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31/08/2020

Les mots français à la mode XV

Bien sûr, en période de pandémie, comme d’ailleurs en toute période de notre siècle de la « communication », le Gouvernement doit faire preuve de « pédagogie ».

Il y a l’inévitable « du côté » des Bulletins météo : « du côté de l’Essonne » (BFM TV, 29 août 2020), à croire que tous les commentateurs sont des disciples de Marcel Proust.

Et il y a les perles du Président, qui semble être entré dans sa phase de parler simple, pour ne pas dire de parler peuple. Le 28 août 2020, face à la multiplication et à la banalisation des actes violents, il a commis la déclaration suivante : « Un chef doit cheffer ». L’expression peut sembler drôle, plus drôle en tous cas que la syntaxe défaillante de son envolée lyrique du 17 août 2020 : « Notre destin n’est grand que lorsque chacun et chacune fait son devoir » (encore un avatar du « cellesetceux »).

Ce qui nous amène à l’omniprésence du « genre » (mot autrefois strictement réservé à l’analyse grammaticale). Certains se sont plaint du renoncement de notre Académie face à la demande de féminisation des titres et des métiers (synonyme, notons-le, à la fois de « séparation » et d’entorse aux usages de la langue), tandis que, bien sûr, Le Monde, Libération, L’Obs et Marie-Claire, entre autres, applaudissaient bruyamment. Madame Bérénice Levet, elle, n’a pas craint de protester dans le Figaro du 7 mars 2019 contre cette « hantise d’être en retard sur son époque » qui a gagné les Académiciens et de regretter ce vote à la quasi unanimité en faveur d’un rapport sur la féminisation, le 28 février 2019. Elle y voit une nouvelle manifestation « de revendications identitaires toujours plus véhémentes, qui travaillent à décomposer (notre pays) en une myriade de communautés et d’individus » et, en l’occurrence, un désaveu des principes rappelés en 1984 par Claude Lévi-Strauss et Georges Dumézil (excusez du peu…), à savoir que le « sexe » des mots est purement conventionnel et qu’il ne faut voir là aucune domination de quiconque. Peut-on croire sérieusement que les femmes ne se sentent pas concernées quand elles lisent « Tous les hommes sont mortels » ? Après la langue « fasciste » de Roland Barthes, on a droit aujourd’hui à la langue « sexiste, machiste, inamicale aux femmes et vecteur de la domination masculine »… Et Mme Levet de déplorer que l’Académie nous laisse désarmés face aux fantaisies de chacun quant à notre langue. Mais, après tout, certains se sont bien « assis » sur la réforme de l’orthographe de 1991. Qui nous obligera à utiliser les mots « auteure », « écrivaine », « cheffe » ? C’est l’usage de la rue qui, une fois encore, réglera la question. Mais en attendant, pauvres enfants, qui auront à se repérer dans le maquis d’une orthographe déformée par le franglais et d’une grammaire charcutée par tous les « ismes » du jour (américanisme, féminisme, etc.) !

Le hasard de mes lectures et de leur chronologie très peu orthodoxe fait que j’enchaîne sur une brève de Samuel Piquet dans Marianne (1er mai 2020) qui me permet de rester sur le même sujet. Il y mentionne la décision des autorités colombiennes d’instaurer, le temps du confinement, un droit de sortie différencié selon le genre (il ne dit pas « selon le sexe »…). Un jour les hommes, un jour les femmes. Protestation immédiate de la féministe Catalina Ruiz-Nvarro, qui y voit un problème éthique : « Diviser en fonction du genre est aussi arbitraire que diviser entre petits et grands ou entre Blancs et Noirs ». En effet. Interdit, donc, de féminiser ! Sauf la langue… Pour cette dernière, on sépare ; pour les sorties, on ne doit pas.

Évidemment les transgenres (il fallait l’inventer, ce terme) ont souligné le caractère discriminatoire de la mesure. Nous y voilà ! La fameuse discrimination et son compagnon, la stigmatisation.

Je dois dire que j’ai découvert le mot « discrimination » au début des années 2000 dans le contexte de la soi-disant libéralisation du marché de l’électricité, en même temps que les mots « éligible à », « opposable », « transparent », tous vocables d’origine anglo-saxonne comme il se doit. Il s’agissait d’élaborer, de publier et de respecter des règles garantissant un traitement objectif et loyal des demandes d’accès aux réseaux d’électricité. Depuis lors, le mot a fait fortune et chacun se croit fondé à se plaindre de discrimination dès qu’il n’a pas la même chose que son voisin. Le problème en France, c’est l’égalité, a dit Yann Moix récemment. Non pas le principe d’égalité de la devise républicaine, bien entendu, mais les dérives de son application : déresponsabilisés, on attend tout de l’État, on revendique, on a droit à, etc.

22/08/2020

Les mots français à la mode XIV

En ce mois d’août, plus que jamais, les mots « confinement » (initialement réservé au Premier Ministre français) et « déconfinement » (initialement réservé au Président de la République française) sont sur toutes les lèvres. On peut y ajouter bien sûr « reconfinement ».

Il y a naturellement tous les mots liés à la pandémie : charge virale, foyer de contamination (les journalistes disent cluster), relocalisation (j’ai déjà dit ici ce que j’en pensais)…

Lu dans le courrier des lecteurs du site « Riposte laïque », ces dénonciations d’abus linguistiques : « cellezetceux », « résilience » (alors que la plupart du temps « résistance » suffirait) et « agenda » (dans le sens incorrect de « calendrier », « programme », « échéancier »), « challenge » à la place de « défi », « coach » à la place de « moniteur » ou « entraîneur », « atteignable » à la place d’ « accessible ».

Une dame conspue les films et séries dans lesquels des femmes déclarent « je me suis permise de… » ou « je me suis faite violer », alors qu’elles diront : « ça m’a surpris ». C’est cela sans doute le nouveau féminisme linguistique…

Revenons cinq minutes sur les tics des politiques : « Parisiennes,  Parisiens » (à rapprocher du « cellezetceux » macronien) et, depuis le 4 août 2020, « Les Libanais et les Libanaises » (député LAREM du Morbihan, arrivé à Beirouth dans les bagages du Président). Du même, après le discours présidentiel : « sur la table », « à ce stade », « pour autant »…

19/08/2020

Les mots français à la mode XIII

Samuel Piquet m’aide à compléter ma collection de mots à la mode dans le numéro du 17 janvier 2020 de Marianne : « briser un tabou », « libérer la parole », « casser les codes », « faire bouger les lignes » sont devenus des tics de langage des journalistes et s’ajoutent à « renverser la table » et à d’autres. Le problème n’est pas tant dans les expressions en tant que telles mais dans leur utilisation à longueur d’article et surtout, nous dit Samuel Piquet à propos du mot « tabou », dans le fait qu’il désigne un sujet qui n’en est plus un la plupart du temps et que souvent il est employé pour parler d’une attitude qui peut choquer (une minorité quelconque ?) et dont on hésite à débattre, sans s’occuper de la question de fond sous-jacente. La bien-pensance et l’hypocrisie généralisée, une fois de plus. Et notre spécialiste du jeu de mots et du calembour de conclure : « En réalité, on est très loin d’avoir réussi à mettre ce qu’il faut taire à terre. Plus dur sera le chut ! ».

L’autre chroniqueur, Benoît Duteurtre, m’aide bien également. Le 10 janvier 2020, il s’attaquait à l’insupportable « On est sur » (sans accent circonflexe). Voici le bulletin météo qui a déclenché sa chronique et son commentaire ironique sur l’empilement improbable de « on », de « phénomènes » et de « région PACA » : « On est sur une répétition de phénomènes sur la région PACA ». J’ai déjà parlé dans le blogue de cette manie d’utiliser « sur » à tout bout de champ au lieu de « à » (« Je rentre sur Paris »…). Mais ici cela va plus loin. Le dernier « sur » est l’objet de mon ire passée, le premier est encore pire : c’est l’utilisation de « on est sur », jadis la chasse gardée des sommeliers (« on est sur un Pinot noir avec des arômes de banane »), puis des restaurateurs (« on est sur un écrasé de pommes de terre ») et aujourd’hui la chasse de tout le monde (« on est sur du Sarkozy bas de gamme », Julien Bayou du parti EELV). « C’est ainsi que la langue s’alourdit, se complique et s’obscurcit » tandis qu’on utilise l’anglais (le franglais) au motif qu’il serait plus simple et plus rapide).