26/05/2016
Irritations linguistiques XXVI : dictionnaires, illettrisme et français à Bruxelles
Un condisciple de l’École des Nobel m’écrit que je dois être content que le terme alumni entre au(x) dictionnaire(s)… Le pauvre, il n’a pas tout compris. Non seulement je suis totalement opposé à cette mode qui veut que les Associations d’Anciens Élèves des Grandes Écoles – en particulier celles de la moribonde ParisTech – remplacent le terme explicite « Anciens Élèves » par le terme américain, d’origine latine, « alumni » (je n’y vois aucune raison autre que le mimétisme imbécile envers l’Empire…) mais encore je rappelle obstinément que les dictionnaires sont des entreprises commerciales, dont l’un des rares avantages concurrentiels est d’attraper plus de mots « nouveaux » que les autres.
Pour preuve, cet article du Figaro (extrait) : Larousse contre Robert : dans les coulisses de la guerre des mots par Mohammed Aissaoui, mis à jour le 18/05/2016
« Le Petit Larousse et Le Petit Robert se livrent à une bataille sans merci. L'enjeu est économique et commercial – près d'un million d'exemplaires vendus chaque année. Et chacun se veut le plus moderne en intégrant toujours plus de mots nouveaux, quitte à tomber dans le piège de la mode et de l'éphémère.
C’est tout juste si on n'utilise pas des méthodes dignes de l'espionnage pour savoir ce que trame le concurrent. Il faut dire que ces encyclopédies se retrouvent dans la plupart des foyers – il s'en vend environ un million d'exemplaires chaque année ; près de 2,5 millions d'exemplaires si l'on tient compte des dérivés (junior, bilingue, poche…) ».
Autre sujet d’irritation (ou de démoralisation) : Un jeune sur dix en grande difficulté de lecture par Marie-Estelle Pech, mis à jour le 18/05/2016 dans le même Figaro.
« Après une période de baisse entre 2010 et 2013, notamment chez les garçons, la part des jeunes en grande difficulté de lecture a augmenté légèrement en 2015, et ce quel que soit le sexe, selon la Direction des études statistiques du Ministère de l'Éducation.
Selon les évaluations effectuées à l'occasion de la Journée « Défense et Citoyenneté (JDC) » qui concernait, en 2015, plus de 770 000 jeunes âgés de 16 à 25 ans, 9,9 % d'entre eux ont de « très faibles capacités de lecture », voire sont en situation d'illettrisme (Ils étaient 9,6 % en 2014). Tous se caractérisent « par un déficit important de vocabulaire ». L'étude fait en outre part d'une augmentation des « lecteurs médiocres ». Ils sont 9,4 % en 2015 contre 8,6 % en 2014. Ces jeunes sont obligés de compenser leurs lacunes de vocabulaire pour parvenir à une « compréhension minimale » des textes.
On compte 80,7 % de lecteurs efficaces en 2015 contre 81,8 % en 2014 parmi les jeunes appelés de 16 à 25 ans. Sans surprise, les difficultés de lecture sont en grande partie liées au niveau d'études : 42,7 % de ceux qui n'ont pas dépassé le collège sont en difficulté contre 3,7 % pour ceux qui ont suivi des études générales ou technologiques au lycée. Plus d'un quart des jeunes évoquant un niveau CAP ou BEP présentent également des difficultés. Comme les années précédentes, la fréquence des difficultés de lecture est, en France métropolitaine, plus prononcée dans des départements du Nord ou entourant l'Île-de-France. En région parisienne, la part des jeunes en difficulté varie de 4,6 % à Paris, à 11,5 % en Seine-Saint-Denis. Concernant l'outre-mer, les pourcentages sont nettement plus élevés : autour de 30 % pour la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion, 48 % en Guyane et 75 % à Mayotte.
Ces comparaisons « doivent toutefois être maniées avec précaution ». En effet, ces résultats concernent des jeunes de nationalité française, qui représentent environ 96 % des générations scolarisées en France, cette proportion pouvant être sensiblement différente d'un département à l'autre. De plus, les jeunes participants n'ont pas tous le même âge. Certains jeunes, en proportion variable selon les départements, ne se sont pas encore présentés à la journée défense, « et l'on sait, de par les précédentes enquêtes, qu'ils auront globalement de moins bons résultats que les autres », observe l'étude.
Le pourcentage de jeunes en grande difficulté est très différent selon le sexe : 11,3 % des garçons contre 8,4 % des filles. De fait, les garçons réussissent moins bien les épreuves de compréhension. Ils témoignent plus souvent d'un déficit des mécanismes de base de traitement du langage écrit. Les différences entre les garçons et les filles s'observent en particulier pour les niveaux d'études les moins élevés. À partir du niveau baccalauréat, les performances des garçons et des filles ne sont pas significativement différentes ».
Dernier point de ce billet : l’effondrement (programmé, consenti, laissé dans l’ombre) du français dans les institutions européennes. Le Marianne du 8 avril 2016 indiquait que « le pourcentage des documents européens qui sont rédigés en français est passé de 40 % en 1997 à 5 % en 2014 ». La messe est dite ; les Ravis de la crèche de la construction européenne et de la francophonie pourront toujours nous répéter que tout va bien, les faits sont là, déprimants… « Sur la même période, le pourcentage des documents en anglais est passé de 45 à 81 %... (La Grande Bretagne) a réussi la colonisation linguistique de l'Europe avec l’aide efficace des idiots utiles de l’intérieur ». Elle a d’ailleurs également réussi sa colonisation néo-libérale… je ne sais pas quelle est la plus grave des deux.
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Francophonie | Lien permanent | Commentaires (0)
23/05/2016
"Nord-Michigan" (Jim Harrison) : critique
La disparition d’un écrivain donne toujours lieu, pendant quelques semaines, à la mise en avant, dans les librairies, de leurs œuvres principales… Cette pratique de la compilation post mortem permet aux béotiens de découvrir l’auteur – mieux vaut tard que jamais – et à ses adeptes de compléter leur collection.
C’est ainsi que je suis tombé sur plusieurs livres de Jim Harrison que je n’avais pas lus et que je me suis offert « Nord-Michigan » (paru aux États-Unis en 1976 sous le titre « Farmer »).
On n’attire pas les mouches avec du vinaigre et donc, comme d’habitude, en quatrième de couverture, l’éditeur vantait les mérites du petit bouquin : « Sur un thème presque banal, Harrison a composé le plus simple mais aussi le plus beau de tous ses romans ». Rien de moins. Bigre…
En fait de thème « presque banal », il s’agit de l’arrivée dans la vie d’un enseignant quadragénaire passablement blasé, d’une de ses élèves de 17 ans passablement délurée et court vêtue, à qui il propose page 24 « Si on faisait l’amour ? » d’un air « dégagé » (sic !), alors qu’elle venait de lui amener son cheval en pension et de dire « Que se passe-t-il ? ». Heureusement, page 22, on avait été rassuré en lisant que « jamais, au cours des vingt années durant lesquelles il avait enseigné, il n’avait couché avec l’une de ses élèves »…
Le Joseph en question a une ferme qu’il hésite à reprendre, ayant jusqu’à présent préféré la pêche et la chasse, et une petite amie de son âge, dont il semble être amoureux mais qu’il hésite à épouser depuis six ans. Rien que du presque banal qu’on vous dit !
Voilà, c’est à peu près tout… les 222 pages de l’édition 10/18 s’égrènent au fil des ballades dans la forêt (car même la chasse et la pêche ne l’attirent plus), des retours en arrière (ah ! l’enfance ...), des verres de whisky vidés à tout propos, des considérations à deux balles sur la vie et la nature : « Tard dans l’après-midi, il atteignit un stade où il ne comprenait plus rien. Ils avaient tous été jeunes, et maintenant ils étaient soudain devenus vieux » (page 18) et aussi « Il s’était accoutumé à Catherine comme les drogués sur lesquels il avait lu des articles s’accoutumaient à leur drogue » (page 90), des retours de flamme envers la promise (Rosealee) et surtout des après-midi torrides dans l’étable, le grenier ou la voiture avec la Catherine, en jupe ou en jeans, mais toujours prompte à se déshabiller : « Monter à cheval était devenu un euphémisme pour faire l’amour, une parfaite couverture (sic !) dans un milieu où il était si difficile de trouver un alibi que la plupart des amants étaient poussés par le désespoir à la vulgarité » (page 92). Bonjour la métaphore ! C’est du Marc Lévy à l’est de Chicago, du presque banal, vous pouvez le croire.
Ce livre insipide se lit bien sûr sans difficulté et il n’en reste rien. « Il eut envie de boire du whisky mais la simple idée lui donna aussitôt la nausée ». Cette phrase profonde de la page 100 donne une idée du style fatigué de l’auteur. Jim Harrison a dû l’écrire vite son livre, dans une urgence alimentaire, en piochant simplement dans sa boîte à outils d’écrivain à succès. (Après tout je n’en sais rien…).
J’ai tout de même pris soin de mettre une demi-douzaine de petits marque-page au cours de ma lecture, comme faisait Bernard Pivot, mais sans personne à interroger ensuite :
- « Je ne ferais rien tant que tu ne m’auras pas répondu » (page 73) et « Je ne peux pas me marier tant que je n’aurais pas de travail » (page 82) (confusion classique entre futur et conditionnel présent, qui est peut-être le fait de la traductrice Sara Oudin).
- « Ses sœurs étaient toutes très excitées quand elles regardaient le taureau s’accoupler par la fenêtre de la cuisine » (page 84). Un taureau qui s’accouple, c’est presque banal ; mais par la fenêtre, ça c’est typiquement américain… Et d’ailleurs pour s’accoupler, il vaut mieux être deux…
Je plaisante ! J’ai cité cette phrase de la page 84 uniquement pour rappeler la différence qu’il faut faire entre :
o « ses sœurs étaient (toutes) (très excitées) » (où « toutes » fait référence au nombre des sœurs et au fait qu’elles réagissaient pareillement)
o et « ses sœurs étaient (tout excitées) » (où « tout » est un adverbe invariable qui est synonyme de « beaucoup » ou « très »).
- « Emmènes donc Rosealee pour un joli voyage de noces… Il y plein de montagnes là-bas » (page 100). Admettons que ce sont des coquilles…
- et que dire de « dans l’encadrure de la porte » (page 111), au lieu de « encadrement » ?
- il y a même des phrases incompréhensibles : « il put voir le toit de la maison baigné par le clair de lune et l’allée, en partie de la lumière par les érables, prenait elle aussi des reflets argentés… » (page 167).
Ce livre est donc une grosse déception, et qui rejaillit sur l’auteur, pourtant célèbre et apprécié par moi (voir mon billet du 4 avril 2016). Première conséquence : j’en ai fait un paquet avec « Dalva » et « La route du retour », paquet destiné à une brocante ou à la revente sur internet. Après tout, Pierre Magnan est bien parti pour sa maisonnette de retraite avec seulement les vingt-cinq livres qu’il relisait tout le temps…
07:30 Publié dans Écrivains, Harrison Jim, Littérature, Livre, Roman | Lien permanent | Commentaires (0)
19/05/2016
L'Académie française m'écrit (sur "aucun")
En (digne ?) fils spirituel de Raymond Devos, j’ai toujours pensé que « rien, c’est pas rien, puisqu’il y a moins que rien » ; en conséquence, que « aucun », représentant le vide et le zéro, ne devait s’écrire qu’au singulier.
Mais il me fallait en avoir le cœur net ; j’ai donc envoyé à l’Académie le courriel suivant :
-----Message d'origine-----
Je lis dans une revue financière : "la compagnie ne prélève aucuns frais à l'entrée".
Le pluriel sur "aucun", qui est d'ailleurs illogique puisque "aucun" c'est "zéro"..., m'a surpris.
Qu'en est-il de "aucun" ?
Et voici la réponse du Service du Dictionnaire (« Dire, ne pas dire ») :
Monsieur,
L’adjectif aucun ne s’emploie au pluriel que devant des noms qui n’ont pas de singulier ou, dans quelques rares cas, qui changent de sens au pluriel.
On écrira ainsi : sans aucuns frais, sans aucuns ciseaux mais sans aucun bruit et sans aucune nouvelle.
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Règles du français et de l'écriture | Lien permanent | Commentaires (0)