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21/01/2021

"Nuits de guerre" (Maurice Genevoix) : critique II

Aujourd’hui, c’est la Sainte Agnès…

J’ai repris mon gros bouquin, « Ceux de 14 », et je relis les pages que j’avais marquées en avril quand j’étais dans « Nuits de guerre » et dont je n’avais pas parlé dans mon premier billet à l’époque. Étonnamment, la magie du verbe est toujours là, on peut ouvrir le livre à n’importe quelle page et prendre plaisir à s’y replonger.

Par exemple, page 302 : « Les Boches se taisent : ils doivent dormir. Un silence d’anéantissement écrase ma tranchée : les miens dorment. Les bois eux-mêmes, autour de nous, reposent. Mais dans le temps où je m’endors aussi, un frémissement qui court dans les hautes feuilles me fait blottir ma tête sous un coin de ma couverture, dans un geste d’instinctive défense contre l’ennemi dont nul obstacle n’arrête le glissement perfide, et dont ce frais bruissement frissonnant sur les cimes annonce la venue redoutée : la pluie ».

Et plus loin, page 323, cet échange entre le sous-lieutenant Genevoix et le soldat Pannechon, à bout, sans plus aucun espoir, échange que l’on a envie de mettre sous les yeux de nos compatriotes, à bout, minés par cette pandémie à coronavirus qui n’en finit pas : « J’suis gelé, j’ai mal partout : j’ai envie d’me laisser crever (…) C’est trop d’maux pour les mêmes, aussi ! Quante c’est pus les balles, c’est la boue, c’est la flotte, c’est l’manque de dormir ou d’manger, toujours du mal : ça fatigue à force, vous savez/ moi j’suis au bout, j’ai pus d’courage (…) Eh bien ! moi j’vous dis qu’j’en ai marre, qu’j’aime mieux n’pus vivre du tout que d’revoir une nuit comme celle-là. On en reste marqué ; on n’en guérira p’t-êt’e jamais… Pus d’plaisir, pus d’gaîté, pus d’bon temps. C’est comme si on était d’venu vieux tout d’un coup… ».

18/01/2021

"Ceux de 14" (Maurice Genevoix)

Comme chacun sait, Maurice Genevoix était un écrivain « animalier » et campagnard (Raboliot…), amoureux de la nature, qualité qui lui a valu son Prix Goncourt dans les années 20 (il y a un siècle) et c’était ainsi que le voyait le grand public, jusqu’au moment où, les commémorations de la Grande Guerre de 14-18 approchant, on se rappela qu’il avait écrit un monument littéraire consacré à ses mois passés près de Verdun comme sous-lieutenant : « Ceux de 14 ».

En fait « Ceux de 14 » est la compilation révisée par l’auteur en 1945 de ses cinq récits « Sous Verdun » (1916), « Nuits de guerre » (1917), « Au seuil des guitounes » (1918), « La boue » (1921) et « Les Éparges » (1923). L’ensemble forme un gros volume de 860 pages dans l’édition de 2013 de Flammarion.

J’ai mis presqu’une année à le lire, une année de pandémie, de confinement, de couvre-feu, causée par un virus qui nous a rappelé la grippe dite espagnole de 1918-1919.

Les cendres de Maurice Genevoix ont été transférées au Panthéon le mercredi 11 novembre 2020.

Il était par ailleurs le beau-père du regretté Bernard Maris, tombé sous les balles des terroristes islamistes en janvier 2015.

J’ai rendu compte de ma lecture de « Sous Verdun » le 26 mars 2020 et de « Nuits de guerre » le 2 avril 2020. Entre temps, bien sûr, j’ai lu nombre d’autres livres – et non des moindres : « Les Misérables », « L’accent de ma mère », etc. – et j’en ai parlé également dans ce blogue.

Il me reste des choses à écrire sur « La boue » et sur « Les Éparges », mais disons tout de suite que la fin du récit est grandiose ; cela tient aux deux qualités majeures de l’œuvre : le fond est poignant, dramatique et malheureusement répétitif mais Maurice Genevoix en rend compte froidement, sans pathos, sans récriminations ni révolte, en mettant toujours en avant l’humain, la solidarité, le sacrifice consenti (même l’ennemi, s’il est appelé « les Boches », n’est jamais haï ni méprisé) ; la forme quant à elle est sobre, concise, et pourtant poétique, parfois presque lyrique.

L’édition de Flammarion dont je parlais comporte une belle préface de Michel Bernard et, en postface, un dossier dans lequel Florent Deludet s’interroge sur la vérité historique dans le chef d’œuvre de Maurice Genevoix, en le confrontant à des témoignages de compagnons de guerre. Tout concorde, et « Ceux de 14 » est bien lui aussi un témoignage de ce qui s’est vraiment passé.

Quelle meilleure présentation et quel meilleur hommage à cette somme que cette lettre de J.-B. Favatier, ancien officier de la 12èmecompagnie du 106èmerégiment d’infanterie, à l’auteur, datée du 1erjuillet 1923 ?

« Parmi vos anciens camarades de combat, nombreux sont sans doute ceux qui vous ont déjà exprimé l’émotion ressentie à la lecture de vos poignants souvenir de guerre. Est-ce par l’intensité des souvenirs personnels qu’elles éveillent – je ne sais – mais, à mon humble avis, mes pages qui viennent de paraître sur les Éparges, dans la Revue de Paris, dominent tout votre œuvre de guerre. J’ajoute, sans aucune intention de flatterie, que chez aucun écrivain, sauf Dorgelès peut-être, je n’ai lu semblable évocation des heures, à la fois sublimes et misérables, dont le souvenir, hélas, est déjà presque estompé.

Vos combattants ne jouent aucun mélodrame patriotique ou humanitaire, l’horreur dans laquelle ils vivent, si c’est vivre que de traverser de tels cauchemars, n’est masquée ni travestie par aucune déclamation. Ni bravaches ni révoltés mais braves gens pacifiques dont la profonde résignation à l’inévitable se hausse par instants jusqu’au sacrifice volontaire le plus pur : voilà comment j’ai connu mes hommes et comment je les retrouve avec émotion dans votre plume.

Mais j’admire surtout que, dans le charnier des Éparges – le plus effroyable, j’en puis témoigner, de tous ceux de la guerre, Verdun compris –, vous avez pu conserver à la fois la résistance physique et la liberté d’esprit indispensables, pour inscrire d’aussi minutieuses notations. Car ces souvenirs ne sont pas uniquement œuvre de mémoire, et moins encore d’imagination, il y a des détails vécus qui ne trompent pas » (page 876).

On apprend dans le dossier qu’il y a eu plusieurs livres et mémoires écrits par des acteurs de cette terrible épreuve. Émergent ceux de Henri Barbusse (« Le feu »), de Roland Dorgelès (« Les croix de bois ») et le roman de Jean Giono (« Le grand troupeau »). J’ai lu les deux derniers.

En tant que témoignage, le récit de Maurice Genevoix est supérieur, par son ampleur et la qualité de son style littéraire, à celui de Roland Dorgelès.

En tant que roman, le livre de Jean Giono est à part, et tout simplement magnifique.

14/01/2021

"Un sommet de ridicule" (Michel Volle) II

Je reproduis également, ci-dessous, les commentaires qui ont été apportés à ce billet (que leurs auteurs m’excusent, je ne mentionne pas leur nom). 

Oui, j'ai vu encore pire : un séminaire à Sciences Po, avec deux orateurs américains parfaitement francophones, qui avaient fait l'effort de préparer leur intervention en français, et qui se sont vus priés de parler en anglais. À Sciences Po il me semble que tous les enseignements sont en anglais désormais. Comme tu le dis, on ne peut exprimer des choses subtiles que dans sa langue maternelle, sauf les vrais polyglottes, assez rares. 

Je suis d'accord à 100 %. C'est une question de souveraineté aussi vis-à-vis de l'hégémonie de l'anglais ! 
La langue maternelle est de rigueur dans ce genre de séminaire.
Le snobisme de l'ENA, Sciences Po et autres ne m'étonne pas. L'arrogance de leurs dirigeants pour se plier à l'anglais, soi-disant plus vendeur sur la scène internationale.

Perseverare diabolicum ! Je parle bien sûr de l'usage du globish.
"Langue de la République en vertu de la Constitution, la langue française est un élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France. Elle est la langue de l'enseignement, du travail, des échanges et des services publics.
Elle est le lien privilégié des États constituant la communauté de la francophonie." Article 1er de la loi n° 94-665 dite "Toubon"
 

Dans une conversation à Montréal, je m'étonnais du mot "traficologie" utilisé par mon interlocutrice canadienne en lui disant : "On ne dit pas ce mot en français". Elle m'a gentiment repris en me disant "Vous voulez dire en France. Vous comprenez ?".

En n'utilisant plus notre langue que pour décrire une partie de nos repas parce qu'on ne peut pas - soi-disant - parler de sujets scientifiques en français, nous la laissons s'appauvrir et mourir. Tant pis, bientôt nous autres Français de France parlerons québecois... 

Au Québec, on parle de l'infonuagique pour le cloud computing et, surtout (parce que c'est délicieux) d'egoportrait pour les selfies ! 

Vous avez raison, nous faisons un grand effort au Québec pour conserver le bon usage de notre belle langue française, même si le gouvernement ne fait pas partie de l'équation.