’aurait fait mais qu’il utilise pour brocarder la publicité qui ne se sert plus d’arguments rationnels mais joue sur la magie pour séduire le chaland) (page 72) et se sert de « La dame de chez Maxim », pièce célèbre de Feydeau, pour rappeler qu’en anglais le « ’s » indique le génitif ou l’appartenance et que donc « Mac Donald’s » signifie « Chez Mac Donald » (page 61).
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27/07/2016
"Souvenirs d'enfance et de jeunesse" (Ernest Renan) : explications (III)
Dans mon billet du 21 juillet 2016 consacré au livre d’Ernest Renan (« critique II »), une citation rapporte qu’il a dû traverser « toute l’exégèse allemande » avant de pouvoir s’émanciper.
C’est que, pour Renan, la philosophie allemande, au XIXème siècle, n’a pas d’égale. Voici par exemple ce qu’il écrivait en 1845 dans une lettre à l’abbé Cognat : « Oui, cette Allemagne me ravit, moins dans sa partie scientifique que dans son esprit moral. La morale de Kant est bien supérieure à toute sa logique ou philosophie intellectuelle, et nos Français n’en ont pas dit un mot. Cela se comprend : nos hommes du jour n’ont aucun sens moral » (Appendice, lettre I).
Et quant à son ode à la perfection grecque, vous avez dû vous interroger, lecteurs, sur l’expression « marbre pentélique » qu’il emploie…
Rien là-dessus dans le Petit Larousse illustré, mais voici ce qu’en dit le Centre national de ressources textuelles et lexicales :
Marbre pentélique. Marbre blanc provenant des carrières du Pentélique, montagne de l'Attique. « Le Parthénon était entièrement construit de marbre blanc, dit marbre pentélique, du nom de la montagne voisine d'où on le tirait » (Lamartine, Voy. Orient, t.1, 1835, p.142).
« Il me montre d'abord, dans un vestibule, de très belles statues grecques ou romaines (…) ; il est amoureux de tout ce marbre dont il me fait remarquer qu'il est translucide (du marbre pentélique : la lampe, appliquée à la cornée de l'œil aveugle donne au nez une qualité d'albâtre, couleur de miel ou de soleil) » (Green, Journal, 1944, p.143).
« C'est en Grèce que l'on rencontre les plus beaux marbres antiques : le paros blanc, lamelleux et à gros grains légèrement translucides, le pentélique semblable au précédent avec une teinte grise tournant quelquefois au cipolin » (Bourde, Trav. publ., 1928, p.86).
Rem. Pentélique est essentiellement employé dans l'expression marbre pentélique ; on le relève toutefois dans un autre syntagme : « Flaxman, ce grand sculpteur à qui il eût fallu les carrières pentéliques et tout le marbre et le porphyre de l'Orient pour réaliser les groupes et les statues des dieux » (Vigny, Mém. inéd., 1863, p.52).
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