29/06/2015
Haïti
On n'entend pas beaucoup parler d'Haïti, sauf en cas de catastrophe naturelle. Pourtant c'est un pays francophone des Caraïbes, avec lequel on devrait avoir des relations privilégiées… Mais les touristes préfèrent la République dominicaine toute proche et même Cuba.
Quand Denis Laferrière, Haïtien émigré au Québec, a été élu à l'Académie française, on a parlé de lui mais guère de son pays, me semble-t-il.
Cela étant, j'ai lu récemment deux articles le concernant et concernant la langue.
D'abord, sous le titre "Télémaque et les Tristes Tropiques", dans le Figaro du 24 avril 2015, un entretien avec Hervé Télémaque, peintre représentatif de la "figuration narrative". Il dit "Je me heurte aux Américains, pragmatiques, racistes, puritains… Je fais tout à l'envers. Quand tout le monde part pour New York, je quitte New-York pour Paris. Cela semble aujourd'hui un aberration. Pas pour moi. Il y a le racisme, je ne trouve pas un atelier. En France, je renoue avec une langue que ma mère m'appris à goûter, une culture générale plus forte, des gens intelligents. Mais pas de commerce. New York n'est que commerce".
N'est-ce pas là, en résumé, le mal français ? Dans un monde où tout n'est que commerce, que font les Français, intelligents, baignés de culture générale ? Ils coulent...
Et il conclut sur son expérience parisienne : "J'ai toujours préféré la rigueur intellectuelle à l'abondance de moyens". Il est comme nous, il est mal...
Autre coup de projecteur, dans "Alternatives économiques" du février 2015, à propos du microcrédit.
Là-bas, on parle créole. Par exemple, une fondation s'appelle Fonkoze, qui veut dire "Fondasyon Kolé Zépol", pour "collés-épaules", qui évoque la solidarité en actes. Et son truc, c'est la microfinance. Elle prête quelques dizaines de dollars à des femmes des milieux les plus pauvres, loin de la capitale, pour qu'elles se lancent, après une formation succincte, dans un petit commerce.
Ainsi va la francophonie… de colloque en colloque...
25/06/2015
La Révolution avait supprimé les corporations, elles sont bien vivantes !
Bernard Hinault, formidable cycliste et vainqueur du Tour de France cinq fois, répondait à un journaliste de la télé il y a quelques jours, avec ses monosyllabes et son inimitable côté bourru et laconique. Interrogé sur le dopage, il a redit ce qu'il avait déjà dit plusieurs fois. En substance : non, c'est pas bien, mais tous les sports s'y adonnent, alors pourquoi toujours parler du cyclisme ? Corporatisme...
Internet, qui met en relation facilement, et à grande échelle, les gens et les bases de données, est un rouleau compresseur qui, effectivement, met en place la "nouvelle économie" que des visionnaires nous annonçaient sans preuve aucune en 2000 (d'où la bulle financière de l'époque autour de sociétés qui n'avaient aucune chance de gagner de l'argent dans un avenir proche).
Tous les métiers sont touchés ; on annonce que le prochain sera la banque et les banques se préparent à souffrir. En ce moment, Hubert fait l'actualité et menace nos adorables chauffeurs de taxi, qui menacent de s'en prendre aux usagers - c'est-à-dire leurs clients - en les bloquant. Corporatisme...
Je ne me prononce pas sur le fond car il est clair que les mutations profondes font des dégâts financiers et humains. Et la mutation internet, qui est "libérale", c'est-à-dire sans contrôle démocratique ni stratégie publique, a sans doute beaucoup de défauts, voire de tares insupportables, quant à l'avenir de notre société.
Mais il est un fait que les "groupes professionnels" agissent en permanence de façon corporatiste, à savoir : ils défendent leurs seuls intérêts et, pour ce faire, tous les arguments sont bons, même les plus saugrenus ou indéfendables.
Exemple : dans le débat sur la réforme du collège, que j'ai largement repris dans ce blogue, il y a eu un épisode hilarant… C'était celui sur la novlangue utilisée par les services du ministère pour décliner les nouveaux programmes.
Et on s'est donc amusé, mais non sans être agacé et consterné, de formules alambiquées, prétentieuses et inutilement théorisantes comme "milieu aquatique profond et standardisé" (piscine), "créer de la vitesse" (courir), "traverser l'eau en équilibre horizontal" (nager), "l'étude de la langue renforce la posture métalinguistique de l'élève" (pas de traduction connue) !
C'est du Pierre Dac, à la différence que Pierre Dac, lui, le faisait exprès !
Dans cette immense rigolade nationale, le mieux pour les enseignants (qui n'en sont pas responsables) aurait été de se taire (et d'en sourire discrètement). On sait bien qu'aujourd'hui, une nouvelle chasse l'autre ; il suffit de laisser l'eau couler sous les ponts. Et de toutes façons, le mal était fait.
Eh bien non ! les professeurs d'EPS (de sport, en bref) ont trouvé le moyen de se plaindre, par l'intermédiaire de leur syndicat majoritaire.
Ils déploraient en avril dernier que la critique soit ciblée uniquement sur leur discipline, qu'il y ait de la condescendance quant on parle d'EPS et de sport à l'école, et de ne pas pouvoir "théoriser leur enseignement se préoccupant du corps" (ils font des complexes, comme on dit)...
C'est vrai que nos souvenirs de lycée concernant les cours d'EPS ne plaident pas toujours en leur faveur ; certaines se souviennent de la prof. qui, l'hiver, faisait les cours en manteau de fourrure. Mais bon, dénonciation n'est pas raison.
Ensuite sont venus les arguments, saugrenus, du type : "On parle de milieu standardisé pour rendre explicite le fait qu'on n'apprend pas à nager en rivière, par exemple"...
Puis carrément une nouvelle version du fameux "Circulez, y a rien à voir" : "Les programmes devraient d'abord être écrits pour les enseignants, leurs premiers utilisateurs, pas pour le grand public". Heureusement le ministre a contrecarré cette velléité.
Au total, tout cela m'a fait penser au sketch des Inconnus : "améliorer le pouvoir d'achat, revaloriser les salaires, plus d'argent à la fin du mois" et aussi la recette pour résorber une luxure !
Corporatisme, je vous dis !
12/06/2015
Irritations XVI
Vous en avez sûrement presque autant marre que moi, chers lecteurs...
Donc je devrais m'arrêter et poursuivre d'autres vieilles lunes, sans doute. Mais comment se résigner à autant de snobisme, de bêtise, de soumission (je précise tout de suite : soumission au modèle américain) ?
Et puis n'est-ce pas l'une des ambitions de ce blogue, au-delà de la dénonciation, de la critique, de la satire (toujours recommencées), de répertorier, d'analyser, de classer toutes ces entorses quotidiennes, non pas même au beau langage, mais tout simplement à une langue claire, sobre, précise et respectueuse de ses racines ?
Voici, en conséquence, mes dernières irritations.
Le 10 juin 2015, sur France Inter, dans l'émission Carnets de campagne, on parlait d'une "initiative citoyenne" dans le Morbihan visant le "zéro déchet". Fort bien. Un groupe de bénévoles a réussi à empêcher de nouvelles dépenses sur le plus vieil incinérateur de France, en convainquant un à un 56 élus qui s'apprêtaient à valider une dépense sans en connaître les tenants ni les aboutissants. Magnifique. Et alors, quel âge cet incinérateur ? "44 ans d'âge" entend-on dans le poste… C'est quoi ce français ?
Nous disons depuis des lustres : "Il a 44 ans" et non pas "Il a 44 ans d'âge". D'ailleurs de quoi d'autre pourrait-il avoir 44 ans ? "Il aurait 44 ans de poids", "Il aurait 44 ans de hauteur", "Il aurait 44 ans de longévité" ? Déjà que la mode agaçante s'était répandue sur les bouteilles de whisky et de rhum ("Le 12 ans d'âge"), ça suffit.
Soit dit en passant, les Anglais disent "He's 44" et les Allemands "Er ist 44". Alors...
Encore quelques perles (si l'on peut dire) glanées dans les écrans de pub à la télé (BFM-TV le 3 juin 2015) :
- RISO Productive printing
- CEGID Cloud services
- OPEL Corsa Wir leben Autos
Et dans les innombrables pages de pub du Figaro magazine, celle de Peugeot, dont le nom des modèles est à lui seul un hymne au franglais : Partner Tepee, 108 Top, motorisations Blue HDi, PureTech, teinte Orange Power, feux arrière Full LED, Mirror screen, Active city break, Crossover 2008 Style… Ça dérange personne ?
Dans le Marianne du 8 mai 2015, un article sur la "dictature de la connexion" d'Ève Charrin nous alerte sur les objets connectés. Voici quelques extraits : "Aux États-Unis le self tracking permet à l'utilisateur d'obtenir une réduction sur sa prime d'assurance-santé". "Comment adhérer à la mythologie high-tech du gain en autonomie individuelle ou empowerment en américain ?". "Gourou du quantified self, Christophe Ducamp… porte un œil critique sur ces start-ups qui siphonnent nos données personnelles". "Il voudrait former des citoyens geeks… capables de rééquilibrer la relation entre consommateurs et industriels du big data". "Les amateurs de quantified self continueront à payer deux fois". "Les industries high-tech misent sur l'addiction". "La ludification s'affirme comme une tendance de fond".
Bons princes, on se dit que le "modernisme" de l'article, sur des innovations technologiques, peut excuser l'emploi outrancier d'anglicismes.
Mais, comme disait Henri Salvador, "sur l'autre chaîne, ils passaient le même navet" !
En effet, dans le Marianne du 17 avril 2015, l'article de Julie Rambal sur les autoentreprises censées sortir de la mouise les éclopés du libéralisme triomphant, faisait encore pire, bien que les boulots en question soient tout ce qu'il y a de plus traditionnel (aucune haute technologique là-dedans). Jugez-en.
"Les métiers de reconversion qui font rêver actuellement ? le care…, les thérapies New Age… le coaching".
"Dans cette époque du no future…". "Beaucoup se rêvent en show runner…". "Les master class de dramaturgie…". "Coach de look". "Écoles de coaching". "Je monte un food truck". "Les food trucks se targuent de fooding". "Le marché enfantin, baptisé kidding".
Bien sûr, faut-il le noter, l'article se gargarise de marketing, de job, de business plan...
La syntaxe, quand la dame consent à écrire en français, est approximative : "En me disant que j'allais fabriquer équitable…".
Le pire de tout cela, c'est l'inoculation du virus (ou du premier joint…) aux plus jeunes, aux non encore drogués, avec cette phrase déjà citée : "Le marché enfantin, baptisé kidding".
Non, Madame Rambal, le "marché enfantin", ça veut dire quelque chose que tout le monde comprend, à savoir "le marché enfantin" ou "le marché des articles pour enfants". Nul besoin de le baptiser d'un nom qui fait américain !
Où a-t-elle appris le journalisme, cette pimbêche ? Cette sotte.
La seule chose qui me rassure et me réjouit, c'est que les élèves qui sortiront de l'école de Mme Belkacem seront tellement forts en anglais qu'ils trouveront aberrant cet américain de cuisine...