Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

04/08/2016

La poussière sous la Carpette anglaise

Vous vous souvenez, lecteurs assidus, de la fameuse « Carpette anglaise »… : « C'est un prix d'indignité civique décerné annuellement à un membre des élites françaises qui s'est particulièrement distingué par son acharnement à promouvoir la domination de l'anglo-américain en France et dans les institutions européennes au détriment de la langue française. Le prix distingue plus spécialement les déserteurs de la langue française qui ajoutent à leur incivisme linguistique, un comportement de veule soumission aux diktats des puissances financières mondialisées, responsables de l'aplatissement des identités nationales, de la démocratie et des systèmes sociaux humanistes ». 

On en était resté, dans ce blogue, aux lauréats 2013, M. Pépy et Mme Fioraso… 

Voici donc les derniers lauréats connus : 

2015 : Sous la présidence de Philippe de Saint Robert, le jury de l’académie s’est réuni le 15 décembre chez Lipp.

Au premier tour de scrutin, par sept voix contre trois à Jean Tirole (Prix Nobel d'économie en 2014 et président de la Fondation Jean-Jacques Laffont - Toulouse School of Economics (TSE), pour promouvoir la mise en place d’une filière d’enseignement supérieur en langue anglaise), le prix 2015 de la Carpette anglaise a été décerné à M. Alexandre de Juniac, président directeur général d'Air France-KLM, pour la campagne de publicité « Air France, France is in the air » remplaçant l’élégante publicité « Faire du ciel le plus bel endroit de la terre ».

2014 : M. Pierre Moscovici, membre de la Commission européenne pour avoir adressé à M. Michel Sapin, ministre des Finances et des Comptes publics, une lettre entièrement en anglais.  

Mais il y a aussi un prix spécial du jury à titre étranger (prix créé en 2001). Et les vainqueurs sont : 

2015 : au premier tour de scrutin, Luc Besson, réalisateur de films principalement en anglais, pour avoir patronné une modification des dispositions fiscales du crédit d’impôt cinéma en faveur des films tournés en langue anglaise ; ainsi les films tournés en anglais en France vont pouvoir être déclarés fiscalement « français » et bénéficier d'aides.

2014 : Mme Paula Ovaska-Romano, directrice du Département des langues et directrice par intérim de la Direction générale de la traduction de la Commission européenne, pour avoir violemment tancé en anglais une responsable associative qui la sollicitait en italien et avoir qualifié, à cette occasion, l’italien de « langue exotique ».

2013 : Tom ENDERS, président exécutif d’EADS et grand organisateur de la politique linguistique du tout en anglais dans son groupe. L’Académie a tenu à lui décerner son prix pour avoir annoncé, en anglais seulement, à tous les salariés allemands, espagnols et français de la branche « défense et espace », un vaste plan de licenciements par une vidéo...

01/08/2016

Irritations linguistiques XXIX

Ni l’été ni les vacances ni ces temps calamiteux, bien sûr, ne font disparaître le jargon, le franglais, les pléonasmes, la lourdeur, ni les barbarismes.

Le 22 juillet 2016, dans « La maison de France 5 », une Française comblée par un nouvel aménagement de son espace déclare : « Cela nous permet de pouvoir ranger nos affaires »… Pourquoi tant de verbes ? Alors qu’il suffit de dire « Cela nous permettra de ranger nos affaires »…

Dans le 6-9 de l’été sur France Inter, le 27 juillet 2016, j’ai entendu une journaliste on ne peut plus au fait de ce qui fait moderne, nous tartiner de coworking, où travaillent des coworkers, qui sont tous des start-upers, alors qu’elle sait pertinemment qu’il s’agit d’espaces (de travail) partagés. Et de nous dire que cette nouvelle organisation « permet de décider avec qui on va vouloir travailler » (même remarque que précédemment).

Un peu plus tard, dans un reportage sur le rugby à sept, un sportif nous assure « qu’en seven, il faut s’entraîner à plein temps »…

On nous parle aussi dans la Presse d'un U-tuber qui a fait fortune...

28/07/2016

L'été Dutourd de France (III) : anglicismes

Dans son livre « À la recherche du français perdu », Jean Dutourd  pointe beaucoup d’anglicismes. Comme on sait, il y a plusieurs situations distinctes :

  • On s’irrite avant tout, parce que c’est le plus visible, de mots américains employés à plus ou moins bon escient pour tout phénomène nouveau ; par exemple, j’ai lu dans un bulletin immobilier récent des Notaires, qu’il était bon, avant de mettre en vente son habitation, de faire venir un home stager… ; cette situation est celle que notait René Étiemble, à savoir que, si la mode sous-jacente passe, le mot trépasse.
  • Il y a ensuite tous ces faux-amis de l’anglais qui, souvent, remplacent chacun une foule de mots français existants qui permettaient d’exprimer des nuances ; c’était l’objet de mon billet « L’été Dutourd de France (II) » il y a peu.
  • Une autre situation est moins connue, parce que plus difficile à détecter : c’est la transformation insidieuse de notre syntaxe.

Jean Dutourd signale ainsi « l’agonie de l’apposition », forme grammaticale « intrinsèquement française », qui consiste « à mettre des substantifs l’un à la suite de l’autre sans liaison ». Il donne l’exemple de Littré : « Pierre apôtre ».

Or, il se trouve qu’en anglais, « a » tient lieu d’apposition. Et de l’importer en français sous la forme de « un » : « Pierre un apôtre », « Eugénie Grandet un roman de Balzac », etc. (page 27).

Il n’y a pas que la syntaxe ! Il y a aussi la transformation d’habitudes ancestrales ; par exemple, l’apparition des prénoms dans deux populations qui n’en étaient pas affublées auparavant, les écoliers (« Dutourd, venez au tableau ») et les célébrités (Balzac, Mozart, Aragon…). Aujourd’hui personne n’envisagerait de ne pas nommer l’ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy. Et on a eu le film « Amadeus », sur "ton Mozart". Cette remarque de Jean Dutourd est très juste ; je me rappelle que j’avais remarqué cette incongruité dans les années 80 chez les vendeurs d’informatique professionnelle américaine (pléonasme…), juste au moment où le terme footing était remplacé par jogging : un vendeur en particulier n’avait que « Vital T. » à la bouche, au lieu de dire tout simplement « Monsieur T. », sachant que Vital était son prénom, qu'il était suisse et qu'on n'était pas allé à l'école ensemble (page 73).

Les exemples de la deuxième catégorie abondent : J. Dutourd relève divinity (théologie) traduit par « divinité » (page 29), approach (point de vue) traduit par « approche » (page 56), que nous retrouverons dans un prochain billet consacré au « jargon de prestige », attractive (qu’il ne traduit pas par « attrayant » comme je l’aurait fait mais qu’il utilise pour brocarder la publicité qui ne se sert plus d’arguments rationnels mais joue sur la magie pour séduire le chaland) (page 72) et se sert de « La dame de chez Maxim », pièce célèbre de Feydeau, pour rappeler qu’en anglais le « ’s » indique le génitif ou l’appartenance et que donc « Mac Donald’s » signifie « Chez Mac Donald » (page 61).