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09/12/2014

Écrivains contemporains et langue française : Jacques Chauviré (VII)

Les Grands de la littérature, je les vois en cercles concentriques ou en pyramide : au centre (ou au sommet), les Intouchables, les Géants : Hugo, Balzac, Proust, Zola sans doute, Flaubert peut-être, que je n’ai pas lu... Dans le deuxième cercle, mais tout près, soit parce qu’ils sont moins universellement reconnus, soit parce que leur production romanesque est d’envergure plus modeste : Giono, Garcia-Marquez, Durrell, Camus, Gary, Albert Cohen…

À la périphérie (ou à la base), les écrivains à la mode, les écrivains pour la plage ou le métro, l’hypermarché Leclerc de la littérature : Musso, Marc Lévy et tous les autres…

Et entre les deux, un peu confidentiels, ceux que j’ai découverts par moi-même, au premier rang desquels Magnan et Chauviré.

La langue et l’inventivité épique du premier ont quasiment toutes les qualités de celles de Giono ; seulement, il y avait Giono… toujours la prime au premier sur le marché, comme dans la mondialisation !

 

Le second a souffert d’entrer fort tard en littérature, à l’issue des quarante ans de sa carrière de médecin généraliste dans une petite ville de Saône et Loire. Mais, en quelques années, encouragé par Camus, et influencé par lui, il a publié quelques romans remarquables, et aussi des nouvelles, inspirés de sa pratique et de sa propre histoire.

 Élisa Jacques Chauviré.jpg

Jacques Chauviré manie à la perfection la concision (les phrases de 15 mots !), la précision, le rythme de l’écriture, au service d’un talent de conteur et d’humaniste. Tout cela culmine en deux sommets de son art : « Les mouettes sur la Saône » (1980), souvenirs d’enfance, et « Élisa » (2003), nostalgie d’un amour d’enfant.

Il a aussi écrit un livre sur la guerre de 14-18, qui a fait mourir son père sur les champs de bataille, « La terre et la guerre » (1964).

 

Modeste, généreux, attentif aux souffrances des hommes et pudique, Jacques Chauviré a écrit lui-même sa biographie dans la postface de deux nouvelles terribles « Fins de journées » (1990). En voici quelques extraits :

 

« Dérives et naufrages sont dans la nature de l’homme. Je ne crois guère à l’innocence. Mais la pitié et le pardon appartiennent à tous »…

« Je suis issu d’un milieu modeste où comptait la notion du bien et du mal »…

« En 1942, je me suis installé à Neuville-sur-Saône comme médecin généraliste. J’y suis resté quarante ans. Les fenêtres de mon bureau donnaient sur la rivière »…

« Après avoir exercé pendant quelques années et après avoir beaucoup lu, il m’a paru nécessaire et naturel de m’interroger sur le sens de mon métier. J’avais, au fil du temps, appris que le médecin perd toujours »…

« Un soir d’été, j’écrivis à Albert Camus qui me répondit. De là naquit une correspondance »…

« Le ton de l’Étranger, la voix qui murmure dans la Chute, l’écriture d’Un cœur simple n’ont cessé de me poursuivre et de me préoccuper. D’autres m’ont aussi accompagné, et d’abord Baudelaire et Racine, puis Saint-Simon, le Rousseau des Confessions et des Rêveries, Proust. Et, proches de nous, Cioran et Le Clézio ».

« Il est vrai que mes livres n’ont pas de héros et que leurs personnages sont gens du quotidien. Ce sont eux que j’ai rencontrés. Ils m’ont paru dignes d’intérêt parce que simples, pudiques et souvent fidèles ».

01/12/2014

Jean d'O., on t'aime (addendum)

Marin de Viry, un vrai critique littéraire, lui, a publié dans le Marianne du 9 juin 2012, une analyse que je trouve très pertinente, bien qu’assez sévère, de l’œuvre de Jean d’Ormesson, à l’occasion de son « entrée » dans la collection Bouquins (six romans).

Bien mieux que je n’aurais pu le faire, il distingue deux « manières » dans la prose de notre Jean d’O. :

« Quand (il) produit lui-même la fiction : (c’est un) ronron extatique. Quand nous avons des histoires ou des vies extérieures à son imagination : l’auteur tend le jarret pour se mettre à la hauteur de son sujet – et quels sujets : Chateaubriand, les sœurs Mitford, l’histoire de sa famille – et fait de petits bonds pour le surplomber ».

 

Jean d'Ormesson jeune.jpg

« (Dans le premier cas), c’est toujours l’été (…), l’érotisme traîne, l’amour est compliqué… ; vous rajoutez des pinèdes, des cyprès, de l’autodérision de fils de famille, des jeunes femmes prises à la taille qui égrènent des propos spirituels sur un coin de table… ».

 

« Je suis probablement nul mais je le dis si bien que je vous laisse me trouver très brillant si ça vous chante ».

 

« Cette aristocratique mise à distance signe son ralliement à une génération d’auteurs qui sont autant de royaumes indomptés : Morand, Nimier, Dutourd, Druon, etc. ». J’ajouterais bien Michel Déon à tous ces dandys qui semblent vivre de l’air du temps et balader partout dans les lieux à la mode leur éternelle jeunesse.

 

« Au total, c’est une machine à ne voir que l’agréable en tout ».

 

« D’Ormesson a inventé l’errance dans la lumière ».

 

« Mais personne ne songe à se faire rembourser le spectacle : c’est ça qui est fort ».

 

Jean d'Ormesson âgé.jpg

Je suis d’accord avec tout cela : les lecteurs habituels du Figaro et les spectateurs assidus de Vivement dimanche l’adorent. C’est tout de même mieux de Marc Lévy et Guillaume Musso, non ?

27/11/2014

Écrivains contemporains et langue française (V) : Jacqueline de Romilly

L’académicienne Jacqueline de Romilly, (1913-2010), première normalienne à l’École de la rue d’Ulm et helléniste de renom, lauréate du Concours général la première année où les filles pouvaient concourir, agrégée de lettres, docteur ès lettres, première femme professeur au Collège de France, première femme membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, a publié en 2007 « Dans le jardin des mots » (Éditions de Falloix).

En voici quelques extraits.

« Ainsi l’habitude veut que l’on lie les mots entre eux par la prononciation (…). Des fautes de liaison peuvent donc être graves (…). Peut-on imaginer de dire mes_amis sans faire de liaison ? peut-on parler d’un_homme sans la faire ? (…). Je comparerais volontiers ceux qui massacrent les liaisons et les mettent au petit bonheur, à ceux qui sont atteints d’ataxie locomotrice. Oui, c’est là une maladie… ».

« Trouver le mot juste n’est point un snobisme mais le goût de la précision ».

« Les bizarreries apparentes de notre langue s’expliquent, comme celles qui concernent les racines mêmes des mots, par l’histoire de la langue ».

« Les lectures, les connaissances pêchées ici ou là, tout contribue à cet enrichissement des mots. Même nos souvenirs personnels, même ceux de conversations, de mots entendus, de paysages aimés. Il faut d'abord employer les mots correctement, ensuite les reconnaître dans leur histoire même, et enfin, s'entraîner à percevoir, à l'usage, toutes les résonances poétiques que peut leur apporter ce retentissement secret ».

J. de Romilly incarnait une conception exigeante et humaniste de la culture. Elle a laissé une œuvre considérable sur Athènes d’où « tout est sorti brusquement » : la philosophie, l’histoire, la tragédie, la comédie, les sophistes. « Je regrette que l’on n’œuvre pas suffisamment pour ce qui développe la formation de l’esprit par la culture, par les textes et l’intimité avec les grands auteurs, perdant ainsi un contact précieux avec ce que les autres ont pensé avant nous ». « Pourquoi tirerait-on davantage d’une rencontre avec n’importe qui, que d’un tête-à-tête avec Andromaque ou Hector ? ».

L’historien grec antique Thucydide était l’un des « hommes de sa vie ». elle a beaucoup travaillé aussi sur Homère, Eschyle et Euripide.

Voici le titre de sa thèse de doctorat, sur Thucydide : Ο Θουκυδίδης και ο αθηναϊκός ιμπεριαλισμός : Η σκέψη του ιστορικού και η γένεση του έργου / Jacqueline de Romilly · μετάφραση Λύντια Στεφάνου · επιμέλεια Κώστας Τσιταράκης. - 4η έκδ. - Αθήνα : Παπαδήμας

Pour elle, le grec ancien devrait être accessible à tous. Et elle a souffert énormément depuis quelques dizaines d’années de voir l’étude de cette langue décliner (Hélène Carrère d’Encausse).

Comment débute une telle carrière ?

En 1934, elle a 21 ans, sa mère, la romancière Jeanne Malvoisin, lui offre une édition bilingue – grec et latin – de Thucydide, en sept volumes, en lui disant : « Ce serait bien que tu fasses un peu de grec pendant les vacances ». Avis aux amateurs de jeux vidéo et aux accros des séries américaines…

Jacqueline de Romilly a consacré un livre à sa mère, en 1977 : « Jeanne ».

 

Source : le Figaro, 19 décembre 2010.