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15/02/2015

Pas la politique ni l'économie ; non, la culture !

Je ne connais pas assez la géopolitique ni même l’histoire pour donner un avis valable sur le conflit en Ukraine, qui serait d’ailleurs ici hors sujet. Mais ce qui est sûr, c’est que le problème linguistique est plus que sous-jacent, originel : l’explosion en Ukraine a eu lieu lors de la publication d’un décret interdisant l’usage du russe dans une province largement russophone. Il n’y a guère que les langues des peuples minoritaires et sans défense que l’on peut faire disparaître, les autres résistent avec les armes.

Une fois n’est pas coutume, je vais m’écarter un peu des questions de langue pour faire écho à deux articles remarquables parus dans Alternatives économiques (n°343 de février 2015), sous le titre générique « Après les attentats, comment réparer la France ? ».

D’abord Joseph Stiglitz (prix de la Banque de Suède en l’honneur d’A. Nobel en 2001). Dans une conférence à l’Assemblée nationale le 13 janvier, il a flingué toutes les affirmations sans preuve des tenants de l’austérité et du néo-libéralisme sectaire. À plusieurs reprises, il dit : « C’est complètement absurde ». « La crise a causé les déficits, pas l’inverse ». « Beaucoup de ces prétendues réformes structurelles qui s’imposent ne mènent à rien, si ce n’est à des politiques qui réduisent le niveau de vie pour de grandes parties de la population, à travers des salaires plus faibles, une augmentation de la précarité de l’emploi et une réduction des prestations sociales ». « … l’État-providence n’est pas à l’origine des échecs de l’Europe ». « … le problème… est un manque de demande globale et non des contraintes du côté de l’offre ». « L’Europe a suscité des crises de dette souveraine là où auparavant elles n’existaient pas ». Tout est à l’avenant, le verdict est implacable.

La seule chose qui manque, mais on peut comprendre que Stiglitz, Américain, ne veuille pas accabler son compatriote Friedmann ni jeter l’opprobre sur son pays, c’est une référence au livre qui dénonce la guerre larvée contre les États-providence partout dans le monde, sous l’autorité « scientifique » de l’École de Chicago (lire de toute urgence « La stratégie du choc » de Naomi Klein, 2007).

 

Autre point de vue, plus sociologique et philosophique, celui de Benjamin Stora sur le prétendu « choc de civilisation » qui secoue la France et l’Occident. « … Nous vivons une crise culturelle considérable… La bataille principale est culturelle : il faut connaître l’histoire. L’histoire de France et de l’Europe, bien sûr… Mais il faut aussi que tous les Français connaissent l’histoire de leurs familles, de leurs pays. Il faut faire l’effort, principalement à travers l’éducation et les médias, de connaître l’histoire des autres et en particulier celle des pays environnants. Il y a notamment trop peu de spécialistes en France, du monde arabe et de la Méditerranée… ».

 

En filigrane, il y a l’idée que connaître, c’est comprendre…

11/02/2015

Austérité, quand tu nous tiens...

L'austérité est clairement le sort de la Grèce, et depuis cinq ans… Est-elle le sort de la France ?

On se chamaille là-dessus. Certains ne voient pas le rapport entre l'austérité (qu'ils nient) et, par exemple, la demande de la Cour des Comptes au gouvernement, de diminuer les dépenses publiques, en particulier dans les Services publics...

En tous cas, l'austérité a accouché d'un adjectif : austéritaire.

J'ai entendu Jean-Luc Mélenchon l'utiliser à la télévision, juste après la victoire de Syriza. Je l'ai lu également dans le Marianne du 9 janvier 2015, sous la plume d'Alexis Lacroix : "Ces trente dernières années, la cage d'acier globalitaire a concouru à asphyxier les plus fragiles, en les comprimant dans la camisole austéritaire, et à les désorienter…". Vous remarquerez que, pour le même prix, on en a eu deux : "globalitaire" était gratuit.

ICB, dans un message personnel, s'offusquait de ce néologisme ; bien sûr le terme n'est pas (encore) dans les dictionnaires ; et le mot "austérité", dans les dictionnaires, se réfère au caractère "austère", à la rigueur morale.

Mais, bon, sans jouer à l'Académicien ni au lexicologue, que je ne suis pas, je ne suis pas hostile à ce genre de nouveauté dans la langue : on a bien "velléité" et "velléitaire" ! La construction de l'adjectif ne semble pas aberrante ; et son apparition traduit bien que le fait que la langue sert à exprimer les préoccupations du moment. Le retour de la croissance (?) signera peut-être l'oubli du nouvel adjectif...

C'était bien le point de vue d'Étiemble que disait que duffle-coat disparaîtrait avec le vêtement. Manque de chance, le vêtement est revenu dans les rayons, après quarante ans d'absence.

À mon avis, malheureusement, "austéritaire" va faire son trou (dans les dépenses publiques)... 

08/02/2015

Amnésie

Il y a plus grave que le snobisme, la paresse ou l’envie de paraître dans l’extension du domaine du franglais. Il y a l’ignorance (je n’ose imaginer : du mépris…) de ce qui a existé auparavant.

J’y pensais en écoutant une émission radiophonique sur les promesses du numérique.

La journaliste a commencé par les data miners, censés exercer un nouveau métier ; mais quel nouveau métier ? depuis l’arrivée de l’informatique, dans les années 60, cela s’appelle l’analyse des données. L’école française s’y est illustrée avec Benzécri, entre autres.

Les méthodes et techniques ont progressé sans doute mais c’est bien toujours d’analyse des données qu’il s’agit.

Bis repetita avec les gros volumes de données, que la journaliste appelle le big data, comme elle parlerait d’un big Mac

Nouveaux métiers ? Bof… On ne s’étonne pas que la plomberie et la boucherie n’aient plus la cote chez les parents.

Vu comme cela, le langage procèderait donc comme une remise à zéro régulière des « connaissances », oubliant ce qui a été, ce qui a fait, le quotidien et la performance de milliers de gens dans le passé, de façon à « vendre » comme du neuf ce qui n’est souvent qu’un prolongement, un développement de l’ancien.

En science, il y a bien sûr des ruptures, des découvertes qui tranchent par rapport à ce qui existait ; mais elles sont rares. La recherche se fait après avoir absorbé les apports des précurseurs.

Dans l’art, on sait bien que tous les novateurs ont fait leurs classes en « bûchant » sur leurs prédécesseurs.

Avant la Recherche, Marcel Proust a écrit plusieurs pastiches, dans lesquels il s’exerce, avec brio, à écrire à la manière de ses aînés. Il pensait qu’on ne peut se former qu’en imitant d’abord des maîtres. Pas de tabula rasa donc. Et cela m’étonnerait que Picasso ou Monet aient prétendu faire autre chose que Ingrès ou Le Brun… Autrement oui mais non pas autre chose.

 

Eh bien, dans la langue courante, il semble que cela soit différent ; on éprouve le besoin de nommer sans cesse de façon différente des choses déjà connues.

C’est bien ce constat qui a présidé à l’écriture du Petit Dico franglais-français d’Alfred Gilder : redire comment on appelait et comment on peut toujours appeler des choses ou des concepts que l’on veut nous faire croire neufs.

 

À la place de teen-ager, A. Gilder suggère jeunette, midinette, choupinette, nymphette, cadette ou benjamine, poulette, pucelle, jouvencelle, adolescente ou ado, tendron, , décagénaire ou quinzagénaire selon les cas, et réciproquement, jeunot, damoiseau, puceau, jouvenceau, éphèbe, cadet ou benjamin, novice, blanc-bec, béjaune.

Pour éviter l’horrible weight watchers, il propose au choix : scrute-balance, garde-la-ligne, affineur de silhouette, coupe-faim, maigromanie, etc.

Sa créativité semble infinie ; ainsi, pour off the record, trouve-t-il : hors micro, hors antenne, en aparté, officieusement, en privé, hors compte rendu, huis clos, de vous à moi, et j’en passe.

Il est pas riche le français ?

Il n’y a qu’à se baisser pour ramasser des mots à la pelle.

Et le problème, c’est qu’à force de ne plus se pencher, l’amnésie nous guette.