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09/06/2015

Cécile, ma sœur (XII)

Dans "Mauvaise langue", Cécile Ladjali prêche pour la lecture, allant jusqu'à les apprendre "par cœur", des grands classiques, et singulièrement de La Fontaine et de ses fables. Elle n'évoque pas Fabrice Lucchini mais on n'en est pas loin.

"Ces lectures réitérées de fables sont sans doute l'un des plus beaux apprentissages de la langue. Au lycée, je compte encore sur la capacité d'un enfant de quinze ans à retenir une langue exigeante, pour ensuite la restituer. Passé cet âge, les choses seront presque toujours impossibles" (page 68).

C'est directement inspiré du philosophe Alain : "Je suis bien loin de croire que l'enfant doive comprendre tout ce qu'il lit et récite. Prenez donc La Fontaine, oui, plutôt que Florian ; prenez Corneille, Racine, Vigny, Hugo.

Mais cela est trop fort pour l'enfant ? Parbleu, je l'espère bien. Il sera pris par l'harmonie d'abord. Écouter en soi-même les belles choses, comme une musique, c'est la première méditation. Semez de vraies graines et non du sable….

Comment apprend-on une langue ? Par les phrases les plus serrées, les plus riches, les plus profondes, et non par les niaiseries d'un manuel de conversation. Apprendre d'abord, et ouvrir ensuite tous ces trésors, tous ces bijoux à triple secret".

Pièce de MOLIÈRE.jpgÀ côté des fables, Cécile Ladjali préconise l'étude des pièces de théâtre. "… Se rendre au théâtre pour voir et entendre une pièce de Molière ou de Beckett, sans en avoir étudié le texte et ses enjeux au préalable, reste une entreprise très risquée et presque toujours soumise à l'échec" (NDLR : j'aurais écrit "promise à l'échec"…)… Il me semble vital que la frontière entre écrit et oral soit nette, car elle est la ligne de démarcation entre l'effort qu'il faudra toujours fournir et l'illusion de la liberté que donne l'indigence" (NDLR : indigence, quand on n'a pas acquis le vocabulaire et la syntaxe).

Et de dériver ensuite vers la langue des textos.

"Or, avec le SMS, il apparaît que nous parvenions à ce mixte linguistique entre deux états de langue, pensé jusque-là comme impossible (NDLR : désolé, Cécile, mais cet accord des modes et des temps est aberrant ! "Il apparaît" semble indiquer une certitude ; on devrait avoir à la suite l'indicatif présent "que nous parvenons" et non pas le subjonctif "que nous parvenions" qui traduit un doute).

Les individus qui usent de ce moyen de communication se comprennent cependant (NDLR : vu la périphrase, on devine que la dame n'y est pas favorable et même répugne à tapoter des textos…) et le SMS honore une multitude de valeurs célébrées par la modernité : la vitesse, l'image (car la syllabe devient icône) et l'érotisme contenu dans l'anglo-américain (NDLR : l'érotisme, rien de moins…)…. Cette langue est celle de la puissance… Si la français était la langue érotique à l'époque classique, le vecteur linguistique de tous les fantasmes, il fait pâle figure aujourd'hui à côté de l'anglais. Cette langue, par son rythme, sa fluidité et surtout son caractère synthétique, alors que le français est une langue plus bavarde, plus volontiers analytique, séduit d'emblée.

Tout, ou presque, peut se dire en anglais, même s'il reste indéniable que les paroles de la pop anglaise la plus respectable sont ridicules une fois soumises à la traduction(NDLR : voir mon billet consacré aux Franglaises. Il n'empêche que, dans toutes les maisons de jeunes et écoles de musique de France et de Navarre, on continue à programmer et à apprendre 95 % de chansons anglo-saxonnes et à entendre dire que l'anglais convient mieux à la chanson… Sottises !).

Enfin, il n'y a pas d'Académie pour la langue de Shakespeare et la liberté a toujours été la garantie d'un certain charisme.

Que les élèves et les adultes usent et abusent de SMS n'est pas un problème en soi… Mais ce qui me préoccupe en tant que professeur est de constater que mes lycéens écrivent des SMS dans leurs copies sans s'en rendre compte (NDLR : donc c'est un problème en soi !)...

J'ai la conviction qu'une langue malmenée, un corps linguistique déformé, est déjà une violence que l'on fait subir à soi et à l'autre…".

 

31/03/2015

Irritations X

Ça a commencé tôt ce matin, en partant de chez moi : je tombe sur une voiture d’artisan avec l’enseigne « Maisonning » (je ne sais plus s’il a écrit le mot avec deux « n » ou avec un seul mais peu importe). Ainsi donc, il n’y a pas qu’Inès de la Fressange ou les consultants en informatique qui usent et abusent du franglais ; le premier artisan venu, sans doute pour se différencier, ainsi que le lui a conseillé sa Chambre des métiers, invente lui aussi des mots à consonance anglaise ! Style !

 

Franchement, la liberté a bon dos ; il devrait être interdit de déposer des marques comme celle-là et d’afficher des enseignes en franglais (ou écrites délibérément avec des graphies modifiées, comme par exemple electronic à la place d’électronique). Vous vous rappelez sûrement mon enquête à La Défense à ce sujet.

 

De même les publicités – télévisuelles et par affichage – devraient-elles être censurées sans pitié quand l’anglais ne se justifie pas, et c’est le cas la plupart du temps.

 

Et on voudrait que nos enfants maîtrisent l’orthographe ?

 

Une seule riposte chers lecteurs : adhérez à une association de défense de la langue française et protestez par écrit chaque fois que nécessaire, par lettre ou courriel auprès de ces annonceurs, commerçants et vendeurs inconscients.

 

Figaro Beaumarchais.jpgEn rentrant chez moi, je tombe sur le Figaro ; bon, c’est vrai que je ne suis pas obligé…

Dans les Brèves du cahier « Le Figaro et vous », je lis que Gilbert Collard, député du Gard, va publier un Dictionnaire, qu’il justifie par la déclaration suivante : « Nous sommes dans un univers construit par des mots issus d’un vocabulaire politiquement correct de gauche. Or, imposer ses mots, c’est imposer ses idées ».

Malheureusement, cette dernière phrase est vraie ; c’est presque du Mao Tsé Toung !

Et il ajoute que c’est un danger pour la démocratie. C’est vrai aussi mais pas dans le sens auquel il pense.

05/11/2014

Y Académie-sionner !

Dans son numéro du 4 décembre 2003, le Nouvel Observateur, sous la plume de Jacques Drillon, et sous les prétextes fortuitement jumelés que l’on republiait le Dictionnaire de Furetière (1690) et qu’elle en était péniblement à la lettre R, descendait en flamme notre Académie française.

Quel était l’argument de cet article ? que l’Académie, depuis le tout début, n’en finissait pas de prendre du retard dans son fameux dictionnaire, qui faisait l’objet de l’une des trois missions à elle conférée par le Cardinal, avec une grammaire (publiée seulement en 1932) et une rhétorique (jamais réalisée).

La première édition du dictionnaire tarde tellement que Furetière, lui-même académicien, publie le sien, ce qui évidemment provoque un scandale. Et il est exclu. L’Académie est « juge du langage par essence et en droit » (Maurice Druon, 1995). Elle est là pour « donner des règles certaines à notre langue » (statuts de 1635) ! Elle fait et refait, depuis, perpétuellement son dictionnaire, qui, jusqu’en 1992, n’était ni encyclopédique, ni historique, ni analogique, ni même étymologique.

Elle avait également mis en chantier un Dictionnaire historique de la langue française au XIXè siècle, qui fut abandonné au bout de soixante années de labeur sur la lettre A !

J. Drillon écrit : « Cela fait bien longtemps maintenant que nul, les Quarante Immortels mis à part, ne croit plus qu’on puisse légiférer, fût-ce en matière d’orthographe ». Il a le droit de le penser. Mais quand il ajoute que : « si Furetière est encore une référence, ce que l’Académie n’avait pas réussi à être, c’est qu’il constatait plus l’état d’une langue, comme le fait aujourd’hui le Robert ou le Trésor de la langue française, qu’il ne proclamait ce qu’elle devait être », on voit où est la démission ! Car le Robert, même animé par des lexicographes émérites, est une entreprise commerciale – il faut vendre une édition chaque année – et le Trésor est un outil de recherche à la base, que l’Académie utilise d’ailleurs aujourd’hui.

Et de moquer certaines décisions de l’Académie… Par exemple, de recommander le verbe « curer » pour les ongles et « récurer » pour un fossé, ou de refuser « récré » comme diminutif de récréation, par crainte d’être obligé d’accepter « gym » et « prof » (c’est ma prof. de gym. qui serait contente… cf. le billet du 5 juillet 2014). Certes…

Mais le Dictionnaire de l’Académie n’est pas un dictionnaire comme les autres. Ayant la durée devant lui – et même l’éternité – il peut se permettre un travail en profondeur à un train de sénateur, l’usage consacrant un mot n’étant pas un critère suffisant pour l’accepter. Et il n’est pas mauvais que de beaux esprits puissent prendre le temps de réfléchir. Pas besoin d’acheter un dictionnaire récent pour savoir si pet sitting ou le pitch d’une émission y figure… il n’y a qu’à attendre que les snobs et les journalistes s’entichent d’un nouveau mot et oublient ceux-là !

 

On peut regretter, sans doute, que Littré, autre Académicien, ait aussi été conduit à publier son dictionnaire… et qu’il n’y ait pas alliance ou au moins collaboration avec les Larousse, Robert, Rey et Rey-Debove…

Mais quand J. Drillon trouve que l’Académie pourrait jouer son rôle dans la lutte désespérée qui oppose le français à l’anglais, « en entérinant la francisation des mots anglo-saxons, seule manière de conserver à la langue sa cohérence », on se frotte les yeux pour savoir si on ne rêve pas ! Connaît-il quelque chose au problème ?

 

Il épingle épinglette, terme recommandé à la place de pin’s et meneur pour leader, lui préférant « lideur »… et conclut que « c’est ainsi que la langue française devient totalement incohérente et qu’elle ne respecte même plus ses propres règles de prononciation, alors qu’elle aurait pu absorber le mot anglais sans dommage » (sic !).

 

Reste une solution : coopter Jacques Drillon à l’Académie française.