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06/10/2016

"Solomon Gursky" (Mordecai Richler) : critique I

Débarrassons-nous tout de suite d’une corvée, à savoir dire d’un livre qu’il n’a aucun intérêt… Cela m’arrive rarement car je choisis mes lectures avec soin, soit les classiques (il est quasiment impossible de les faire tomber de leur piédestal), soit des livres recommandés par des lecteurs qui connaissent mon exigence en fait de littérature et en qui j’ai confiance, soit enfin des livres qui apparaissent dans mon champ de vision « par rebond » au détour de tel ou tel autre. Je ne lis jamais de livre à la mode, de livre de l’été, de livre de plage, même pas de livre couronné par l’un des innombrables prix littéraires (en tous cas, pas l’année de leur couronnement)… 

Jamais ? Pas tout à fait. Ce jour-là, je cherchais dans quel rayon d’une grande surface de vente d’objets culturels (en quatre lettres) pouvait bien se trouver la production littéraire d’Alain Mabanckou et j’ai aperçu sur un étal un épais bouquin blanc, "Solomon Gursky", qui fleurait bon la saga et la promesse d’évasion subséquente ; circonstance aggravante, la quatrième de couverture annonçait un chef d’œuvre commis par Mordecai Richler, un écrivain canadien anglophone de Montréal (oui, ça existe), né en 1931, mort en 2001, un frère de Léonard Cohen en somme ; j’ai flanché. 

Il m’a fallu assez peu de temps pour lire pendant l’été ce pavé de 632 pages ; c’est dire s’il se lit bien. 

Corbeau.jpgÀ part ça ? C’est l’histoire sans intérêt d’un gars de Montréal, fils d’un écrivain plus ou moins raté, qui s’entiche d’une famille juive richissime, les Gursky, dont le rejeton le plus remarquable, Solomon, est mort dans des circonstances mystérieuses. Mystérieuses, enfin, pas tant que cela… Au fil d’innombrables chapitres, déconnectés, dans le temps et l’espace, les uns des autres, agrémentés de multiples digressions et d’évocation de personnages qui joueront, ou non, un rôle dans la suite de l’histoire, mais que l’on oublie aussitôt qu’entrevus, on comprend que ces trois frères, lointains descendants d’un filou du milieu du XIXème siècle arrivé au Canada pour échouer dans le Grand Nord avec une esquimau…, ont fait fortune grâce à la contrebande d’alcool à l’époque de la prohibition. À cela s’ajoute une sombre histoire de corbeau, représenté d’ailleurs sur la couverture, noir sur blanc, qui apparaît aux moments fatidiques de l’épopée. 

L’opus est bourré d’allusions aux marques commerciales (« deux paquets de cigarettes Player’s Mild, un stylo Cross, les petits pois McNab… », etc.) (est-il financé par elles ?) et de mots hébreux (shin, resh, dalet, gimel, shoimer shabbos, etc.) qui ne nous disent rien. Cependant il n’est pas dénué d’humour : page 339, Moses, qui pêche, dit à Darlene, sa petite amie : « une fois dans mon filet, je vais le remettre à l’eau » et elle répond : « comme moi »… Quelques instants plus tard, comme un gros poisson qu’il a ferré s’est réfugié au fond de l’eau, Moses pense l’assommer en faisant glisser le long de sa ligne les clés de voiture de Darlene ; mais le poisson casse le bas de la ligne ; et Moses déclare froidement : « j’ai bien peur que nous ayons un problème ». Naturellement Darlene est furieuse. Déchaînée même. Elle hurle : « Tu sais ce que va me faire Barney ? Il va me tuer et ensuite il va encore faire annuler toutes mes cartes de crédit ». C’est du Jarry ou du Vian à la sauce amerlock. 

Dans la même veine, page 522 (il a fallu lire deux cents pages entre-temps…), on trouve : "Sam Red Levine, de Toledo, était un orthodoxe pur et dur ; on ne le voyait jamais sans sa kippa et il ne tuait personne le jour du sabbat ». Désopilant. 

Voici maintenant un aperçu du style fébrile de l’auteur (bien traduit par ailleurs) : « (Solomon) allait voir Tim Callaghan qui, dans le couloir Detroit-Windsor, livrait concurrence à Harry Low, Cecil Smith et Vital Benoît, et entrait, avec la Little Jewish Navy et le Purple Gang, dans des disputes que seul Solomon parvenait à résoudre en convoquant une rencontre au Abars Island View ou en invitant tout le monde à dîner à l’Edgex-water Thomas Inn de Bertha Thomas ». Vous connaissez ces citoyens-là, vous ? Moi pas… Et ça saute comme cela, d’un sujet à l’autre, d’un pèlerin à l’autre, d’une région à l’autre, pendant des dizaines de pages. 

Au total, peu de choses, c’est-à-dire un roman à clés géantes, typiquement nord-américain, accrocheur, bavard (pensez à cet avocat ventripotent que l’on voit souvent dans les films américains, qui parle comme une mitraillette avec son cigare et son verre de scotch, ou bien à celui de Xavier dans « Casse-tête chinois »…), avec une aversion affichée contre les Canadiens francophones (essentiellement les Québécois). Il a dû plaire aux intoxiqués de la culture prête à consommer des Américains. 

Ou alors je n’ai rien compris aux clés du roman…

03/10/2016

Irritations linguistiques XXXIV : littérature, bénir et nation

De Jacques Julliard dans un long article décoiffant sur « L’école, année zéro » du Marianne du 2 septembre 2016, cette diatribe : « Le but de l’Académie française n’est pas de procurer une vieillesse heureuse à tous les écrivains, c’est de défendre la langue française ». C’était pas évident ? Mais ce n’est qu’un hors d’œuvre avant son morceau de bravoure : « Prenez le cas de la littérature, notre bien le plus précieux. Qu’est-ce que la France sans sa littérature ? Une petite nation neurasthénique, velléitaire, incapable d’assumer son passé, comme ces nobles décavés qui n’ont plus qu’à faire visiter la galerie de leurs ancêtres et à faire de la communication sur leur château qui menace de tomber en ruine. Regardez les programmes (…). La littérature française en a pratiquement disparu. En France, la littérature n’est pas que la littérature. Elle n’est pas qu’un des beaux-arts : elle est une forme de résistance à l’oppression. Elle est ce qui nous tire vers le haut (…). La littérature doit rester notre rapport à la vie, qui nous permet de résister au mercantilisme comme au fanatisme. Je suis sceptique avec Montaigne et Voltaire,, chrétien avec Pascal et Chateaubriand, rêveur avec Gérard de Nerval, romanesque avec Balzac et Proust, véhément avec Bernanos. Pendant ce temps-là, les faiseurs de manuels mettent Claude François dans leurs exercices pratiques ». Et encore Claude François a-t-il composé « Comme d’habitude » ! Il y aurait bien pire. 

Du coq à l’âne : je lis dans le Marianne du 9 septembre 2016 (page 25) : « Emmanuel Macron, le grand frère des riches, a été bénit lors d’une messe médiatique… » (peu importe la fin de l’alinéa). C’est oublier que le verbe « bénir » se conjugue comme « finir » (verbes en –ir/issant), à ceci près que l’on écrit « une union bénie par une eau bénite ». Manu a donc été béni (et non pas bénit). Grand bien lui fasse ! 

Toujours dans ce même numéro de Marianne, un entretien intéressant avec Bruno Colson qui vient de publier « Clausewitz » (Perrin, 2016). Il dit « Clausewitz critique la francophilie des élites prussiennes au moment où Napoléon est tout-puissant et asservit l’Europe. Il veut alors ouvrir les yeux de ses compatriotes qui n’ont pas confiance en leurs propres ressources et est séduit par l’œuvre de certains auteurs allemands comme Schiller, Goethe et les frères Schlegel (…). Il a combattu et craint les Français toute sa vie mais uniquement parce qu’ils dominaient alors l’Europe. Sur le plan culturel, il n’a jamais cessé de leur vouer une certaine admiration. Il se réclame encore de Montesquieu après Waterloo ». La France de 2016 serait-elle la Prusse de 1800, et l’animateur de ce blogue un émule de Clausewitz ? 

Terminons par cette citation d’Ernest Renan par Renaud Dély dans le Marianne du 15 juillet 2016 : « L’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation ».

29/09/2016

Irritations linguistiques XXXIII : la langue de la République est le français

Guillaume Pépy, qui n’en rate pas une, a dit dans Les Échos : « Les gares sont devenues des city boosters ». Comme quoi, la SNCF est très moderne et son président un dirigeant dans le vent (source Marianne, 2 septembre 2016). 

Qui a écrit : « des bureaux organisés en open space (…), on y aperçoit un fauteuil très design (…), pour se faire épiler entre deux conference calls dans une ambiance lounge (…), dans l’installation de cette calm zone » ? C’est la journaliste Élodie Emery, dans le Marianne du 15 juillet 2016 et dans un début d’article de 15 lignes (en colonne de 5 cm de large). Calcul pour les forts en maths : quelle est la fréquence des franglicismes par cm2 ? 

Et Daniel Bernard parsème son article – par ailleurs intéressant et très éclairant sur les causes des dérives actuelles – dans le Marianne daté du 26 août 2016 sur les adolescentes radicalisées, des termes « imagerie mainstream », « rappeuse show biz », « limitées aux selfies », « blogueuse mode hijab style », « schéma djihad friendly »… Va-t-il falloir lutter contre l’arabofranglais ? Pendant ce temps, dans un hypermarché de la bourgeoise et cultivée Aix-en-Provence, un rayon entier est consacré au halal et porte comme enseigne le mot « Maghreb » et un long bandeau en arabe. Un des chocs de mon été (après Nice et Saint-Étienne du Rouvray, naturellement, sans commune mesure)… Les marchands ne reculeront décidément devant rien. 

Rappel (les soulignés sont de l’auteur) : Constitution de la République française du 4 octobre 1958

La langue de la République est le français.jpgTitre premier - De la souveraineté

Article premier

La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.

La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales.

Version résultant de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 

Article 2

La langue de la République est le français.

L’emblème national est le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge.

L’hymne national est la « Marseillaise ».

La devise de la République est « Liberté, Égalité, Fraternité ».

Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple.

Version résultant de la loi constitutionnelle n° 95-880 du 4 août 1995 

Interrogé sur son livre « Le crépuscule de la France d’en haut » (Flammarion, 2016) par Emmanuel Lévy dans le Marianne du 9 septembre 2016, Christophe Guilluy déclare : « La France est ainsi devenue une société américaine comme les autres, multiculturelle, où les tensions et la paranoïa identitaire se développent (…). Confrontées à un modèle qui les insécurise, les classes populaires cherchent moins l’affrontement que la préservation de leur capital social et culturel ». Et la question du franglais là-dedans n’est effectivement pas la plus grave. 

Bruno Le Maire, candidat à la primaire de la droite et du centre de 2016, a accusé notre excellente ministresse de l’Éducation d’avoir introduit un enseignement obligatoire de l’arabe à l’école primaire. C’est faux : à l’école primaire, on se contente d’initiations aux langues étrangères, arabe compris (cité par Marianne, 9 septembre 2016). Le même a fustigé l’abandon de l’enseignement du latin et la suppression des classes bi-langues. Il propose de « faire de la maîtrise de la langue française la priorité absolue de la maternelle et du primaire » et envisage de supprimer l’enseignement des langues et cultures des pays d’origine, mis en place dans les années 70, qui est selon lui « un obstacle à la bonne intégration ». Facile à dire quand on est dans l’opposition mais on ne peut qu’être d’accord avec lui.