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20/06/2015

Revue de presse : Alternatives économiques

Alternatives économiques est une revue mensuelle très intéressante à plus d'un titre (!). Parce qu'elle aborde l'actualité économique sous un angle bien différent de la pensée unique à la Thatcher (TINA et compagnie) et aussi parce qu'elle est produite par une entreprise d'un type original, une SCOP.

Sa présentation est de qualité, la forme mettant bine en valeur le fond. Il m'a semblé cependant qu'elle cédait un peu trop souvent à la facilité (illusoire) et à la mode (qui fait vendre ?) du franglais.

Aussi ai-je décidé de passer au peigne fin le numéro 343 de février 2015. En voici le résultat.

Milton Friedman.jpgOn n'insiste pas assez, me semble-t-il, sur l'importance cruciale de la ponctuation, en particulier des indispensables virgules, pour la lisibilité et la clarté des écrits. Que penser par exemple de cette phrase, attribuée, page 57, à P.-Y. Gomez et H. Korine, dans leur livre "L'entreprise dans la démocratie" (De Boek, 2009) : "Qui a et au nom de quoi le droit de diriger les entreprises ?". La succession de "a", "et" et "au" sans ponctuation est saugrenue et nuit à la bonne compréhension de l'idée au premier coup d'œil. En l'occurrence, l'idée principale est la suivante : "Qui a le droit de diriger les entreprises ?" et l'idée secondaire, la question qui viner quand on a répondu à la première : "Au nom de quoi ces personnes ont-elles le droit de diriger les entreprises ?". Il convient donc de mettre "à part" cette seconde question, en l'encadrant par des virgules à l'intérieur de la première : "Qui a, et au nom de quoi, le droit de diriger les entreprises ?". Le contenu de l'article est intéressant, si l'on supporte les multiples références au terme corporate governance. On est, par exemple, soulagé d'apprendre que Milton Friedman, le pseudo-Prix Nobel d'économie 1962, au nom duquel le néolibéralisme met des pays à genoux depuis cinquante ans (voyez le sort de la Grèce depuis 2010), affirmait que "la seule responsabilité des dirigeants de l'entreprise est d'accroître les profits pour les actionnaires".

Page 62, c'est tout à fait autre chose : "Faut-il brûler les incinérateurs ?". Je trouve qu'il commence bien avec un doux souvenir de la langue d'antan, puisqu'il appelle les fabricants de plâtre "les chaufourniers". Mais très vite, il parle de "médiatiquement correct", décalque de l'envahissant "politiquement correct", lui-même décalque, à la fois syntaxique et sémantique de l'américain politically correct. Depuis quand installe-t-on un adverbe devant un adjectif ? Je n'ai pas d'exemple à l'esprit… et je me dis que la forme normale serait "Ce comportement est, politiquement, incorrect" ou bien "Politiquement, ce comportement est incorrect", rétablissant ainsi les attributs habituels : l'adjectif se réfère au sujet, l'adverbe au verbe. Encore une histoire de virgule donc...

Dans le même article, un encart s'attarde sur l'expression "zéro déchet", apparue en France, dit l'auteur, il y a environ un an (donc début 2014). Sachant que j'allais lire son texte, il se permet une considération linguistique : "Traduction imparfaite de l'anglais zero waste…". Mais n'en dit pas plus. En revanche, sur le fond, on apprend que "personne n'a démontré qu'on pouvait être plus riche, tout en produisant moins de déchets".

Plus grave, le raisonnement incohérent (Cécile L. dirait : une aporie) : un encart précise que les dioxines sont des molécules toxiques produites lors de la combustion de matières contenant du chlore. Et dix lignes plus loin, l'article explique que les incinérateurs produisent bien moins de dioxines que le secteur résidentiel-tertiaire, en raison en particulier du chauffage au bois ! Depuis quand le bois de chauffage contient-il du chlore ?

Et je passe sur le titre "Les chanteurs victimes du streaming".

 

19/06/2015

Dis-moi ta bibliothèque, je te dirai qui tu es (II)

La construction du livre de Cécile Ladjali "Ma bibliothèque" est remarquable car elle ne se voit pas, elle n'est pas ouvertement "cartésienne" ni didactique.

C'est une promenade entre ses rayonnages, à travers la littérature qu'elle aime, avec des souvenirs, avec l'évocation de passions littéraires, avec des analyses et des anecdotes sur les auteurs de son Panthéon personnel.

Avec aussi sa façon à elle d'acheter, de lire et de classer ses livres. Ainsi :

"L'escalier me sert de bibliothèque provisoire. À l'endroit où les marches présentent la surface la plus large, je dépose les derniers livres achetés après m'être adonnée à un petit rituel. Toujours le même. Sur la page d garde, j'écris mon nom, la date et le titre du texte que je suis en train d'écrire… Et puis il est amusant, en rouvrant un roman des années après, de se souvenir dans quel état nerveux nous étions alors, quelle était notre rapport au sens, au temps, au dire, puisque l'œuvre avait été choisie une perlière fois pour aider à la rédaction du texte en cours. Il n'est pas rare que je lise cinq volumes tout frais débarqués de la librairie en même temps, ce qui me conduit à leur trouver des correspondances légitimes, alors qu'aucun lien naturel ne m'y autorise en principe. Mais l'escalier-bibliothèque est le tronc d'un arbre généalogique. C'est lui qui diffuse la sève vers les branches-fouillis au bout desquelles fleurissent les familles d'écrivains que j'invente en lisant. Une fois la lecture de chaque œuvre achevée, je la range dans la bibliothèque et en replace de nouvelles sur les marches de l'escalier". Suit un page de titres et d'auteurs...

"La bibliothèque ajaccienne est petite. Pour y accueillir une centaine d'ouvrages, j'ai reconverti un buffet Art décor. Devant le rectangle du miroir qui surmonte le meuble en bois très sombre, sont posés les livres, si bien qu'on ne voit plus son tain… En Corse, je lis et j'écris beaucoup. Je lis pendant les siestes. J'écris tôt le matin, entre 6 heures et 9 heures. Lorsque le soleil monte, je sais que je ne suis pas la seule à inventer un nouveau roman".

Dans son livre, on découvre aussi que de nombreux écrivains se sont intéressés à leur bibliothèque ou aux bibliothèques en général.

Par exemple "Cette ordonnance des formes m'évoque la belle couverture du livre de Jacques Bonnet, Une bibliothèque pleine de fantômes (Éditions Denoël), où ce sont les livres ordonnés sur une cheminée de marbre blanc qui apparaissent de façon magique dans le miroir fixé au trumeau".

Mais aussi Hermann Hesse "Une bibliothèque idéale", George Steiner "Les livres que je n'ai pas écrits", Henry Miller "Les livres de ma vie", Brian Stock "Bibliothèques intérieures", et sans parler de Umberto Eco, dont le livre célèbre "Le nom de la rose" est une sorte de métaphore de La Bibliothèque...

 

18/06/2015

Cécile, ma sœur (XIII)

Moi, j'aime bien Cécile Ladjali, je l'ai assez montré : ses convictions pédagogiques, sa passion pour la littérature, sa boulimie...

En revanche, je n'apprécie pas toujours sa façon d'écrire, sa syntaxe que je trouve bancale (j'y vais sur la pointe des pieds car je ne suis pas agrégé de lettres modernes).

Voici encore quelques exemples dans lesquels l'ellipse et le "clavier mal tempéré" nous laissent perplexes devant des périodes incompréhensibles.

"Si, dans le maëlstrom de l'alambic, le plomb devient or, les successives anamorphoses d'Orlando le conduisent, de chapitre en chapitre, à une révélation quintessenciée de lui-même. Dans un même mouvement, la forme romanesque atteint la perfection au gré des scories épinglées par son héros sur la ligne violette d'un horizon à lire".

Virginia Woolf.jpgCe passage est extrait du chapitre "Visage" sur Virginia Woolf, qu'elle a l'air de révérer. Mais qu'elle ne nous donne pas vraiment envie de lire...

En fait ces "Visage" sont de petites monographies, des essais qu'elle consacre à "ses" écrivains favoris : Baudelaire, Emily Dickinson, Dostoïevski, Ingeborg Bachman, George Steiner et Linda Lê. Ils sont pour moi incompréhensibles, manque de "fond littéraire" dans ma culture sans doute.

 

J'aime bien celle-ci également (page 117) : "Celan était un fleuve amoureux, Bachmann la flamme d'un ciel impatient, et le chant amoebée que cousaient ensemble les œuvres contrapuntiques des deux amants laissait résonner l'étrange effroi des âmes circonspectes attendant l'aube".

On a beau savoir que Paul Celan était un poète allemand qui s'est jeté du Pont Mirabeau dans la Seine en 1970 (quelle année !) et Ingeborg Bachmann écrivain, fille d'un Nazi autrichien, brûlée vive à Rome en 1973 (quelle année !) et que ces deux-là, marqués par l'eau et le feu, furent amants pendant dix ans, la phrase de C. Ladjali est quand même complexe.

À part quelques coquilles, dues probablement à l'éditeur, il y a une drôle d'erreur dès le prologue. Cécile Ladjali écrit : "Si je remonte encore plus loin dans ma mémoire, je me souviens du jour où, l'année du baccalauréat, j'achetais l'un de mes tout premiers livres". Mis à part l'oubli des virgules pour encadrer "l'année du baccalauréat" (oubli que j'ai corrigé), il y a cet "imparfait" aberrant...

L'imparfait indique une action ou un événement répétitif ! Par exemple "l'année du baccalauréat, je travaillais souvent tard le soir…". Mais elle a écrit : "… le jour où j'achetais…". Cela pourrait se comprendre si le sens était "… le jour (de la semaine) où j'achetais un croissant le matin, je ne mangeais pas de pain à quatre heures…". Or elle évoque un acte unique : l'achat de son premier livre ! Il fallait donc écrire "le jour où j'achetai…" (passé simple de l'indicatif).

Mme Ladjali, si férue de classiques et de beau langage, aurait-elle banni le passé simple, comme d'ailleurs tous ses élèves ?

On pourrait penser que non, puisque, quelques lignes plus loin, elle écrit : "Je ne rapportai pas le livre au libraire cependant…". Mais, entre temps, elle avait récidivé : "… lorsque je libérais celui-ci (le livre) de son emballage en cellophane, je découvris une trentaine de feuillets vierges". "Je découvris" est correct (c'est une action unique et subite), "je libérais" est incorrect (c'est également une action unique, qui exige le passé simple).

PS. Comme moi, vous ignorez peut-être le sens de "amoebée"… Ce mot ne figure pas dans mon dictionnaire Hachette. Dans un forum sur l'œuvre de Marcel Pagnol, voici ce que j'ai trouvé lors d'un échange érudit en juillet 2004 :

Amoebée n’est repris dans aucun dictionnaire français consulté (plusieurs dizaines datant des trois derniers siècles), sauf dans le Bescherelle de 1870 pour signaler que l’orthographe "amébée" est aussi acceptée.
Aucune des éditions du Dictionnaire de l’Académie Française ne connaît ce mot (plus français que cela je ne connais pas).

J’ai retrouvé dans mon vieux dictionnaire de Latin, "le Gaffiot", les racines citées par Eugénio et la traduction de " amoebaeum carmen " (utilisé par Marius Servius Honoratus dans son œuvre) par "chant amébée".

Direction ma vieille encyclopédie Quillet des années trente où je trouve l’adjectif "amébée": (du grec "amoibaios", alternatif). Se dit d’un chant ou d’un dialogue alterné où les deux interlocuteurs se répondent par des couplets égaux.

Voilà donc pour le sens de ce mot qui est en français " amébée ". Il semble donc que Marcel Pagnol ait francisé l’adjectif latin en écrivant " amoebées ", puisque mes deux livres datent des années trente.

Reste une question : faut-il écrire "amébée", "amoebée" ou bien "amœbée" ?