04/07/2015
Irritations XVIII
Résumons-nous...
Ce qui m'énerve dans le français courant contemporain, y compris bien sûr journalistique et politique, mais en laissant de côté le franglais, dont on a déjà abondamment parlé, c'est ça :
- l'horrible syntaxe "pour pas qu'elle soit fâchée", au lieu de "pour qu'elle ne soit pas fâchée" ;
- les majuscules aux adjectifs ; dernier lu en date : "la branche yéménite d'Al-Qaïda, Al-Qaïda dans la péninsule Arabique, Aqpa…" au lieu de "dans la péninsule arabique" ; ce qui est drôle, c'est qu'au moment d'écrire l'acronyme, le journaliste choisit "Aqpa", c'est-à-dire les minuscules ! La cohérence ne l'étouffe pas (Martine Gozlan dans le Marianne du 3 avril 2015) ;
- l'emploi transitif des verbes qui ne le sont pas ; exemple dans le même Marianne : "Le parti (UMP) a explosé son budget en propagande et communication", au lieu de "a fait exploser" ;
- l'emploi de l'auxiliaire "être" à la place du verbe "aller". Exemple dans Alternatives économique n° 348 de juillet-août 2015 : "Les éditions La découverte ont été frapper à la porte de Médiapart", au lieu de "sont allées frapper" ;
- la confusion entre le futur et le conditionnel présent, et les erreurs de graphie et d'intonation qui vont avec : "je reviendrais demain" au lieu de "je reviendrai demain" ;
- après le mauvais coup porté au subjonctif, la formulation systématique au présent de l'indicatif d'actions ou d'événements devant intervenir ultérieurement ; exemple typique : "Demain on rase gratis", au lieu de "on rasera (peut-être) gratis" ;
- moins irritants, les perpétuels "amène-moi ça", "il a ramené sa guitare à la maison"… au lieu de "apporte-moi ça" et "il a rapporté sa guitare…" ; a contrario, on amène un enfant à la crèche… ;

Voilà, c'est à peu près tout...
Tu vois bien, public, que je ne suis pas exigeant.
15:21 Publié dans Règles du français et de l'écriture | Lien permanent | Commentaires (0)
03/07/2015
Cécile, ma sœur (XIV) : mots et violence
De J.-J. Rousseau (1712-1778), d'après Cécile Ladjali, cette curieuse analyse de l'évolution des langues "… la perte de l'harmonie, l'abandon du chant qui irradiaient les langues expliquent leur décadence… Ayant connu des périodes de trop grand raffinement, elle s'est épuisée à force de sophistication, avant d'appeler à elle les chants barbares. ce fut alors la cacophonie…".
Puis elle ajoute :
"Si, historiquement, la décadence des civilisations a toujours annoncé les invasions barbares…, le schisme perceptible entre ceux qui ont les mots et ceux qui en sont dépourvus conduit souvent à la violence et appelle l'affrontement. Celui qui ne maîtrise pas le langage, complexé et vindicatif face à une société qui ne lui a pas donné toutes ses chances, va tenter, bon gré mal gré, de se forger une identité respectable à travers l'utilisation d'un contre-langage. L'individu qui agit ainsi brandira la violence, le non-sens et le galimatias tel un étendard.
La guerre des mondes aujourd'hui est sans doute une guerre des mots".
"… Le scandale est d'autant plus criant que la langue comme la beauté sont à tout le monde et que les rêves sont sans prix… Le clivage entre les individus finira par ne plus être qu'économique. Il se définira par rapport à ceux qui ont les mots et ceux qui ne les ont pas, ceux qui maîtrisent le langage et ceux qui ne le possèdent pas ou pas assez bien.
La mission de l'École de la République est de rêver à une culture élitiste et humaniste pour tous et de rendre ce rêve accessible. Elle a en partie échoué. Mais elle se bat".
"Mauvaise langue" (2007), pages 90 et 91.
"Si les élèves ont peur des mots et jouent à mépriser les textes, c'est parce qu'ils ne s'aiment pas. L'estime de soi viendra de la capacité que l'on aura à se découvrir entre les lignes d'un classique, et elle s'accomplira à travers les pages que l'on rédigera demain pour dire qui l'on est et ce que l'on entend devenir. Néanmoins cette vision de soi et du monde n'adviendra qu'à la condition d'avoir hérité de valeurs et de repères passés. Ainsi, loin de se nier, les époques s'appellent. Elles n'ont pas d'existences autonomes les unes par rapport aux autres, mais c'est la peur, le silence, l'absence de lien linguistique entre elles qui les séparent".
"Mauvaise langue" (2007), page 122.
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Histoire et langue française | Lien permanent | Commentaires (0)
02/07/2015
Bibliothèque mazarine
Dans son livre "Ma bibliothèque", voici comment Cécile Ladjali décrit la bibliothèque de la Sorbonne, là où elle a préparé son agrégation, là où elle a lu toute "La Recherche" et là où, après des travaux d'agrandissement, elle a été invitée à lire un texte lors de sa réouverture.
"Car malgré ces bouleversements manifestes, je reconnaissais les sortilèges qui ont fait les très riches heures de la bibliothèque. Son odeur, sa lumière, douce invite à l'étude, et surtout son silence éloquent. Ils parlaient tous dans le cadre des grandes fresques : François Ier et l'imprimeur Estienne, Richelieu consultant les plans avec son architecte. Les étudiants, plume piquée à l'esbroufe, qui donnait aux silhouettes rouges ou noires des allures faustiennes. Ils toisaient, ces jeunes gens, les bustes marmoréens des conservateurs qui veillaient sous le grand plafond où volent les allégories réunies de la Poésie et de la Science. En son syncrétisme aride, l'esprit du lieu était là.
Il y eut les mots inscrits dans le marbre, ceux tracés à l'encre verte par les moines copistes, puis ceux confiés au vélin des in-quarto. À présent, ils courent, les mots, sur les écrans de cristaux liquides.
Mais les fables sont toujours les mêmes, comme les lecteurs, amoureux, immuables, installés dans leur dévotion. Celle vouée aux signes, pourvoyeurs de l'intelligence et de la beauté".
"… Car une bibliothèque est un lieu de mémoire mais aussi un sanctuaire où s'énonce et se vit le principe de transmission auquel j'accorde tant d'importance. Les livres nous lisent plus que nous ne les lisons, comme nous nous abandonnons à la douce tyrannie d'un professeur ou à la terrifiante emprise qu'un lieu exerce sur notre cœur".
"… J'ai lu, écrit, appris, beaucoup douté, dans cette bibliothèque. Et j'ai eu le sentiment, le soir de l'inauguration, en revenant sous les grands ciels peints pour en taquiner un peu les allégories, de regarder Méduse en face pour la première fois, avec la douce confiance néanmoins de ne pas être changée en pierre".
Très belle page 77, non ?
PS : Esbroufe : comportement fanfaron
07:30 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)


