17/12/2014
Les haruspices du possible
Quand j'ai lu ce mot dans le Marianne du 12 décembre 2014, sous la plume d'Alexis Lacroix, j'ai dû ouvrir mon dictionnaire !
"Haruspice" (ou "Aruspice") est le nom des prêtres qui, dans la Rome antique, tiraient leurs prédictions de l'observation des entrailles des animaux offerts en sacrifice.
En l'occurrence, le chroniqueur l'emploie improprement dans la phrase suivante : "Le lien.. leur permet de déchiffrer les haruspices du possible" (on ne peut pas déchiffrer un prêtre…).
Cela étant, la chronique nous concerne car elle pointe "le renoncement et le repliement", "l'économisme et le narcissisme provincial" de nos hommes politiques quant au rayonnement de la langue française. Ils ont oublié Malraux, Senghor et aussi Abdou Diouf, secrétaire général sortant de la francophonie, inlassable adversaire de l'extension du globish, et qui publie ses Mémoires. Elle rappelle que l'Afrique et le monde afro-caribéen sont l'avenir de la création et de la réflexion en français.
Face à cette démission des élites parisiennes, un ultime rempart : les écrivains, dont "les œuvres donnent une seconde vie à cet humanisme, cet universalisme dans lequel le philosophe Léon Brunschvicg avait vu le génie même du français".
Ce n'est pas tout : ce numéro de Marianne titre "L'école en échec scolaire". Le paragraphe sur la lecture est édifiant.
"L'effondrement de la lecture est d'abord la conséquence logique de l'effondrement de l'enseignement de la lecture. Il y a quarante ans, l'élève de CP bénéficiait de 15 heures de français, contre 9 en 2006. En moyenne, un bachelier d'aujourd'hui aura reçu dans son parcours scolaire 800 heures de français en moins que ses parents".
"40 % des écoliers entrent en sixième avec de profondes lacunes en lecture, écriture et calcul".
Le ministère recommande de "ne pas faire lire à haute voix les élèves en classe pour ne pas les humilier".
Sans commentaire.
08:36 Publié dans Actualité et langue française | Lien permanent | Commentaires (0)
16/12/2014
Irritations VIII : mariage pour soi tout seul et autres actualités
J'apprends que, sur internet, les célibataires peuvent "se marier tout seul"… Comme dirait l'Autre : "si ça peut vous faire plaisir, ça mange pas de pain". Mais là où la société n'est pas franche du collier (ou de l'alliance), c'est qu'elle appelle cette innovation le "solo wedding"...
Marianne, le 5 décembre 2014, dénonçait, sous la plume de Laurent Nunez, la paupérisation des écrivains, signe de la déconsidération qui les frapperait. La majorité des écrivains français ne vivent pas de leur plume. Ils sont pourtant les producteurs de la matière première qui fait les livres mais ils ne touchent que 8 % de leur prix de vente, contre 15 % pour l'éditeur, 11 % pour la distribution, 8 % pour la diffusion...
Et même quand le livre est numérique, la part de l'écrivain n'augmente pas, celle de l'éditeur si !
D'après le chroniqueur, histoire de France à l'appui, cette situation de "tiers-état intellectuel" en France, est le signe avant-coureur de grands bouleversements...
Autre chose ; le Monde du 2 septembre 2014 signalait que le groupe Daimler (les fameuses Mercedes) venait de généraliser le dispositif de "Mail en vacances" à tous ses salariés, qui permet de signaler à l'expéditeur que son destinataire est en vacances et que son courriel va être détruit ; il est alors invité à renouveler ce courriel ultérieurement si le problème en question n'a pas trouvé de solution entre temps, avec un autre interlocuteur. Objectif : plus de BAL saturée à la rentrée.
Dans la Silicon Valley, certains employés s'offrent des stages de désintoxication numérique...
Allez, ralentissez, souffler (car inspirer est réflexe mais expirer, non), allez faire quelques pas, réfléchissez !
13:32 Publié dans Actualité et langue française | Lien permanent | Commentaires (0)
03/12/2014
Radio matutinale
La radio apporte chaque matin, même sur la langue française, son lot d’informations tantôt déprimantes, tantôt enthousiasmantes ou enrichissantes.
Ce matin, Patrick Cohen s’est laissé aller à parler de dancefloor, à propos des Transmusicales de Rennes. C’est typique des cas d’emploi du franglais dans lesquels, justement, il n’y a aucune raison de le faire : le terme français ancestral « piste de danse » convient parfaitement, il n’est ni désuet ni connoté et, malgré la musique techno, il n’y a dans ce domaine aucune innovation technologique ou sociale qui pourrait justifier de recourir à un mot nouveau (étranger).
En écoutant la réalisatrice d’un film parler de son travail, j’ai pris conscience qu’aujourd’hui le tic verbal à la mode, c’est « voilà ». Quand on est à cours de vocabulaire, voire d’idée, au lieu de dire « euh… » comme il y a vingt ans ou « j’veux dire » comme il y a dix ans, on dit « voilà », et c’est censé résumer tout ce que l’on ne dit pas ; cela suggère aussi qu’il n’y a pas besoin d’en dire plus, que l’interlocuteur ou l’auditeur saura compléter lui-même. Comment et pourquoi ces tics se répandent-ils comme la grippe ? Comment naissent-ils ? Mystère.
Allez, assez parlé d’irritants !
La radio apporte aussi des informations réjouissantes ou stimulantes.
Ainsi Guillaume Galliene, qui cause littérature dans le poste chaque semaine, publie-t-il un livre sur les grands auteurs (Proust, Hugo…) : « Ça ne peut pas faire de mal » et, dans les disques qui l’accompagnent, il en lit des extraits.
Et Facebook, qui se réjouit des nouveaux « amis » que peuvent lui apporter les langues régionales, vient d’accepter le corse, après le breton. Les mots-clés ont été traduits (je les retranscris d’oreille car je ne maîtrise pas encore le corse) : calistreli pour cookie, ouritrakou di profilou pour profile… Pourquoi pas ? Mais les échanges qui se feront en corse, ne se feront pas au même moment en français ; dans le combat de Titans que se livrent pour survivre, les langues planétaires (anglais, français, espagnol, mandarin…), est-ce un avantage ou un talon d’Achille ?
Dans Wikipedia, où il ne s’agit pas de blablater ou de se montrer en maillot de bain mais de connaissances et de culture, le français tient son rang au niveau mondial quant au nombre de pages, heureusement.
PS. « matutinal » (XIIè siècle), du latin matutinum, matin.
09:25 Publié dans Actualité et langue française | Lien permanent | Commentaires (0)