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23/06/2015

Irritations XVII

Il y a un tel déferlement de mots anglais , quasiment chaque jour, que cela devient impossible - et heureusement - de les mémoriser ; trop de franglais tue le franglais. C'est le théorème d'Étiemble mais exécuté à un rythme d'entrée / sortie qu'il n'avait sûrement jamais imaginé (rappelez-vous le fameux duffle-coat qui était censé disparaître avec le vêtement... sachant que les vêtements, à l'époque, duraient un certain temps).

Tel animateur sur France 5 appelle home staging la remise au goût du jour d'un logement pour le vendre plus vite...

Le naming, c'est l'envahissement des stades et des clubs de foot par le nom des marques qui les financent... À quand le stade Arcelor à Gondrange ?

Blaireau.jpgDans un article du Figaro sur le marché publicitaire (25 avril 2015), on dit que "la télévision et le digital soutiennent le marché", que "le search est le principal soutien de la hausse", qu'en revanche "le display se comporte comme les médias classiques, orientés à la baisse", qu'il faut "intéresser les annonceurs en-dehors du prime time", que "les responsables marketing mesurent aussi le poids de leurs médias propriétaires"... Là je m'arrête car cette dernière phrase était non seulement en français (encore que...) mais compréhensible. Un comble. Le journaliste s'est dit qu'on allait le prendre pour un blaireau, alors il a ajouté entre parenthèses "owned media" ! Et comme ça emmêlait tout, il a conclu la phrase par "c'est-à-dire de leurs propres supports" !

Pardonnez-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font.

Et là-dessus, le 10 mai 2015 (c'est fortuit, bien sûr), le fidèle FPY me fait part de sa rage face à la profusion de films proposés en version originale, sous-titrés en français. Son raisonnement est assez subtil, accrochez-vous. Il rage parce que les sous-titres gâchent l'image et distraient le spectateur. Il trouve que se précipiter pour voir les films en VO n'est que snobisme parisien et ne met aucunement "dans l'ambiance". Il a des chiffres : le film "Les jardins du roi", dont l'action se passe à Versailles sous Louis XIV, était présenté à Paris, dans 20 salles ; 18 en VO et 2 en VF !

Il réclame donc des dialogues (doublés) en français, qui, selon lui, sont la plupart du temps de qualité.

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Pour la bonne compréhension de ce billet par mon public, je donne ci-dessous la traduction de quelques mots.

search : référencement payant dans les moteurs de recherche

display : bannières classiques sur les sites internet

version originale : film en anglo-américain

 

 

22/06/2015

Court-circuit sur la transmission

Dans son livre "Ma France", le philosophe allemand Peter Sloterdijk raconte son idylle - jamais consommée - avec notre pays et analyse le curieux destin de la philosophie allemande, qui a été un temps "ingérée", évaluée, puis "régurgitée" par les philosophes français.

Je ne vais pas essayer de vous résumer son article dans le Marianne du 17 avril 2015. Sachez seulement qu'il assène cette assertion : "Le rêve français s'évapore et finalement s'immobilise. Et immobilise toute tentative de penser la vie, l'homme, l'histoire".

Bigre...

Somme toute, c'est assez "allemand" cette façon de nous renvoyer dans nos buts. On songe à la célèbre définition du football par Gary Linneker : "C'est un jeu qui se joue avec un ballon entre deux équipes de 11. Et à la fin, c'est toujours l'Allemagne qui gagne".

Mais ce n'est pas de football que je voulais vous parler ni d'ailleurs de l'amicale rudesse de nos meilleurs ennemis d'Outre-Rhin.

Il se trouve qu'en parlant de Jacques Derrida "grand philosophe à la fois surprenant et inventif", P. Sloterdijk écrit : "C'était sa présence physique qui donnait corps à sa transmission".

Tiens, tiens ! La transmission, dada de notre chère Cécile Ladjali et intitulé du blogue (en panne) de l'avenante Natacha Polony (photos déjà publiées et admirées dans ce blogue).

Et on peut lire ensuite : "Aujourd'hui, on cherche le concret, la productivité ininterrompue d'effets dans le réel. Nous avons vécu l'époque de la mort de Dieu, aujourd'hui nous vivons l'époque de la mort de la bibliothèque, et donc la disparition de la transmission, voire de la filiation".

La bibliothèque ! la bibliothèque et la transmission !

N'est-ce pas étonnant de trouver ces mots qui ont fait l'objet de plusieurs billets dans le blogue ?

Épatants, ces courts-circuits !

21/06/2015

Y a-t-il plus grave que l'invasion du franglais ?

Sans doute !

D'abord, comme on l'a déjà dit ici, il y a les souffrances, les difficultés de tous ordres, les accidents… Bien sûr. Il y a aussi les évolutions de la société, jugées positives ou non, la micro- et la macro-économie, la bioéthique, naturellement...

Sur le sujet de la langue proprement dit, on peut invoquer le relativisme pour minimiser sa dégradation actuelle. Ainsi mon lecteur FPY m'a-t-il signalé un article du Figaro du 13 avril 1917, reproduit le 18 juillet 2014, intitulé "Le français tel qu'on le parle" et expliquant comment les soldats britanniques communiquaient avec leurs "hôtes" dans la campagne picarde à l'aide d'une sorte de franglais à l'envers, un englench. Par exemple, compree était un mot utilisé par tous pour dire "compris", d'où souvent me no compree ! Il y avait aussi Quand guerre finish, etc. "Il n'y en a plus" était devenu napoo...

Quel rapport avec notre franglais ? quasiment aucun… Les Français ne sont en guerre avec personne sur leur propre territoire (du moins, je ne crois pas…) et de toutes façons, quand ils parlent franglais, c'est avec d'autres Français !

Non, ce que je trouve grave dans le franglais, c'est surtout que cela participe, au-delà du snobisme bébête, d'un renoncement, d'une fascination pour un modèle autre, fascination qui est allée jusqu'à livrer l'Europe de Bruxelles à l'ultra-libéralisme anglo-américain.

Mais sur le même sujet, il y a effectivement peut-être plus grave que l'invasion du franglais (j'ai dit : peut-être) ; c'est la perversion du langage, qu'il soit en bon français ou en jargon.

Alternatives économiques a rendu compte d'un livre récent de François Dupuy, intitulé "La faillite de la pensée managériale" (Le Seuil, 2015) et qui est le tome II de son "Lost in management". Je passe sur la thèse principale ("Sous la pression des objectifs financiers, les dirigeants ne peuvent ou ne veulent plus réfléchir"), pour aller directement aux thèmes qui nous intéressent ici.

Par exemple : "Affirmer que la stratégie de l'entreprise est de devenir numéro 1 du marché, n'est pas une stratégie mais un objectif à atteindre". J'avais déjà pointé la confusion fréquente entre "enjeux" et "objectifs" ; en voilà donc une autre.

"En face (NDLR : des dirigeants, de leurs croyances et de leurs "lubies" ), les salariés ont appris à décoder la vacuité du langage managérial. Trouver des synergies est immédiatement interprété comme des licenciements à venir. Ils savent aussi mesurer l'écart qui sépare les valeurs affichées (loyauté, respect, innovation, travail en équipe…) de la réalité de l'entreprise."

F. Dupuy dénonce une irresponsabilité du discours managérial, capable d'affecter gravement les salariés. La charge est tout aussi sévère contre les business schools. Quant aux cabinets de conseil, impossible de compter sur eux. Apporter une pensée complexe ne fait pas partie de leur business model.

Processus.jpg

L'auteur plaide pour un retour à la confiance dans les salariés, alors que contrôles, reportings et indicateurs à respecter ont envahi les entreprises.

Vaste programme.