13/05/2019
Les mots français à la mode VIII
Ethniciser, essentialiser, dystopies… aucun de ces mots ne figure bien sûr dans mon Larousse en deux volumes des années 20 !
Dans « Macron, un mauvais tournant » (2018), Les Économistes atterrés titrent en page 58 : « Le travail et l’entreprise liquides : les dystopies macroniennes ». Le TILF ne connaît pas non plus ce mot. Reste le Larousse en ligne qui nous dit : « société imaginaire régie par un pouvoir totalitaire ou une idéologie néfaste, telle que la conçoit un auteur donné ».
Les mêmes parlent plus loin de classes populaires « ethnicisées ». Et le Larousse traduit : « Définir quelque chose d'un point de vue ethnique : ethniciser les violences urbaines ».
Enfin, réglons son compte à « essentialiser », que les journalistes parisiens adorent. Cette fois, il n’y a que le TILF qui nous dit :
« On rencontre dans ROB. Suppl. 1970 le verbe transitif essentialiser, qui signifie en philosophie tirer une essence d'une existence. Le propre de l'existence, c'est de se donner à elle-même une essence, c'est-à-dire de retrouver un accès vers cet être qui est le lieu même de l'essence. Ce n'est pas à l'essence qu'il appartient de s'existentialiser. C'est plutôt à l'existence qu'il convient de s'essentialiser (L. LAVELLE, Introduction à l'ontologie, Paris, P.U.F., 1947, p. 83) ».
C’est clair.
07:00 Publié dans Actualité et langue française, Société, Vocabulaire, néologismes, langues minoritaires | Lien permanent | Commentaires (0)
21/02/2019
Les mots français de toujours I
Il y a aussi des mots anciens – des mots de toujours – que l’on a oubliés, déformés ou utilisés de travers. En voici quelques-uns, repérés au fil des jours.
« Chafouin » a pour féminin « chafouine », mot dialectal de chat et fouin, masculin de fouine, « se dit d'un visage sournois et rusé » (Dictionnaire Larousse en ligne).
Une embrasse est un « lien de passementerie destiné à relever un rideau ou une draperie en son milieu vers le côté » (Dictionnaire Larousse en ligne). Longtemps, j’ai cru que ce morceau de tissu s’appelait une « embrase »… Pourtant il s’agit bien d’embrasser (le rideau) !
Encore plus fort : pour moi « Chabler » était du patois vosgien qui signifiait donner un coup », voire « faire tomber » au football, avec l’idée d’agression (une sorte de tacle volontairement méchant). Que nenni ! Chauler, de l'ancien français chaable, catapulte, est un synonyme de gauler, qui signifie « battre les branches d'un arbre avec une gaule pour en faire tomber les fruits, telles les noix » (Dictionnaire Larousse en ligne). Comme on le voit, la confusion est excusable.
Le mot « tentacule » est bien sûr masculin (un tentacule) et non pas féminin.
28/01/2019
Les mots français à la mode V
Voici une expression fort en vogue qui m’irrite profondément : « mais pas que ».
Comment analyser et comprendre sa fortune ?
D’abord on pense que c’est l’omniprésent souci de concision et de rapidité, jumelé avec la propension du français à « couper » les mots et les expressions après leur début ou leurs premières syllabes (par exemple : « prof » au lieu de « professeur », « en transports » au lieu de « en transports en commun », etc.). Mais, outre que le tic a saisi à la fois des gens objectivement pressés et des gens qui ont le temps, le gain en rapidité par rapport aux formules correctes (« pas uniquement » ou « pas seulement ») est très faible, voire nul.
Dans un second temps j’ai pensé à l’attraction (involontaire) de la formule inventée par Raymond Devos dans un célèbre sketch (désolé pour le franglicisme…) : « encore que… ». Mais pour l’incomparable humoriste, il s’agissait de conclure une remarque en la modulant par un doute (et un sourire malicieux). Pour nos charcuteurs modernes de la langue, la contraction sert au contraire à introduire, le plus rapidement possible pensent-ils, une énumération ou une argumentation complémentaires.
J’ai pensé aussi, par analogie, à un tic du Parti communiste (MM. Marchais, Krasucki et autres), assez largement adopté depuis lors par des hommes politiques, qui consistait à utiliser l’expression « y compris », non pas, après une affirmation, pour la compléter en la détaillant ou pour insister sur le fait qu’elle incluait bien, qu’elle « embarquait » bien telle ou telle catégorie (par exemple : « tous les salariés, y compris ceux qui ne bénéficient que d’un contrat à durée déterminée »), mais directement et sans complément dans la phrase principale (par exemple : « cette mesure doit concerner y compris les salariés », ce qui n’a aucun sens).
Bref, c’est du langage politico-journalistique, qui comme tous ses avatars vise à se montrer moderne et efficace. Normal quand on a la chance de contribuer à l’essor de la start-up nation.
Cela me fait penser, par ricochet, à ma bête noire, dont je ne sais plus si j’en ai déjà parlé dans ce blogue : « juste ». Pour le coup, il s’agit d’un servile emprunt à l’américain (par exemple : le fameux « Just do it » ou le torride « I’m just a gigolo » pour les plus âgés…).
En français, du moins tel qu’on nous l’a appris à l’école primaire et au collège, via d’innombrables lectures et dictées, le mot « juste » (indépendamment de son appartenance au champ du mot « justice ») signifie « voisin », « proche », « à peu de choses près » : « je suis arrivé juste à temps pour monter dans le train qui allait partir », « je suis arrivé un peu juste », « le pot de confiture est rangé juste au-dessus des cornichons », etc.
Or il est quasi exclusivement utilisé aujourd’hui, surtout par les personnes de moins de quarante ans, à la place de « uniquement », « seulement ». Par exemple, « C’est juste injuste » a le sens de « C’est tout simplement injuste » mais n’a aucune justification syntaxique ! Encore une fois, on se demande « pourquoi un tel succès ? »… J’y vois deux raisons : l’américanisme et la concision (une seule syllabe prononcée au lieu de deux ou trois).
Tout ça pour ça ?