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11/06/2015

Timeo hominem unius libri

C'est autour de cette citation de Thomas d'Aquin, qu'il se garde bien d'appeler Saint Thomas d'Aquin - vous comprendrez pourquoi dans un instant -, que Laurent Nunez signait une très belle chronique dans le Marianne du 17 avril 2015, sous le titre "La revanche de la culture".

Une chronique que l'on rêve d'écrire mais que mon niveau de culture à moi ne me permet pas de concevoir ni de réaliser.

Dans le format 18x9 (ce sont des centimètres car je n'ai pas le courage de compter les lignes…), c'est-à-dire sous une forme très ramassée, il démontre la nécessité et même l'urgence d'avoir "plus de musées, plus de films, plus de radios publiques, plus de livres, plus d'étudiants, plus de cours de grec, plus de cours de latin", à partir du constat que les groupuscules islamistes qui sèment la terreur depuis plusieurs années à travers le monde ont en fait un seul vrai ennemi : la culture (on se rappelle les manuscrits brûlés à Tombouctou, les bouddhas détruits à l'explosif par les talibans, les cités antiques de Syrie démolies au bulldozer, et les étudiants assassinés au Kenya…).

Ainsi, d'après Wikipedia, "Boko Haram", la dénomination abrégée en langue haoussa du nom du mouvement, peut être traduit par « l'éducation occidentale est un péché ». (Le mot Boko désigne un alphabet latin, créé par les autorités coloniales pour transcrire la langue orale haoussa, et désigne par extension l'école laïque. Le mot Haram signifie « interdit » ou « illicite » dans l'islam).

L'ennemi est donc, entre autres, les livres et les bibliothèques, comme pour les Nazis et tous les régimes totalitaires. Parce qu'il y a Le Livre, pris au pied de la lettre !

Thomas d'Aquin XIIIè siècle.jpgEt c'est là qu'intervient Thomas d'Aquin, homme du XIIIè siècle, qui "craignait l'homme d'un seul livre". En clair, soyons riches de mille pensées, puisées dans mille livres !

La conclusion, venant de si loin, est pourtant criante d'actualité : "Reculer sur le moindre de ces sujets serait un immense échec - pas seulement symbolique". On pense à la liberté d'expression (prétexte à de magnifiques envolées) et à la réforme du collège (imposée par décret ministériel), même si tout n'est pas à mettre sur le même plan.

Arrivé à la vingtième ligne de mon billet, je m'aperçois que, dans le même espace, je ne peux pas faire mieux que le texte de L. Nunez. Je fais même moins bien ! Je ne peux tout de même pas recopier purement et simplement sa chronique...

Alors, je m'arrête ; lisez-la !

 

10/06/2015

Dis-moi ta bibliothèque, je te dirai qui tu es (I)

Cécile Ladjali, encore elle, a eu une idée passionnante, bien que peu surprenante pour un écrivain et professeur comme elle et pour les amoureux des livres que nous sommes...

Qui n'y a jamais pensé, sans bien sûr avoir le cran et le talent de se lancer dans l'entreprise ? En plus de cette envie, il y a sans doute, pour ceux qui accumulent, le souhait d'inventorier, de mettre un peu d'ordre, ou de retrouver un ordre caché (involontaire ?) derrière le désordre apparent...

Eh bien, dans "Ma bibliothèque, lire, écrire, transmettre" (Éditions du Seuil, septembre 2014), Mme Ladjali l'a fait ! Elle décrit sa bibliothèque, la façon dont ses dizaines et dizaines de bouquins sont rangés et aussi ce qu'elle en pense, le plaisir qu'ils lui apportent.

Un point m'a accroché dès le début : quelle méthode de rangement a-t-elle adoptée ?

Bibliothèque.jpg"Je la regarde, ma bibliothèque, et me rends compte que son classement est bizarre, non inexistant mais bizarre. Le mieux aurait peut-être été de tenter, à l'échelle des trente-deux rayonnages, ce que Laurence Tardieu suggère à celle de la page quand elle y dévide le nom de ses auteurs préférés. Elle le fait dans un désordre magnifique et assumé, comme si seul ce désordre était susceptible de dire sa vérité de lectrice et d'écrivain".

Bon, outre le fait que je ne comprends pas une bonne moitié de cette phrase, vu que la syntaxe en est alambiquée, voire carrément incorrecte…, je découvre, grâce au paragraphe suivant (qui cite Laurence Tardieu) que le nec plus ultra serait de tout ranger en vrac "la seule logique est celle de l'admiration et de la gratitude, envers eux tous qui sont une vraie lumière pour moi"…. On n'est guère plus avancé.

On apprend que les meilleurs se sont cassé les dents sur cette question du classement des livres dans une bibliothèque. "Georges Perec ne trouvait aucun classement satisfaisant pour ses livres. Il avait pourtant établi une liste (NDLR : de critères possibles)".

J'ai en tête le cas de Pierre Magnan qui, l'âge venu, s'était retiré dans une petite maison de Forcalquier avec uniquement 24 livres (ou 25, les avis fluctuent), ses 24 livres préférés, ceux qu'il relisait sans cesse. Je ne sais pas comment ils étaient rangés ni quelle en était la liste ni même si le grand Giono en faisait partie.

Immédiatement, en lisant ce premier chapitre de "Ma bibliothèque" et en croyant comprendre que Cécile Ladjali ne s'était pas décidée pour un classement particulier, j'ai pensé à Warburg (voir mon billet sur ce sujet) et son rangement "thématique" à la façon de l'hypertexte, les ouvrages étant regroupés par association de contenu et par degré d'intérêt pour celui qui travaille avec.

Mais, non, Cécile nous embrouillait. La suite du chapitre est la preuve que son rangement est tout ce qu'il y a de plus raisonné : bazar oriental, langue anglaise et femmes de lettres, Allemands, Russes et camarades de plume, littérature française, noyau dur : la poésie, Moyen-Âge, XVIè siècle, auteurs grecs et latins, la Bible, Rose des vents : le grand théâtre du monde… tout cela s'étale bien ordonné, de gauche à droite et de haut en bas.

On est estomaqué par le nombre de livres : faramineux ! Et dire que, quand elle était enfant, il n'y avait pas de livres chez elle ! Quelle revanche sur le mauvais sort à la naissance !

Et encore, parmi les titres innombrables qu'elle cite se cachent des "œuvres complètes", qui démultiplient la perspective littéraire.

 

 

09/06/2015

Cécile, ma sœur (XII)

Dans "Mauvaise langue", Cécile Ladjali prêche pour la lecture, allant jusqu'à les apprendre "par cœur", des grands classiques, et singulièrement de La Fontaine et de ses fables. Elle n'évoque pas Fabrice Lucchini mais on n'en est pas loin.

"Ces lectures réitérées de fables sont sans doute l'un des plus beaux apprentissages de la langue. Au lycée, je compte encore sur la capacité d'un enfant de quinze ans à retenir une langue exigeante, pour ensuite la restituer. Passé cet âge, les choses seront presque toujours impossibles" (page 68).

C'est directement inspiré du philosophe Alain : "Je suis bien loin de croire que l'enfant doive comprendre tout ce qu'il lit et récite. Prenez donc La Fontaine, oui, plutôt que Florian ; prenez Corneille, Racine, Vigny, Hugo.

Mais cela est trop fort pour l'enfant ? Parbleu, je l'espère bien. Il sera pris par l'harmonie d'abord. Écouter en soi-même les belles choses, comme une musique, c'est la première méditation. Semez de vraies graines et non du sable….

Comment apprend-on une langue ? Par les phrases les plus serrées, les plus riches, les plus profondes, et non par les niaiseries d'un manuel de conversation. Apprendre d'abord, et ouvrir ensuite tous ces trésors, tous ces bijoux à triple secret".

Pièce de MOLIÈRE.jpgÀ côté des fables, Cécile Ladjali préconise l'étude des pièces de théâtre. "… Se rendre au théâtre pour voir et entendre une pièce de Molière ou de Beckett, sans en avoir étudié le texte et ses enjeux au préalable, reste une entreprise très risquée et presque toujours soumise à l'échec" (NDLR : j'aurais écrit "promise à l'échec"…)… Il me semble vital que la frontière entre écrit et oral soit nette, car elle est la ligne de démarcation entre l'effort qu'il faudra toujours fournir et l'illusion de la liberté que donne l'indigence" (NDLR : indigence, quand on n'a pas acquis le vocabulaire et la syntaxe).

Et de dériver ensuite vers la langue des textos.

"Or, avec le SMS, il apparaît que nous parvenions à ce mixte linguistique entre deux états de langue, pensé jusque-là comme impossible (NDLR : désolé, Cécile, mais cet accord des modes et des temps est aberrant ! "Il apparaît" semble indiquer une certitude ; on devrait avoir à la suite l'indicatif présent "que nous parvenons" et non pas le subjonctif "que nous parvenions" qui traduit un doute).

Les individus qui usent de ce moyen de communication se comprennent cependant (NDLR : vu la périphrase, on devine que la dame n'y est pas favorable et même répugne à tapoter des textos…) et le SMS honore une multitude de valeurs célébrées par la modernité : la vitesse, l'image (car la syllabe devient icône) et l'érotisme contenu dans l'anglo-américain (NDLR : l'érotisme, rien de moins…)…. Cette langue est celle de la puissance… Si la français était la langue érotique à l'époque classique, le vecteur linguistique de tous les fantasmes, il fait pâle figure aujourd'hui à côté de l'anglais. Cette langue, par son rythme, sa fluidité et surtout son caractère synthétique, alors que le français est une langue plus bavarde, plus volontiers analytique, séduit d'emblée.

Tout, ou presque, peut se dire en anglais, même s'il reste indéniable que les paroles de la pop anglaise la plus respectable sont ridicules une fois soumises à la traduction(NDLR : voir mon billet consacré aux Franglaises. Il n'empêche que, dans toutes les maisons de jeunes et écoles de musique de France et de Navarre, on continue à programmer et à apprendre 95 % de chansons anglo-saxonnes et à entendre dire que l'anglais convient mieux à la chanson… Sottises !).

Enfin, il n'y a pas d'Académie pour la langue de Shakespeare et la liberté a toujours été la garantie d'un certain charisme.

Que les élèves et les adultes usent et abusent de SMS n'est pas un problème en soi… Mais ce qui me préoccupe en tant que professeur est de constater que mes lycéens écrivent des SMS dans leurs copies sans s'en rendre compte (NDLR : donc c'est un problème en soi !)...

J'ai la conviction qu'une langue malmenée, un corps linguistique déformé, est déjà une violence que l'on fait subir à soi et à l'autre…".