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03/11/2021

"Couleur du temps" (Françoise Chandernagor) : critique

Voici « Couleur du temps », un petit livre merveilleux, plein de poésie et de mélancolie, publié en 2004 chez Gallimard, par Françoise Chandernagor, orfèvre en la matière, puisque cette dame, outre qu’elle est célèbre pour une fameuse réplique lors du Grand Oral d’admission à l’ENA, nous avait donné un récit qui fit date : « L’allée du Roi ». J’avais aussi beaucoup aimé « La première épouse » pour sa fine analyse psychologique qui fait penser à Proust, et son évocation des Combrailles que je longe quand je vais chez Blaise Pascal.

Ici il s’agit à première vue (!) de l’histoire d’un tableau, un portrait plus précisément ; mais autour de l’exécution et surtout de la transformation de ce portrait de famille, c’est la démarche d’un homme – et en l’occurrence son exigence et sa passion dévastatrice pour la justesse des couleurs sur la toile – et même l’histoire de sa famille, qui apparaissent.

Ce roman fait penser à « Terrasse à Rome » de Pascal Quignard (Gallimard, 2000) et surtout à « Le parfum » de Patrick Süskind (1985), que Babelio nous résume ainsi : « Au XVIIIème siècle vécut en France un homme qui compta parmi les personnages les plus géniaux et les plus horribles de son époque. Il s'appelait Jean-Baptiste Grenouille ». Tiens, coïncidence ?, notre peintre se prénomme Baptiste ! Donc le « genre » était connu : mi-biographie, mi-conte philosophique, mi-roman historique (cela fait trois moitiés…). C’est aussi le dévoilement de la vie des anonymes doués, dans l’ombre des génies : Baptiste dans l’ombre de Chardin et Greuze, c’est un peu Salieri dans l’ombre de Mozart (France Musique pose la question : « Antonio Salieri était-il vraiment un compositeur médiocre, inférieur au grand Mozart ? Aurait-il empoisonné ce dernier par jalousie ? »).

Peut-on aller plus loin dans la critique ? Il est impossible de rendre dans un billet la beauté et la profondeur de ce conte ; il faut se laisser emporter ; je peux seulement le recommander aux amateurs d’Histoire, d’histoires, de biographies même inventées et d’art (sans être aucunement des spécialistes de la Peinture). Et leur promettre aussi qu’ils auront envie de le relire !

29/10/2021

"La France n'a pas dit son dernier mot" (Éric Zemmour) : critique (IX)

De plus Éric Zemmour est direct, il annonce la couleur et dit les choses telles qu’il les pense, même si certains mots, évidemment, peuvent choquer ou être contestés (Grand remplacement, par exemple). On pourrait ajouter qu’il est constant et persévérant (cf. page 129 son discours à un colloque de l’UMP en mars 2011). À l’évidence, son recentrage permanent et à tout propos sur l’immigration (voir page 212, par exemple), même s’il le fait sciemment parce qu’il considère que c’est le sujet majeur à traiter aujourd’hui, choque ses adversaires (y compris ceux qui pratiquent le déni depuis des décennies) et peut même lasser ses soutiens. Mais surtout, il déchaîne la désinformation et donc la caricature (on lui prête le souhait de « déporter les immigrés » et M. Montebourg, souvent mieux inspiré, a même dit de lui qu’il voulait « jeter les Arabes » à la mer !). Quelle horreur ! Bref, être direct, c’est bien mais un peu de nuances, sur des sujets aussi graves, serait encore mieux.

Percutant ? J’aime particulièrement les « chutes » ! Il y a un talent à savoir terminer une anecdote ou une démonstration par « la phrase qui tue » (qui fait réfléchir, qui fait rire, etc.). Exemple typique, un peu understatement à l’anglaise, page 169 : « Je songe à la phrase du général de Gaulle : En général, les hommes intelligents ne sont pas courageux. Jean-Louis Borloo est très intelligent ». Et aussi « Trop content de lui trouver enfin un défaut que je n’ai pas » (page 171). J’aime aussi les listes à la Prévert comme ce portrait de Jacques Chirac en trois pages, à travers ses sorties et les grands moments de sa vie politique (page 293). Et son chapitre « La guerre à Macron » (page 304), titre qu’il faut lire « La guerre de Macron » !

Autocritique ? oui, dès les premiers mots de l’introduction, dans laquelle il reconnaît avoir cru, à tort, gagner la guerre. Et aussi page 125, quand il raconte son procès début 2011, sa condamnation et son refus hautain d’interjeter appel ; il considère que c’était une erreur. Effectivement, aujourd’hui encore, on essaie de le disqualifier à travers cette condamnation.

Et j’aime bien sa phrase « Le philosémitisme militant n’était que la forme inversée de l’antisémitisme, les deux se retrouvant sans une exceptionnalité juive où la persécution est la preuve de l’élection » (page 171).

27/10/2021

"La France n'a pas dit son dernier mot" (Éric Zemmour) : critique (VIII)

Concret ? oui quand il rapporte les « cris du cœur » de Pascal Blanchard qui lance « Tu pourras dire ce que tu veux. On s’en fout, on gagnera, on tient les programmes scolaires » (page 120). De Claude Géant qui avoue que le Ministre de l’Intérieur ne peut réduire les flux que de 10 % à cause de « tous les droits accordés aux étrangers » (page 137). De J.-C. Cambadélis qui justifie son optimisme quant à l’immigration par un « Ils voudront porter des Nike » (page 140). De Guillaume Pépy sur "le TGV qui a absorbé tous les investissements" (page 150). De Léa Salamé : « Charlie te donne raison sur tout !". De Frédéric Mion (IEP Paris) : « Les profs ont repéré les lycées de banlieue que nous avons sélectionnés et y mettent leurs enfants pour qu’ils soient dispensés des épreuves écrites ». À ma connaissance, aucun de ces propos révélateurs et « décapants » n’a été démenti.

Documenté, argumenté et engagé ? Oui, c’est une qualité unanimement reconnue aux écrits et aux interventions orales d’Éric Zemmour, même si certains proclament que « ses analyses historiques sont contestées par les vrais historiens » et d’autres raillent sa manie d’user et d’abuser de citations (De Gaulle très souvent, Tocqueville, Taine, etc.). Ses analyses, comme page 71 sur le Kosovo, ou page 82 sur les origines de la culture occidentale ou page 85 sur le supposé retard français, ou page 95 sur le retour dans le commandement intégré de l’OTAN, ou page 101 sur l’apport de Claude Lévi-Strauss ou page 131 sur l’Allemagne de Madame Merkel, ou page 141 sur Steve Jobs et notre fascination pour l’Amérique, ou page 229 sur Trump, le Brexit et les modèles venus du monde anglo-saxon, ou les pages sur F. Fillon et S. Veil, ou le long chapitre sur Valéry Giscard d’Estaing, Président trop intelligent qui avait tout compris, sont très souvent brillantes et convaincantes. Et surtout elles tranchent sur le salmigondis et les fameux « éléments de langage » entendus à longueur de journée dans les médias.