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30/07/2015

Francophonie encore (I)

Dans le Figaro du 19 mars 2015, un article remarquable de Mathieu Bock-Côté, sociologue, chargé de cours à l'Université du Québec et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada.

Il est (fort mal) intitulé "Les élites françaises aiment-elles encore la langue de Molière" car le propos n'est pas là.

Comme toujours dans les bons textes, ramassés, percutants, sobres et bien écrits, il faudrait tout citer. Je vais me contenter de ceci :

"Une langue meurt lorsqu'elle ne parvient plus à traduire une nouvelle époque dans ses propres mots et lorsqu'elle emprunte systématiquement à une autre langue les termes pour nommer les réalités nouvelles".

C'est quasiment une définition académique !

"Il y a dans l'anglomanie qui a gagné la France depuis quelques années un zèle autodépréciateur inquiétant, comme si elle croyait que le vocabulaire de la mondialisation était nécessairement anglophone, qu'on évoque l'économie financière ou de nouvelles technologies".

On ne dit pas autre chose dans ce blogue depuis plus d'un an maintenant.

"La France est peut-être seule capable d'inscrire la cause de la diversité des peuples au cœur de la vie internationale... Surtout, la langue française, dans le monde occidental, par son prestige de civilisation et par la puissance politique qui pourrait encore être la sienne, en est venue à incarner le point de ralliement contre la domination de l'anglosphère".

Peut-on rêver plus bel hommage et plus forte exigence posée à notre résistance ?

Dernière idée très forte dans cet article, le lien indestructible entre langue et littérature :

"Mais on ne saurait défendre une langue sans célébrer son génie. Et c'est ici que l'éloge de la langue française se confond avec celui de la littérature française.

Qui s'y plonge s'éduque.

Encore doit-on y voir non pas seulement une série de fables amusantes pour distraire l'esprit mis bien une part vitale de patrimoine de l'humanité. Encore doit-on aussi la parler dans sa richesse et la sortir de la gaine étouffante de la langue des communicants.

On n'en sort pas : une langue qui s'arrache à sa littérature se suicide".

Je m'en voudrais d'ajouter quoique ce soit...

Château Frontenac.jpg

 

 

 

 

29/07/2015

Natacha, Hannah et moi (IX) : l'éducation

À la page 254 de "Ce pays qu'on abat", Natacha Polony consacre une chronique du Figaro à Hannah Arendt, "philosophe ultracontemporaine" et "philosophe de l'école et de la culture, celle qui a le mieux décrit le processus qui allait aboutir à la destruction de la transmission dans les sociétés occidentales". Voici ce qu'elle écrit.

"Dans la Crise de l'éducation, il est question de la responsabilité de ces adultes qui doivent assumer le monde pour le transmettre à leurs enfants. Des enfants qui naissent dans un monde toujours plus vieux qu'eux, un monde qui les a précédés. Ils sont la force de la nouveauté, mais l'éducation est ce qui les rattache au monde ancien. Elle est donc, par nature, conservatrice. Elle enseigne un contenu et non pas des méthodes. Et surtout, elle repose sur une séparation entre espace privé et espace public, et sur une forme de sanctuarisation à l'écart des agitations du présent. Le contraire absolu de cette école utilitariste que nous ont conçue les réformateurs de droite et de gauche, une école fondée sur l'ancrage dans la vie, dans le présent, sur l'enseignement de compétences et non de connaissances, et sur le développement par l'élève de ses propres capacités.

Bienvenue dans le cauchemar d'Hannah Arendt, bienvenue dans l'école française de 2013 (NDLR : et que dire de celle de 2015 après la réforme de Najat Belkacem...).

L'école telle que nous l'avons conçue, associée aux loisirs de masse, et notamment à la toute-puissance des écrans, aboutit exactement à cet affaiblissement du langage qui interdit à chacun de s'extraire d'une pensée par slogans ou par mots-valises"...

Pour une des dernières fois (car j'ai terminé son livre), voici une photo de la Belle (au Salon du chocolat, allez savoir pourquoi...) :

Natacha Polony Salon chocolat.jpg

 

28/07/2015

Natacha et moi (VIII) : langues régionales

Le 25 janvier 2014, sous le titre "Ces langues qui font la France", Natacha Polony prenait position, de façon argumentée et convaincante, pour les langues régionales (breton, alsacien, occitan), à l'occasion de la révision éventuelle de la Constitution permettant d'intégrer la charte européenne au droit français.

Le préambule de sa chronique du Figaro nous apprend que l'article 2 de la Constitution que je cite souvent "Le français est la langue de la République" ne date que de la loi Toubon de 1994... Je croyais que ça datait de 1958 !

Voici ses arguments :

- "le bilinguisme précoce développe la capacité à apprendre d'autres langues". Je le crois. J'ai reçu en entretien un jeune Français qui avait appris le néerlandais et le français dans son enfance, puis l'espagnol et qui s'était intégré sans difficulté au Brésil lors d'une mission de développement. À mon étonnement (admiratif), il avait répondu : "Quand on parle trois langues, apprendre une quatrième est assez facile, surtout le portugais"...

- "les écoles bretonnes et basques obtiennent d'excellents résultats (scolaires), grâce à la conjonction de méthodes plutôt classiques et d'une motivation accrue des parents". Je le crois volontiers.

- "le bilinguisme précoce ne fonctionne que par immersion". En effet, apprendre le breton grâce à des grands-parents qui le parlent en permanence, n'a rien à voir avec apprendre par exemple l'anglais au collège quelques heures par semaine...

- "apprendre l'anglais ou le chinois, qui sont des langues étrangères, n'aurait pas la même signification. Et c'est là que ce qui se joue devient politique et met en jeu la nation". Je suis d'accord : on apprend les langues étrangères par nécessité (pour commercer, voyager, comprendre, construire des partenariats, etc.) mais en apprenant une langue régionale, celle de ses aïeux, on assure une permanence, une fidélité au patrimoine, on entretient la flamme.

- "rien à voir avec l'idée qu'il faudrait enseigner davantage l'arabe au nom de la diversité. les jeunes immigrés qui viennent en France ont vocation à faire "leur", ce pays, ses mœurs et sa culture". Évident, passons.

- "la défense du français et la défense des langues régionales relèvent d'un même combat, celui pour la culture et la civilisation". Bien sûr, dans l'absolu, on ne peut qu'être d'accord, l'argument va droit au cœur... mais c'est raisonner "à moyens infinis", c'est-à-dire comme si on pouvait défendre à la fois le français (dans l'économie mondialisée) - tâche déjà surhumaine - et les langues régionales.

Et là, franchement je n'y crois pas. Celui qui qui enfourchera le cheval de la promotion de sa langue régionale n'aura plus de temps, d'énergie ni d'argument pour chevaucher en même temps celui de la défense du français.

D'ailleurs les experts de la francophonie nous ont déjà fait le coup : "on ne défend pas que le français ; on défend le multilinguisme !". On a vu ce que donne cette stratégie.

Je suis donc très perplexe face à cette question...

Et suis donc tout autant séduit par les arguments des opposants à la ratification de la charte européenne :

- est-il vraiment urgent de lancer ce genre de débat quand l'économie française est au bord du gouffre ?

- sans compter son éducation nationale...

- et ses affres identitaires et a contrario communautaristes (n'est-il pas urgent au contraire de multiplier les initiatives consensuelles, celles qui rassemblent au lieu de diviser ?) ;

- l'urgence n'est-il pas que les jeunes Français - de toutes origines - recommencent à apprendre correctement le français, avant de leur ajouter de nouveaux défis ?

- et tant qu'à apprendre une autre langue, ne vaut-il pas mieux que ce soit l'allemand (première langue maternelle en Europe, langue de nos premiers clients et premiers fournisseurs) ou l'espagnol ou l'anglais, voire le chinois ou le japonais ?

En plus il y a langue régionale et langue régionale : autant il me paraît utile (si on en a les moyens) de préserver le breton et le basque, langues à nulle autre pareilles, autant il me semble vain de préserver l'alsacien, si proche de l'allemand son voisin. Autant apprendre l'allemand, non ?

J'ajoute un argument - spécieux, il est vrai - : est-on obligé, dans ce domaine comme dans d'autres, d'adopter, de faire rentrer au chausse-pied, toutes les inventions plus ou moins démagogiques ou bienpensantes des diverses institutions européennes ?

Non, mille fois non.

Rien de tel, pour se reposer de ces tortures intellectuelles, qu'un beau visage... alors régalez-vous :

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