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24/10/2014

Écrivains contemporains et langue française (I)

J’inaugure une nouvelle rubrique : la position des écrivains francophones contemporains sur la langue française.

Et je commence par le plus rigolo : Alphonse Boudard, auteur de polars, de « L’argot sans peine » et de la « Méthode à Mimile ».

C’était en 1988, dans l’hebdomadaire "L’événement du jeudi", un peu avant la réforme de l’orthographe commanditée par Michel Rocard. Le syndicat des instituteurs était pour.

Voici ce qu’en disait A. Boudard : « C’est délirant. Toucher à l’orthographe, c’est s’attaquer à la logique écrite de tous nos livres. Pensez qu’il va falloir corriger les tragédies de Racine, les romans de Balzac et les vers de Rimbaud ! Toute la Bibliothèque nationale !

… L’argot ne tient pas debout sans l’orthographe. Même si on est parfois obligé de l’inventer.

… J’étais et je reste un cancre. Quand Pivot m’a demandé de faire des dictées, j’ai refusé. En réalité, l’orthographe me hante.

… Aujourd’hui je consulte tout le temps les dictionnaires.

… Mais leur histoire de réforme est un serpent de mer. En gros, faut pas tuer les phoques, faut préserver les baleines… et l’orthographe. »

On sait ce qu’il en a été deux ans plus tard. L’Académie française a avalisé la réforme, en la rendant d’application facultative. Elle a été publiée au Journal officiel. Les dictionnaires commerciaux ont indiqué l’orthographe rectifiée des mots concernés. Et on a eu le droit, dans les concours, d’écrire nénufar et ognon.

La semaine dernière, en Auvergne, dans un restaurant, le Maire d’un petit village, à la table à côté, a parlé des oua-gnons… qu’il doit écrire « oignon », à l’ancienne !

20/10/2014

Point de vue d'un informaticien de haut vol (II)

B. Meyer dénonce également l’excès de purisme, qui fait proscrire certaines locutions ou tournures au nom de l’étymologie ou d’obscurs principes. Il voit là l’origine de la grande distance qui existe en français entre la langue écrite et la langue parlée.

Il s’insurge ainsi contre l’interdiction du « malgré que » (dire bien que), du « par contre » (dire a contrario ou en revanche), du « ceci » appliqué à ce qui précède (dire cela dit).

Et il est vrai que ceux de ma génération ont été éduqués avec ces règles. Et en plus, on ne devait pas dire « atmosphère » mais ambiance, ne pas confondre « apporter » et « amener »…

B. Meyer a comme référence Maurice Grévisse et son « Bon usage », pour lequel le juge de paix est l’emploi par les grands écrivains. Ainsi Littré condamnait « par contre » mais pas Stendhal, Gide, Giraudoux et France…). Donc Grévisse l’acceptait…

De même, Victor Hugo écrit-il, dans son poème « Une nuit à Bruxelles » (L'année terrible) :

Aux petits incidents il faut s'habituer.
Hier on est venu chez moi pour me tuer.
Mon tort dans ce pays c'est de croire aux asiles.
On ne sait quel ramas de pauvres imbéciles
S'est rué tout à coup la nuit sur ma maison.
Les arbres de la place en eurent le frisson,
Mais pas un habitant ne bougea. L'escalade
Fut longue, ardente, horrible, et Jeanne était malade.
Je conviens que j'avais pour elle un peu d'effroi.
Mes deux petits-enfants, quatre femmes et moi,
C'était la garnison de cette forteresse.
Rien ne vint secourir la maison en détresse.
La police fut sourde ayant affaire ailleurs.
Un dur caillou tranchant effleura Jeanne en pleurs.
Attaque de chauffeurs en pleine Forêt-Noire.
Ils criaient : Une échelle ! une poutre ! victoire !
Fracas où se perdaient nos appels sans écho.
Deux hommes apportaient du quartier Pachéco
Une poutre enlevée à quelque échafaudage.
Le jour naissant gênait la bande. L'abordage
Cessait, puis reprenait. Ils hurlaient haletants.
La poutre par bonheur n'arriva pas à temps.
" Assassin ! - C'était moi. - Nous voulons que tu meures !
Brigand ! Bandit ! " Ceci dura deux bonnes heures.
George avait calmé Jeanne en lui prenant la main.
Noir tumulte. Les voix n'avaient plus rien d'humain ;
Pensif, je rassurais les femmes en prières,
Et ma fenêtre était trouée à coups de pierres.
Il manquait là des cris de vive l'empereur !
La porte résista battue avec fureur.
Cinquante hommes armés montrèrent ce courage.
Et mon nom revenait dans des clameurs de rage :
A la lanterne ! à mort ! qu'il meure ! il nous le faut !
Par moments, méditant quelque nouvel assaut,
Tout ce tas furieux semblait reprendre haleine ;
Court répit ; un silence obscur et plein de haine
Se faisait au milieu de ce sombre viol ;
Et j'entendais au loin chanter un rossignol.

 (extrait du site http://poesie.webnet.fr que je vous recommande)

 

Donc, s’il l’on en croit Grévisse, il faudrait accepter « Ceci dit… ».

Disons en passant que je ne suis guère convaincu par cette partie de la démonstration de B. Meyer.

Dans le billet suivant, je présenterai son analyse sur les différences entre le français et l’anglais, en lien avec le lexique informatique.

18/10/2014

L'informatique au chevet de la langue

On sait que l’informatique, née aux États-Unis pendant la deuxième guerre mondiale, a sa responsabilité dans la dégradation de la langue française :

§  d’abord parce que tout le vocabulaire, depuis bit jusque delete, batch ou dump, a été importé tel quel dans notre langue ;

§  ensuite parce que les Américains, même lors de la deuxième révolution informatique qu’a été internet dans les années 80, se sont bien gardé de permettre aux langues autres que l’anglais de s’écrire avec leurs caractères diacritiques (à, ç, etc. ; cf. les adresses mél.) ;

§  enfin, parce que nos informaticiens eux-mêmes, se sont montrés pour la plupart peu enclins à écrire dans la langue des Classiques ; ceux qui n’ont jamais lu une notice ou un manuel écrit par un développeur ne peuvent pas percevoir totalement l’ampleur du problème (et encore, quand ils écrivent…) ; n’est pas Bertrand Meyer qui veut…

Cela étant, l’outil informatique existe et il est d’une redoutable efficacité pour manipuler des nombres ou des mots. L’informatique linguistique permet ainsi de mesurer des fréquences dans la langue ; par exemple, combien de mots en « on » redoublent-ils le « n » final ou combien y a-t-il de mots avec « ù » en français ?

 

Je vous avais signalé, dans les chapitres sur la réforme de l’orthographe de 1990, que les Académiciens s’étaient appuyés sur de telles mesures pour proposer certaines régularisations.

Voici des éléments plus précis tirés d’un article de Maurice Gross dans la revue « Pour la science » (n°139 de mai 1989). Son laboratoire de Paris VII a compilé un dictionnaire électronique de 60000 entrées, qui avec les conjugaisons donne plus de 500000 formes du français.

 

« ù » ne s’emploie que dans le mot «  » (et permet de le distinguer de la conjonction « ou ») ; c’est très utile mais cela fait quand même cher (un caractère supplémentaire dans l’alphabet et éventuellement une touche supplémentaire sur nos claviers) pour uniquement un mot ; et c’est moi qui vous le dis !

« à » n’est utilisé que dans sept mots : à, , déjà, deçà, delà, holà et voilà

On écrit cela mais celui-là… ce n’est pas très cohérent, avouons-le.

 

L’accent circonflexe permet de distinguer « du » (contraction de « de le ») et « dû » (du verbe devoir). Comme « due » ne risque pas d’être ambigu, on l’écrit sans accent ; logique. Mais le français n’a pas distingué le substantif le dû et le participe passé dû. Et comme « tu » est également ambigu (« tu ne t’es pas tu »), on aurait pu écrire le participe passé de taire : « tû » ! A contrario, « dûment » et « indûment » ne sont pas ambigus mais prennent l’accent…

 

Les spécialistes de l’informatique linguistique, notant qu’il y a dans une langue naturelle, des dizaines de milliers de mots qui sont ambigus (le mot « raison » a trente acceptions différentes, par exemple), considèrent qu’il n’y avait pas lieu de privilégier quelques cas (à, dû…) dans la masse immense du vocabulaire. Mais c’est l’histoire du français…

 

L’informatique a permis au laboratoire d’évaluer par exemple l’effet de la suppression des voyelles… Pour les mots suffisamment longs, il y a souvent correspondance unique entre le mot et son squelette sans voyelle, ce qui fait qu’il est reconnaissable.

Le laboratoire du CNRS a également étudié la suppression des accents, auxquels nous sommes si attachés dans ce blogue. Que se passerait-il, donc, si nous nous mettions à écrire comme certains avec les majuscules non accentuées ? Sur les 500000 formes répertoriées dans le dictionnaire électronique, il apparaît 50000 ambiguïtés nouvelles (ainsi « mange » et « mangé » deviendraient-ils tous les deux « MANGE »). Certaines ambiguïtés seraient difficiles à lever, d’autres moins : par exemple, « MANGES » (qui représenterait à la fois « manges » et « mangés »), étant obligatoirement accompagné de « tu » ou de « toi », ne donnerait pas trop de difficulté.

Moins radicale, une étude a évalué l’impact d’une réduction des accents à un seul (que l’on écrirait alors « ¯ » ou « ı ») : seules 50 ambiguïtés nouvelles seraient introduites ! C’est peu, reconnaissons-le, mais l’Académie n’a pas osé aller jusque là.

 

Le laboratoire a identifié, par ailleurs, 300 situations dans lesquelles la même graphie se prononce de différentes façons : par exemple, « ti » se prononcent dans cinq verbes comme dans « initier » et dans cinq autres verbes comme « châtier ». Et il existe 44 mots comme « partie » et 57 mots comme « inertie ».

Il est donc capable d’évaluer la perte d’information qui serait occasionnée par la disparition de certaines lettres redondantes ou de certains signes diacritiques, ce qui contribue à dépassionner le débat, même si « l’orthographe est le visage des mots ».

Et Maurice Gross de conclure son article de 1989 : « Nul amant n’accepte sans émoi qu’un esthète chirurgien prétende à changer le visage de l’aimée… Mais, après coup (NDLR : de bistouri…), tout le monde s’en trouve bien et même y découvre les charmes d’un amour rénové ».