24/12/2020
Il y a un après à Saint Germain des Prés...
Rien à voir avec la magie de Noël, avec nos souvenirs d’enfance, ni avec ce Noël de la COVID-19 et son réveillon sans couvre-feu !
Ce billet est seulement un coup de projecteur sur quelques articles que j’avais gardés « sous le coude » (comme on dit)…
D’abord le « Prenons-les au mot » de Samuel Piquet dans le Marianne du 6 novembre 2020. Il y remarque, force tueries à l’appui, que le mot « neutraliser » remplace maintenant dans les médias le terrible mot « tuer », quand il s’agit de terroristes, qui « rejoignent ainsi la grande famille des morts par euphémisme, constituée par tous ceux qui ont disparu ou se sont éteints ». Étymologiquement, le mot signifiait « rester neutre » ; il a pris le sens de « annuler », « empêcher d’agir » ou « rendre inoffensif » au XVIIIème siècle. Or, de nos jours, on ne « neutralise » un assassin qu’après qu’il a commis un crime… « On le rend inoffensif, certes, mais un peu tard ». Comme d’habitude avec Samuel Piquet, l’humour et la virtuosité littéraire ne sont jamais loin ; il conclut en effet : « Faut-il en conclure qu’une société impuissante à enrayer le terrorisme islamiste cherche à compenser cet échec par les mots ? (…) Ce qui est certain, en revanche, c’est que l’emploi de neutraliser est tout sauf neutre ».
Le même Samuel Piquet a signalé dans le même Marianne – mais celui du 26 juin 2020 – que l’écrivain J.-K. Rowling, que l’on ne présente plus, a subi une campagne d’intimidation sur les réseaux sociaux pour avoir déclaré que seules les femmes ont leurs règles… Devinez donc qui était censé être victime de discrimination ; réponse en bas de ce billet. Toujours est-il que, dans la foulée, un groupe d’employés de Hachette en Grande-Bretagne, a exprimé son refus de travailler dorénavant sur ses romans ! Sanctionnée pour avoir écrit des banalités !
Un malheur n’arrivant jamais seul, la réaction de l’éditeur, en apparence ferme et sensée, apporte quand même sa pierre à l’édifice de la bienpensance généralisée : « La liberté d’expression est la pierre angulaire de l’édition. Nous croyons fondamentalement que chacun a le droit d’exprimer ses propres pensées et croyances (…) Nous ne ferons jamais travailler nos employés sur un livre dont ils trouvent le contenu bouleversant pour des raisons personnelles mais nous faisons une distinction entre cela et le refus de travailler sur un livre parce qu’ils sont en désaccord avec le point de vue d’un auteur » ! Il y avait déjà ces relecteurs que les Américains ont inventés sous le nom de sensitivity readers et qui sont chargés de repérer dans les œuvres les contenus potentiellement offensants ; faudra-t-il que les écrivains s’entourent de relecteurs de leurs déclarations sur les réseaux sociaux ? Comme dit Samuel Piquet : « On n’arrête pas le progrès ».
Et ce progrès-là arrivera un jour ou l’autre en France, malheureusement, n’en doutons pas… De même que les États-Unis nous ont déjà exporté une version à peine adaptée de leur « Black Lives Matter », avec ce mouvement réclamant de déboulonner des statues et de débaptiser des rues (alors que nous avons déjà nombre de boulevards Nelson Mandela et autres grandes figures universelles). Il est vrai que de ce côté-ci de l’Atlantique, ils sont bien aidés dans leur exportation ! Voir la chronique de Benoît Duteurtre dans le même numéro de Marianne.
Toujours dans le registre du soft power états-unien qui continue à nous américaniser (souvent pour le pire), 75 ans après le débarquement en Normandie, il y a cet autre billet de Benoît Duteurtre, à propos de la réédition bienvenue, par sa fille, des chansons de Guy Béart. Dans un disque d’hommage, Emmanuelle n’a rien trouvé de mieux à faire que de transformer les paroles célèbres de son paternel : « Qu’on est bien dans les bras d’une personne du sexe opposé » et de chanter celle-ci avec Thomas Dutronc – autre fils à papa, si j’ose dire – : « Qu’on est bien dans les bras d’une personne qui nous va » ! Quelle trahison et quelle lâcheté et quelle bienpensance ! Ou alors quel sens de la mercatique (ne pas braquer quelques acheteurs potentiels) !
Oublions ces niaiseries et réécoutons Béart chanter « Vive la rose », « Les grands principes » « L’eau vive » et « Il n’y a plus d’après à Saint Germain des Prés ».
Ah, j’allais oublier… La réponse est : les transgenres.
Bon Noël à tous !
16:50 Publié dans Actualité et langue française, Béart Guy, Chanson, Franglais et incorrections diverses | Lien permanent | Commentaires (0)
17/12/2020
"Cora dans la spirale" (Vincent Message) : critique
C’est un roman contemporain, publié au Seuil en 2019, qui se passe en 2012 ; le genre de roman que je ne lis pas et qui pourrait aussi bien avoir été couronné du Prix du Livre Inter, du Renaudot, du Médicis ou d’un des innombrables autres (d’ailleurs il avait fait partie de ces sélections). Pourquoi m’y être intéressé ? parce qu’il était recommandé par Marianne je crois et que j’aime bien faire confiance, de temps à autre, au coup de cœur d’un tiers.
Donc j’ai lu « Cora dans la spirale » de Vincent Message, sans déplaisir. C’est un roman bien ficelé, bien construit, bien raconté, au style agréable et lisible. À part quelques phrases correctes mais difficiles à décoder à la première lecture, comme celle-ci : « qu’il avait dû accueillir comme un de ces cadeaux étranges que fait parfois la vie ce jeune homme à l’esprit aigu mais manquant un peu d’expérience » - avouez qu’avec une virgule après « la vie », la lisibilité serait meilleure, et quelques formules évitables « elles ont été se balader dans des recoins cachés de Paris » au lieu de « elles sont allées… » (page 487) et « les adultes doivent être attentifs (…), pour ne pasqu’ils se transforment en drames » au lieu de « pour qu’ils ne se transforment pas en drames » (page 464).
La moitié du livre, jusqu’à la page 231, est passionnante en ce qu’elle décrit à la perfection l’entreprise moderne (ici il s’agit d’une compagnie d’assurance), surtout quand d’un univers familial elle plonge dans l’enfer mondialisé du rendement à tout prix, avec ses rites, ses coups bas, les ambitions, la perversité, la séduction, la soumission ou la rébellion des uns et des autres, et… le harcèlement moral qui s’avère l’aspirateur de la spirale qui va broyer Cora. Même vers la page 440, quand, au beau milieu du plan social de Borélia, le dirigeant se gave d’augmentations, de jetons de présence, d’actions gratuites et de bonus, la froide présentation de la litanie des justifications est criante de vérité (lire n’importe quel numéro du quotidien Les Échos…). Le mari de Cora, écœuré, en déduit deux définitions intéressantes : « Courage, nom masculin : capacité à prendre des décisions qui servent vos intérêts, seront appliquées par d’autres et détruiront la vie de gens que vous ne croisez jamais. Démagogie, nom féminin : en relève toute proposition qui contredit les intérêts des dominants mais les laisse à court d’arguments ». Épatant, non ?
On devine l’expérience vécue ou bien une enquête approfondie ! Sur ce plan-là, Michel Houellebecq n’est pas loin.
À partir du chapitre « Éros selon Cora », l’auteur nous embarque dans l’histoire d’une femme et de son entourage professionnel et privé (le tout entremêlé, comme il se doit aujourd’hui) ; c’est moins original ; on pense alors à « Un secret » de Philippe Grimbert (Grasset, 2004), pour une raison que je ne donnerai pas, afin de ne pas dévoiler l’intrigue. Vincent Message ne nous épargne aucun poncif de la société dite post-moderne : amours saphiques torrides et évidemment décomplexées, mari aux fourneaux, soutien à un migrant malien qui zone à Saint Lazare et rêve de peinture, quartiers à la mode des mégapoles (le Berlin de Prenzlauerberg, l’est parisien, les peintures de Florence et Sienne, Shanghai et New-York, la Silicone Valley…), les virées sur la côte normande. Par ailleurs, autant la description de la vie de bureau était réaliste, autant la seconde partie accumule les rebondissements à la limite de l’invraisemblable.
Il y a néanmoins de beaux passages, comme celui sur le pays de Caux, qui donne l’occasion de relativiser à la fois le charme de la vie en province et les mirages si attrayants des Impressionnistes : « Les oiseaux se pelotonnent dans les arbres. À partir de midi, les commerces ferment. Les impressionnistes n’ont pas dit combien il faisait froid, quand le soleil est mort. Ils ont menti sur tout, en fait : la rudesse du climat, les paysages et les couleurs » (page 378).
Ce qu’on pourrait appeler « le style narratif » de l’auteur fait merveille du début à la fin (sauf peut-être dans l’épisode Delphine) : il sait décrire des situations et parsème ces descriptions de remarques sur l’histoire (page 46), sur la mort ou sur la vie de couple. On est accroché !
Ah, une dernière chose : le dernier chapitre est très réussi ; l’histoire se termine moins mal qu’on pouvait le craindre, la vie reprend le dessus.
Au total, voilà donc un livre agréable à lire, qui vaut bien les Marc Lévy et autres Musso, mais que l’on n’aura pas envie de relire.
07:00 Publié dans Littérature, Livre, Message V., Roman | Lien permanent | Commentaires (0)
14/12/2020
Êtes-vous corporate ?
J’ai trouvé dans LinkedIn un petit lexique amusant qui traduit en français le vocabulaire – ou plutôt les tics verbaux – des cadres modernes perfusés d’une part au sabir franglais et d’autre part à la novlangue de l’Entreprise. Jugez-en !
Voyons d’abord la novlangue… Les employés d’antan sont devenus des collaborateurs (preuve s’il en est qu’un mot n’est rien, du moins que le temps qui passe efface peu à peu toutes les connotations ; en l’occurrence, collaborateurs n’aurait certainement pas pu émerger à une autre époque…), la rémunération une gratification (c’est tellement plus valorisant !), mon responsable direct mon N+1, les cotisations sociales des charges sociales, les choses qui ne vont pas des axes d’amélioration ou des marges de progression, un licenciement une nouvelle orientation donnée à sa carrière, s’impliquer se dit être force de proposition…
Et terminons avec le franglais, tellement dans les habitudes et tellement ridicule que l’on ne sait plus s’il faut en rire ou en pleurer. Puisque j’ai parlé d’un lexique, je vais présenter cela en tableau :
Ne dites plus… |
mais plutôt : |
Brainstormer |
Réfléchir |
Prendre le lead |
Diriger |
Challenging |
Difficile, stressant |
ASAP |
Le plus tôt possible, urgent |
Un draft |
Un essai, un brouillon, une ébauche, un premier jet |
Je suis fulltime là-dessus |
Je travaille uniquement là-dessus |
J’ai un call |
Je dois téléphoner, je dois passer un appel, j’ai une réunion téléphonique |
Faites-moi un feedback |
Faites-moi un retour |
En one to one |
En face à face, en tête-à-tête |
Débriefer |
Faire le point, analyser la situation, tirer les leçons ou les conclusions d’un entretien |
Corporate |
Le Groupe, les hautes sphères… on ne sait pas trop quoi |
Je suis focus |
Je suis concentré, polarisé sur un truc |
Je suis overbooké |
J’ai trop de travail, je suis débordé |
J’ai fait un benchmark |
J’ai fait un comparatif, j’ai comparé avec ce qui existe |
C’est touchy |
C’est délicat, c’est risqué, c’est compliqué |
Borderline |
Limite, à la limite |
Elle est pas belle, la vie ?
07:00 Publié dans Actualité et langue française, Franglais et incorrections diverses | Lien permanent | Commentaires (0)