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11/10/2021

"La France n'a pas dit son dernier mot" (Éric Zemmour) : critique (I)

Le dernier livre d’Éric Zemmour, « La France n’a pas dit son dernier mot » (Rubempré, 2021) est un peu la suite de « Le suicide français » (2014) et de « Destin français » (2018) et, si l’on se limite aux titres, on peut penser que c’est le retour de l’espérance ou du moins de l’envie de ne pas baisser les bras : le pays se serait suicidé, son destin serait donc la disparition mais, en fait, non, il veut (peut) redresser la tête. Que cette « suite éditoriale » soit la conséquence ou au contraire le fondement d’une ambition politique (présidentielle en l’occurrence) est une discussion qui n’a pas sa place dans ce blogue. Je veux simplement, comme d’habitude, rendre compte d’une lecture et commenter les points qui m’ont intéressé ou déplu.

Premier constat : ce livre est construit comme un journal, contrairement aux précédents ; c’est le récit chronologique des échanges  que le journaliste politique a eus avec des gens en vue depuis 2006 et jusque décembre 2020, mis à part la longue introduction et bien sûr la conclusion, plutôt brève.

  • Sur la forme, c’est « Choses vues » de Victor Hugo, auquel il se réfère explicitement.
  • Sur le fond, c’est la substance de ses deux ans de chroniques sur la chaîne CNews, dans l’émission « Face à l’info » de Christine Kelly. Ses auditeurs fidèles ne seront pas surpris ; ils trouveront ici écrit le développement de ses analyses à l’antenne, ainsi que ses principales références (« Les origines de la France contemporaine » de H. Taine, « Le choc des civilisations » et « Qui sommes-nous ? » de S. Huntington, A. Tocqueville, « Les Illusions perdues » de H. de Balzac, « Qu’est-ce qu’une nation » d’Ernest Renan, « Kaputt » de Malaparte, « L’éloge des frontières » de Régis Debray, « La semaine sainte » de Louis Aragon).

08/10/2021

"Le ruisseau des singes" (Jean-Claude Brialy)

Voici un gros livre aussi sympathique, aussi primesautier et aussi chaleureux que l’était son auteur : « Le ruisseau des singes » est l’autobiographie que l’acteur Jean-Claude Brialy a publiée chez Robert Laffont en 2000. Il est dédicacé à Michel et à Bruno… et Jeanne Moreau, en tant que « marraine », a écrit en entête un petit texte charmant et plein de poésie.

Au long des 419 pages défile tout ce que le monde du spectacle comptait comme amis ou connaissances de Jean-Claude Brialy ; c’est le Bottin mondain. Autant dire que c’est amusant car il connaît tout le monde (Jean Marais, Jean Gabin, Jean Cocteau, Arletty, Marie Bell, Marlène Dietrich, Romy Schneider, François Dorléac, Alain Delon, Édith Piaf, Joséphine Baker, Maria Callas, Jacques Brel et tant d’autres, sur lesquels il multiplie les anecdotes) ; il nous raconte aussi par le menu le tournage des innombrables films (185) auxquels il a participé, depuis qu’il était devenu « l’acteur fétiche de la Nouvelle Vague ».

Il y a beaucoup de superficiel dans les anecdotes racontées, sans doute est-ce le reflet de la sensiblerie des artistes et des rapports souvent hypocrites qu’ils entretiennent. Voici par exemple, page 210, comment il raconte la soirée lors de laquelle il a épargné des heures de solitude à Marlène Dietrich « tout de blanc vêtue, tailleur blanc, chapeau blanc, sublime de beauté » : « Je la traînai dans la loge de Marie Bell, qui était en train de se préparer ; regarde, Marie, je t’amène une surprise. Marie se retourna et vit Marlène. Son visage s’illumina. Elles tombèrent dans les bras l’une de l’autre. Marie demanda du champagne à son habilleuse ». Quand il revint dans la loge après son spectacle, « elles contemplaient leurs jambes admirables et riaient comme deux gamines ». Beaucoup de superficiel, beaucoup de pathos, beaucoup de beaux sentiments (« tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » comme disait le cynique en chef Jean Yanne). Aux obsèques de Marie Bell, « Coluche fit porter une énorme gerbe de roses blanches. Elle et lui s’adoraient » (page 210). On vous le dit sur tous les tons, ils s’aiment tous. Ils sont tous doués, formidables, généreux, inoubliables. C’est sûr, il les a aimés mais, vraiment, trop c’est trop, le témoignage manque de sincérité, ou alors c’est de la naïveté.

Mais bon an mal an transparaît à chaque anecdote la sensibilité, la gentillesse, l’empressement, la serviabilité, l’empathie de Jean-Claude Brialy.

Il avait passé son enfance près d’Angers, alors que ses grands-parents maternels habitaient à Issoire et une tante à Brioude… mais était né à Aumale, en Algérie, le 30 mars 1933. Le titre de son livre vient de là, un lieu-dit près de Blida. En 2008, la chanteuse Françoise Hardy intitulera son autobiographie « Le désespoir des singes » mais la référence sera autre (le fameux arbre à l’écorce si particulière).

En revanche, peu de choses sur sa vie privée adulte, sauf cinq lignes tout à la fin (page 414). Sur toutes les photos de femmes, plus belles les unes que les autres (Romy, Claudia, Françoise, Natalie… et Catherine !), la légende mentionne « mes fiancées »…

Le livre, sans prétentions littéraires, est attachant parce que l’homme l’était. Sans descendance, quasiment fâché avec sa famille, il a légué sa maison de Seine et Marne à une fondation, après sa mort le 30 mai 2007.

03/10/2021

Irritations linguistiques LXVIII

L’Union européenne (et non l’Europe comme on nous le dit trop souvent – on peut être européen et être opposé à l’Union européenne telle qu’elle a été faite par les libéraux et les marchands. Plus exactement, on est de toutes façons européen, c’est un fait) se mêle de tout, c’est bien connu.

Il y a donc un dispositif européen qui a conduit à l’expression écrite FALC, à savoir « Facile à lire et à comprendre ». C’est une façon d’écrire qui a pour but de faciliter la compréhension pour les publics souffrant de difficultés de lecture (handicap mental, déficience intellectuelle et, plus gênant, non-francophones). L’idée est d’utiliser des phrases courtes, des mots simples, avec une mise en page aérée.

L’encart paru dans le journal de la MACIF (janvier 2021) indique que de plus en plus d’informations gouvernementales ou administratives, comme les recommandations liées à la pandémie COVID, existent maintenant en version FALC.

On peut approuver cet effort pour se faire comprendre de tous et faciliter la vie de personnes handicapées. Et après tout, « utiliser des phrases courtes, des mots simples, avec une mise en page aérée » est le b-a-ba de la communication par l’écrit (dans la vie courante, nul besoin de s’exprimer comme Marcel Proust). Mais on peut aussi craindre une nouvelle attaque (évidemment bienveillante) contre la langue et la façon de l’écrire. Ici on simplifie, alors que l’écriture dite inclusive en rajoute ! On est cerné…

Et malheureusement, cette simplification (qui pourra parfois supprimer les nuances que le français excelle à rendre) intervient dans un contexte de baisse extrêmement inquiétante du niveau des jeunes Français : vocabulaire pauvre, ignorance des règles de la syntaxe, disparition du mode subjonctif et du passé simple de l’indicatif, confusion entre le futur et le conditionnel, etc. Elle pourrait donc être un moyen de reconnaître, voire de favoriser et de pérenniser, les clivages (et la facilité) : la langue des Classiques pour l’élite, le FALC pour les autres. Si tu ne viens pas à la langue, la langue ira à toi, en somme. N’est-ce pas déjà le cas ?

Voici l’exemple donné par le journal : au lieu d’écrire « nul ne peut faire l’objet d’une discrimination à raison de son origine, de son apparence physique ou de son orientation sexuelle, s’il souhaite accéder à un établissement », on écrira « nous avons tous le droit d’être accueillis dans un établissement sans faire de différence ». Mauvaise pioche ! D’une part la nouvelle formulation embraye d’emblée sur le « droit à », démagogique et démobilisateur, et d’autre part elle n’a aucun sens ! C’est l’établissement qui ne doit pas faire de différence, et non pas la personne « qui a le droit » et sera accueillie. Or le sujet est commun aux deux parties de la phrase... L’enfer est pavé de bonnes intentions.

De façon amusante, je suis tombé, en écrivant ce billet, sur la page 79 du Marianne du 3 septembre 2021 traitant d’une n-ième recherche (en test-beta) de Google : commander son téléphone par ses expressions faciales (hausser les sourcils, ouvrir la bouche, sourire, lever les yeux (au ciel)…). Et voici ce qu’écrit le journaliste Nicolas Carreau : « Au départ, et comme souvent, ce nouveau prodige technologique était destiné aux personnes à mobilité réduite. Mais c’était oublier une nouvelle fois la fainéantise des valides (NDLR : voir plus bas le validisme), qui se rueront sur cette nouveauté pour économiser un peu de forces supplémentaires ». Donc, effectivement, à quand le FALC pour tous ?

À l’opposé, je me suis régalé en lisant la présentation, dans le Figaro magazine du 16 octobre 2020, du livre « Le grand quizz de la littérature française » (100 pages, 7,90 €) : « Le français est une langue d’une richesse inépuisable. La diversité de son vocabulaire permet d’exprimer toutes les nuances d’une idée ou d’un sentiment. Mais l’on peut aussi choisir de jouer sur l’ambiguïté et s’amuser, par exemple, avec le sens figuré d’une expression. Sans oublier le rôle de la ponctuation, qui, avec l’ajout ou le déplacement d’une simple virgule, modifier complètement le sens d’une phrase. Bref, la langue française peut être un jubilatoire terrain de jeu pour tout un chacun et plus encore pour les écrivains ! ». Tout est dit.

Ah, le vocabulaire, parlons-en !

Le vocabulaire abscons des minorités (ou plus exactement de leurs représentants plus ou moins autoproclamés qui essaient de tenir le haut du pavé) nous envahit depuis quelques années : genré, cis-genre, trans, non-binaire, intersectionnel, racialisé, queerwoke et wokisme, indigénisme, décolonialisme, validisme (ou capacitisme)1, essentialisation, privilège blanc, care, ethniciser, politiquement correct, quand on ne nous inflige pas les termes anglais : cancel culture, gender studies, postcolonial studies, racial studies, Black Feminism…, et sans parler de l’abus du suffixe « phobie » (qui désigne étymologiquement « la peur de » et qui est maintenant mis à toutes les sauces) : homophobie, transphobie, islamophobie, handiphobie, grossophobie (sic !), etc. On sait que le mot, s’il s’impose, impose l’idée. Lire l’article de Xavier de la Porte et de Rémi Noyon sur « Ces débats qui fracturent l’université » (l’islamogauchisme) et la « Confrontation Roudinesco-Laugier », tous deux dans l’Obs du 25 février 2021. Hallucinant !

Pour terminer, quelques citations tirées de l’entretien du journal Marianne (numéro du 3 septembre 2021) avec l’écrivain Sylvain Tesson, qui vont bien dans le sens de ce billet : « Pourquoi le progressisme public s’en prend-il à la langue, en rendant les enfants des écoles analphabètes, en trafiquant l’orthographe, en martyrisant la langue, en moralisant l’emploi de certains mots, en faisant croire qu’on changera les choses en changeant les mots ? C’est tout à fait logique. L’époque s’en prend à la langue parce que la langue est un espace de liberté, de salutation à la beauté en même temps qu’un écho du passé.

Les autorités modernes me proposent d’user de ma liberté dans des sphères où cela ne m’intéresse pas d’en user : changer de sexe, parler la langue que je veux, user de l’orthographe comme je l’entends, avoir un enfant sans les inconvénients de la vie avec un autre que moi-même. Parallèlement l’époque réduit la liberté dans l’intervalle où elle m’est précieuse : me déplacer, m’exprimer, prendre des risques. Je ne veux pas être émancipé ni de mes aïeux ni de mon passé ni de mon sexe ni de mon héritage culturel ni de ma langue ».

1Validisme (ou capacitisme) : « système de valeurs qui place la personne valide, sans handicap, comme la norme sociale. Les personnes non conformes à cette norme doivent, ou tenter de s’y conformer, ou se trouver en situation inférieure, moralement et matériellement, aux personnes valides » (d’après wikipédia).