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06/09/2021

Fréquentations imperturbables

Mon dernier billet publié date du 25 janvier 2021 ! La pandémie bien sûr, avec ses à-côtés (confinement plus ou moins sévère, couvre-feu, travail à distance…) mais aussi des événements familiaux incontournables ont fait que j’ai littéralement abandonné ce blogue, à mon corps défendant…

Et pourtant, à mon agréable surprise, il a continué à être consulté, c’est-à-dire à vivre, sans plus aucune publication nouvelle !

Que l’on en juge par le nombre de visiteurs mois après mois :

Janvier 2021

71

Février

54

Mars

53

Avril

86

Mai

93

Juin

60

Juillet

50

Août

51

 

A contrario, la liste des « célébrités » décédées en 2020 et 2021 est impressionnante. Voici les disparitions qui me touchent particulièrement :

  • Cette année : Mikis Theodorakis, le compositeur et opposant grec à la dictature des « Colonels », celui de « Zorba le Grec » et de nombreuses chansons, celui du « Canto general » avec Pablo Neruda ; Jean-Pierre Bacri, acteur à l’inimitable bougonnerie ; et bien sûr Philippe Chatel, dont j’adorais les chansons et à qui j’ai consacré un billet à propos de son roman autobiographique.
  • L’an dernier : les acteurs Michel Piccoli, Michael Lonsdale et Robert Hossein (la série des « Angélique » et « Les uns et les autres »), les chanteurs, compositeurs et musiciens Anne Sylvestre, Bill Withers, Claude Bolling (pianiste de jazz et chef d’orchestre), Lennie Niehaus (pédagogue du saxophone), Graeme Allwright (je lui ai consacré un billet), Juliette Gréco (muse du Saint Germain des prés de l’après-guerre), Ennio Morricone (compositeur de musiques de film, dont celles des westerns dits spaghetti – l’inoubliable étant celle pour « Il était une fois dans l’Ouest »), l’humoriste Guy Bedos et son dialoguiste Jean-Loup Dabadie, les écrivains Jean Raspail, Denis Tillinac (la Corrèze et Chirac), John Le Carré (« L’espion qui venait du froid ») et Michel Ragon (voir les billets enthousiastes que j’ai consacrés à « L’accent de ma mère »), les footballeurs Michel Hidalgo (la décennie Platini) et Robert Herbin (les Verts, les vrais), les intellectuels Marc Fumaroli (voir mon billet sur « La république des lettres ») et Alain Rey (l’homme du dictionnaire), l’anthropologue et anarchiste américain David Graeber (« Bullshit jobs», que je termine et sur lequel je vous promets un billet), les dessinateurs Albert Uderzo (Asterix !) et Claire Brétécher, le cinéaste Alan Parker et le patron américain Jack Welch (General Electric)

… Tout cela en vrac, sans ordre de préférence. Quelle hécatombe !

Bon, il faut maintenant sur le métier remettre l’ouvrage ! Les objets ne manquent pas puisque j’ai lu pendant cette période quantité de livres et lu pas mal d’articles de presse concernant la langue et la société.

Au travail, donc !

16:44 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0)

25/01/2021

"Nuits de guerre" (Maurice Genevoix) : critique III

Quel style, page après page ! Quelle poésie et quel réalisme mêlés ! Quel régal !

Toujours, comme ici page 338, la mort et la vie se côtoient : « Et ces tombes ! Voici celle des trois artilleurs, spacieuse, bordée de pierres blanches, jonchée de rameaux de houx. Et voici celle des fantassins, toute petite, évoquant, sous l’étroite levée d’humus, la forme du corps replié sur lui-même, écrasé peu à peu par la poussée des terres. Il en est dont l’humble croix a disparu, déjà : on l’avait faite de deux branches cassées, assemblées comme on avait pu, avec un clou arraché du soulier, un brin d’osier, une ficelle… Cela ne tenait pas ; le clou a rouillé et le bois s’est fendu ; la pluie est tombée si longtemps que le lien pourri a cédé. Il n’y a plus de croix. Et c’est le mois dernier, seulement le mois dernier, que la guerre a touché ces campagnes !

La lumière est charmante aujourd’hui, légère, fluide. Les ornières de la route, encore pleines d’eau de pluie, font devant moi de longs traits de clarté. Blanches, au-dessus de l’horizon proche, des fumées montent, qui annoncent le village caché au pli de la vallée. Bientôt j’aperçois le coq du clocher, puis le capuchon de zinc du toit. Enfin la route plonge brusquement et je vois Mouilly à mes pieds.

Les maisons blanches, les maisons bleues détachent leurs couleurs sur le vert jauni des prés. Quelques brèches noires ouvertes dans les murs, quelques trous béants dans les tuiles rappellent, malgré qu’on en ait, les rafales d’obus qui ont croulé sur ces demeures. Mais la fine transparence de l’air pose comme un oubli sur ces mutilations des choses. On les voit encore ; elles ne saignent plus ; il semble que le village, comme un blessé pansé, ne souffre plus ».

Quel contraste du premier paragraphe au suivant, et sans transition ! Au contraire, le troisième nous renvoie insidieusement à la guerre, omniprésente, dont les dégâts sont patents, même si le village en question semble s’en être remis…

Je ne peux m’empêcher de songer à :

 « Quatre maisons fleuries d’orchis jusque sous les tuiles émergent de blés drus et hauts.

C’est entre les collines, là où la chair de la terre se plie en bourrelets gras.

Le sainfoin fleuri saigne dessous les oliviers.

Les avettes dansent autour des bouleaux gluants de sève douce.

Le surplus d’une fontaine chante en deux sources. Elles tombent du roc et le vent les éparpille. Elles pantèlent sous l’herbe, puis s’unissent et coulent ensemble sur un lit de jonc.

Le vent bourdonne dans les platanes.

Ce sont les Bastides Blanches » (Jean Giono, Colline, 1929).

Certains me diront : « Pas étonnant, c’est le style des années 20-30 ! ».

Peut-être, mais n’est-ce pas du grand art, dans un cas comme dans l’autre ?

21/01/2021

"Nuits de guerre" (Maurice Genevoix) : critique II

Aujourd’hui, c’est la Sainte Agnès…

J’ai repris mon gros bouquin, « Ceux de 14 », et je relis les pages que j’avais marquées en avril quand j’étais dans « Nuits de guerre » et dont je n’avais pas parlé dans mon premier billet à l’époque. Étonnamment, la magie du verbe est toujours là, on peut ouvrir le livre à n’importe quelle page et prendre plaisir à s’y replonger.

Par exemple, page 302 : « Les Boches se taisent : ils doivent dormir. Un silence d’anéantissement écrase ma tranchée : les miens dorment. Les bois eux-mêmes, autour de nous, reposent. Mais dans le temps où je m’endors aussi, un frémissement qui court dans les hautes feuilles me fait blottir ma tête sous un coin de ma couverture, dans un geste d’instinctive défense contre l’ennemi dont nul obstacle n’arrête le glissement perfide, et dont ce frais bruissement frissonnant sur les cimes annonce la venue redoutée : la pluie ».

Et plus loin, page 323, cet échange entre le sous-lieutenant Genevoix et le soldat Pannechon, à bout, sans plus aucun espoir, échange que l’on a envie de mettre sous les yeux de nos compatriotes, à bout, minés par cette pandémie à coronavirus qui n’en finit pas : « J’suis gelé, j’ai mal partout : j’ai envie d’me laisser crever (…) C’est trop d’maux pour les mêmes, aussi ! Quante c’est pus les balles, c’est la boue, c’est la flotte, c’est l’manque de dormir ou d’manger, toujours du mal : ça fatigue à force, vous savez/ moi j’suis au bout, j’ai pus d’courage (…) Eh bien ! moi j’vous dis qu’j’en ai marre, qu’j’aime mieux n’pus vivre du tout que d’revoir une nuit comme celle-là. On en reste marqué ; on n’en guérira p’t-êt’e jamais… Pus d’plaisir, pus d’gaîté, pus d’bon temps. C’est comme si on était d’venu vieux tout d’un coup… ».