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18/12/2014

Écrivains contemporains et langue française : Éric Orsenna (IX)

Il y a des Académiciens dont on se demande ce qu’ils font : pas Jean d’Ormesson (qui vibrionne sur les plateaux de télévision et se délecte d’entendre les animateurs passe-plats ressasser qu’il serait l’écrivain préféré des Français…), pas Max Gallo ni Dominique Bona qui enchaînent qui des livres d’histoire, qui des biographies, pas Dominique Fernandez ni Jean-François Rufin qui publient de temps à autre un petit livre original… Michel Serres publie beaucoup.

Mais l’Ex ? que fait-il ?

Et Jean-Loup Dabadie, élu alors que Charles Trénet avait été retoqué à l’époque, et qui a écrit tant de belles paroles de chansons et de scénarios bien troussés, avant d’en être ?

Michel Déon se promène certainement en Irlande ; quant à Michael Edwards, élu sans doute pour montrer que l’Académie est ouverte au monde de l’understatement, il a publié en 2014 « Le génie de la poésie anglaise » ; faut le faire tout de même, quand on est hébergé chez Richelieu !

Et tous ces inconnus du grand public ? François Cheng, Jean Clair, Florence Delay ?

Bien sûr, il y a la Commission du dictionnaire…

Bien sûr, il y a les discours de réception des petits nouveaux : je discours en arrivant et tu me réponds… ça fait du boulot !

 

Eric Orsenna.jpgOn ne peut pas reprocher à Éric Orsenna de dormir sur ses lauriers !

Il est apparu en plein jour grâce au Prix Goncourt pour l’Exposition coloniale en 1988 et comme plume éphémère de François Mitterrand, Président de la République.

Son CV est étonnant par sa diversité de compétences affichées et de postes honorifiques, signe d’un génie du réseautage : entre hypokhâgne à Versailles et l’IEP, Wikipedia ne dit rien mais on le retrouve enseignant-chercheur en finance internationale… et la biographie cite en vrac l’ENS, la London School of Economics, l’École nationale du paysage, puis Canal+ et j’en passe. Il est nommé (mais comment donc ?) au Conseil d’État, ce qui lui assure position de repli et retraite… Un catalogue de la nomenklatura parisienne.

Son prénom et son nom sont amusants : ce que j’écris Éric s’écrit en fait Erik, alors que ses origines sont cubaine et luxembourgeoise. Quant à son patronyme, c’est un nom d’emprunt (à Julien Gracq), qui cache Arnoult, qui va si bien avec Éric.

 

Quoiqu’il en soit, il butine d’un organisme à l’autre et écrit sur les sujets les plus divers, mais défend avec fougue, il faut le dire, la langue française (voir mon billet Émerveillement). On connaît la série « La grammaire est une chanson douce » (2001), « Les chevaliers du subjonctif » (2003), « La Révolte des accents » (2007), « La Fabrique des mots » (2013), suite et fin de sa saga sur la grammaire, qui est somme toute une belle idée.

Mais il y a son filon « économico-écolo » : Portrait du Gulf Stream. Éloge des courants : promenade, Voyage aux pays du coton. Petit précis de mondialisation, Salut au Grand Sud, avec Isabelle Autissier, L’Avenir de l’eau, Sur la route du papier.

 

Et il y a eu aussi, depuis 1974 : Rêves de sucre, Besoin d’Afrique, Grand Amour, Mésaventures du paradis : mélodie cubaine, Rochefort et la Corderie royale, Deux étés, Longtemps, Madame Bâ et sa suite Mali, ô Mali, Dernières nouvelles des oiseaux, Le Facteur et le Cachalot, Les Rois Mages, La Chanson de Charles Quint, Courrèges, Et si on dansait ?,L'Entreprise des Indes, Princesse Histamine

(Source Wikipedia et Académie française).

 

J’ai lu "Histoire du monde en neuf guitares" qui met en scène les idoles de toute une génération (la sienne) : Hendrix, Clapton… et de la précédente (Django). C’était une bonne idée, pas vraiment développée. Une bonne idée, c’est tout.

 

Son « Portrait d’un homme heureux : André Le Nôtre » m’a beaucoup plu. Le sujet est passionnant (l’épopée de Versailles sous Louis XIV et de la pléiade de génies dont il avait su s’entourer). Le style d’Éric Orsenna me fait penser à celui de Pascal Quignard, très sobre. Un très bon moment (merci à SES de me l’avoir fait découvrir). Cela étant, l’exercice était un peu facile car le livre est très court, répétitif et sans réel approfondissement.

 

Le « Voyage au pays du coton » est un livre bizarre, disons original : c’est un tour du monde, sous forme d’anecdotes et d’aphorismes, souvent intéressants. Je trouve qu’il est resté à la surface des choses et, quant aux aspects économiques, c’est lapidaire et simpliste. Son style est sobre, voire sans relief. Ça ne m’a pas déplu néanmoins.

 

Juger un écrivain aussi prolixe sur trois livres, serait injuste et malhonnête. Et il me reste à lire l’Exposition coloniale. Mais je serais prof., je noterais dans la marge de ses copies : « Éric Orsenna, faites-en moins, moins souvent mais approfondissez ! ». Serait-il le Jean d’O. de la mondialisation, coqueluche sans particule du peuple avide de connaissances encyclopédiques ?

12/12/2014

Émerveillements II : quel livre a changé votre vie ?

J’avais prévu de vous parler de lisibilité, de mémorisation et de graphie… Ce sera pour un autre jour car l’actualité prime.

Hier, en effet, François Busnel nous conviait, dans sa Grande Librairie sur France 5, à la révélation du classement des livres plébiscités par le plus grand nombre de téléspectateurs.

Et les téléspectateurs ont répondu !

Le petit prince.jpgPeu importe que le classement final propulse « Le petit prince » d’Antoine de Saint Exupéry en n°1…

Peu importe que Jean d’Ormesson, pétillant et souriant comme d’habitude, en ait été déçu et se soit d’ailleurs fourvoyé sur le sens de l’émission : l’essentiel n’était pas que son Panthéon personnel (Proust, Homère et Cervantès) gagne le concours mais de voir quels sont les livres les plus marquants pour les Français d’aujourd’hui !

Peu importe que Amélie Nothomb ait été incapable de parler de ses goûts littéraires et ait multiplié les moues et les rictus fort peu photogéniques ; que Jean Teulé en ait rajouté à son personnage paillard et grossier, passant cinq bonnes minutes à nous raconter des inventions pataphysiciennes de Boris Vian  (à noter que Jean Teulé partage mon indifférence à Madame Bovary, qui l'a profondément ennuyé) ; qu’au total les invités parisiens et médiatiques habituels en aient fait des tonnes, en particulier Éric Orsenna…

Voici les 20 livres qui ont changé votre vie : 

1 -  "Le petit prince" - Antoine de Saint-Exupéry

2 -  "L'étranger" - Albert Camus

3 -  "Voyage au bout de la Nuit" - Louis-Ferdinand Céline

4 -  "L'écume des jours"  - Boris Vian

5 -  "A la recherche du temps perdu" - Marcel Proust

6  - "Le Grand Meaulnes" - Alain Fournier

7  - "L'alchimiste" - Paulo Coelho

8 - "Belle du seigneur" - Albert Cohen

9 - "Cent ans de solitude" - Gabriel García Márquez

10 -  "Les Fleurs du Mal"  - Charles Baudelaire

11 - "La Peste" - Albert Camus

12 – « Harry Potter » - J. K. Rowling

 3 - "1984" - George Orwell

14 - "Le monde selon Garp" - John Irving

15  - "Crime et Châtiment" - Fiodor Dostoïevski 

16  - "Le seigneur des Anneaux" - J.R.R. Tolkien

17  - "Le Parfum" - Patrick Süskind

18  - "Le journal d'Anne Frank" - Anne Frank

19  - "Madame Bovary" - Gustave Flaubert

20 - "Les Misérables" - Victor Hugo

Cette émission était très importante parce que, à une heure de grande écoute, elle parlait de littérature et, bien plus que cela, elle montrait l’engouement persistant des Français pour les livres.

À la question qui motivait cette enquête : quel livre a changé votre vie ?, les téléspectateurs ont apporté des réponses concrètes et souvent très émouvantes ; un livre de Maxence Vandermeersch a décidé un ajusteur à devenir médecin ! La Peste et l’Étranger ont marqué beaucoup de lecteurs, on le sait. « Lire pour vivre » disait Flaubert ; on y est. Et cela fait autant d’éléments et d’arguments pour ce blogue qui s’intéresse en particulier à savoir à quoi sert la littérature.

Dans le classement, on retrouve, évidemment, tous les chefs d’œuvre dont on parle ici : La recherche du temps perdu, Belle du Seigneur, Cent ans de solitude

On n’y voit ni Sartre ni les Prix Nobel français ni la littérature de plage… quel bonheur ! et on est passé très vite sur Paulo Coelho, qui n’en valait pas plus. On peut discuter du podium obtenu par le « Voyage au bout de la nuit » de Céline, qui est loin de m’avoir emballé, et même de la quatrième place de « L’écume des jours » de Boris Vian, que j’ai adoré mais qui supplante Proust, Garcia-Marquez, Baudelaire et Hugo.

Autre moment fort : les personnes qui ont changé votre vie. Plusieurs témoignages ont fait état de l’importance de certaines rencontres et, en particulier, très souvent, d’un professeur de lycée. Un souvenir personnel ? En Terminale, je m’accrochais pour rester dans les cinq premiers en mathématiques mais je me réjouissais des cours d’histoire (ah ! Élisabeth L.…) et surtout de français. J’avais choisi l’option « français » plutôt que « philo » ; résultat, je n’ai jamais fait de philo de ma vie mais Proust m’est tombé sur la tête ; cela m’a valu quelques copies notées 18 ou 19, avec la mention « écrivez moins dense et préservez les marges »... J’ai dévoré « La Recherche » pendant l’été qui a suivi et depuis, je n’ai pas trouvé mieux.

Un seul conseil donc à ceux qui travaillent tard ou se couchent tôt : revoir La Grande Librairie sur le site de France 5 !

10/12/2014

Écrivains contemporains et langue française : Jacques Chauviré encore (VIII)

La Saône de J. Chauviré.jpgDonc, Jacques Chauviré, après une période de doute consécutif à la disparition de l’un de ses petits patients, commence à écrire sur le conseil d’Albert Camus, avec qui il correspond. Écrivant la nuit, en marge de son métier, il publie cinq livres, sans grand succès, entre 1958 et 1980, date à laquelle il prend sa retraite et arrête d’écrire. Il se retire dans la maison familiale des bords de Saône.

En septembre 2003, après vingt ans de silence donc, il publie « Élisa », le court récit de l’amour d’un enfant pour la jeune fille qui le garde. Jacques Chauviré, qui a alors 88 ans, a l’impression de rajeunir ; c’est le succès littéraire. Je découvre ce livre fin décembre 2004 et je m’enthousiasme pour ce condensé du « Messager » et de « l’Amour au temps du choléra ». J’écris dans mes notes : « vivement la suite », sans savoir que c’est le dernier ouvrage du Docteur Chauviré, qui disparaît  le 7 avril 2005.

La suite ? C’est dans les « Mouettes sur la Saône » qu’il faut la lire, un chef d’œuvre de sensualité selon Jérôme Garcin (dans son article du Nouvel Observateur de décembre 2003 dont j’ai extrait quelques éléments de ce billet). Ce n’est qu’en juillet 2008 que j’ai dévoré ce gros roman sur l’enfance, la campagne, la maison de vacances l’été, l’ancien temps, la France des années 20 ; poésie, nostalgie, caractères évoqués aux destins originaux… un très grand livre.

Plus tard, j’ai lu également « La Terre et la Guerre », qui n’atteint pas le même pouvoir d’émotion. On retrouve le leit-motiv de l’eau du fleuve et des étangs mais j’ai eu l’impression d’une paraphrase de J. Chauviré par lui-même. Le sujet – une fresque de la Première guerre mondiale, en hommage à son père – était peut-être trop ambitieux ?

 

Voici encore quelques lignes de Jacques Chauviré :

« Je suis maintenant très vieux. Certains s’interrogent. Il y a parfois des conciliabules autour de moi…

Je me souviens. Ma mère, Élisa qui me furent chères et le demeurent ne sont plus, au mieux que des âmes… Alors je suis en deuil et l’enfant-vieillard ou le vieillard-enfant que je suis devenu ne sait plus très bien ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas ».