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23/03/2015

Latin-grec, jamais deux sans trois

Tant qu'à lire le Figaro, lisons-le en entier.

Dans cette même production du 17 mars 2015, le quotidien parisien revenait sur notre sujet dans son cahier intérieur, sous le titre général : "Les humanités retrouvent leur grandeur". Voir...

La rédaction a d'abord interrogé Loys Bonod, enseignant au lycée Chaptal et censé traduire l'inquiétude des professeurs de lettres classiques devant la réforme de Mme Belkacem.

Je passe sur son approche plutôt politique de la chose, qui considère que cette réforme veut tuer le latin en tant que symbole de l'ancienne école, que l'on veut éradiquer, et en tant que symbole de l'effort à l'école. Notons au passage qu'il n'y a déjà presque plus d'enseignants latinistes... mais que le latin attire encore 20 % des élèves de cinquième (mais 4 % en terminale).

D'après notre enseignant, en Allemagne, le latin serait proposé au même titre qu'une langue vivante. À vérifier.

Ensuite on entre dans le vif du sujet : pourquoi apprendre le latin, cette langue "ségrégative" selon la FCPE ?

- parce qu'il aide les élèves d'un point de vue historique et culturel ;

- parce qu'il irrigue nos institutions, notre droit, les sciences, notre littérature, notre grammaire ;

- parce que plus de 80 % de notre vocabulaire vient du latin.

N'est pas Anne-Sophie qui veut ! Loys Bonod, lui, pense qu'on veut la mort du latin et que l'étape suivante, c'est la destruction des lettres.

 

 

 

22/03/2015

Parlez-vous latin ?

Dans ce même numéro du 17 mars 2015, le Figaro avait invité Anne-Sophie Letac, professeur en classes préparatoires au lycée Lavoisier, agrégée d'histoire et normalienne. Celle-ci présente la réforme de Mme Belkacem de la façon suivante : "Dans un but de démocratisation, les contenus plus réalistes interdiront les classes européennes et bilingues trop élitistes, et les langues anciennes seront intégrées aux cours de français, autant dire supprimées au profit d'une seconde langue vivante en cinquième".

Mme Letac est outrée, amère, découragée et persiffleuse, ironique, perfide. Mais elle cite quelques bons auteurs à l'appui de son plaidoyer.

"Outre leur langue maternelle, les collégiens apprenaient jadis une seule langue, le latin. Moins une langue morte que le stimulus artistique incomparable d'une langue entièrement filtrée par une littérature" (Julien Gracq, en 2000).

"On n'apprenait pas le latin et le grec pour les parler ou pour devenir domestique ou correspondant commercial. On les apprenait pour connaître directement la civilisation des deux peuples, qui constitue le présupposé nécessaire de la civilisation moderne, on les apprenait autrement dit pour être soi-même et se connaître soi-même consciemment" (Antonio Gramsci, en 1932).

Mme Letac ne manque pas d'humour non plus, puisqu'elle écrit : "Est-il bien raisonnable de tuer une langue déjà morte, et qui plus est, optionnelle ?"...

Elle appelle à se méfier de l'inutile en convoquant Alan Turing et les mathématiques pures. Pour elle, le latin est "une construction logique brillante, excellente pour le cerveau, dont on découvrira un jour qu'elle est à l maladie d'Alzheimer ce que le brocoli est au cancer du colon, qu'elle vaut tous les jeux de logique, toutes les gymnastiques de mémoire vendues sur Amazon".

"Sur Amazon ?" (NDLR : voir mes billets sur les prépositions).

Humour, dérision, optimisme invétéré ? Anne-Sophie fait le pari que l'on va nous recycler le latin et le grec, sous forme de produit bio, un de ces jours... J'aimerais y croire.

 

 

21/03/2015

Tu fais latin-grec ?

Dans la nième réforme de l'enseignement, destinée cette fois à la classe de cinquième (ou à montrer que la ministre agit ?), on fait débuter l'étude d'une deuxième langue vivante en cinquième, à des élèves qui n'arrivent déjà pas à acquérir les bases de la première (assimilée officiellement dorénavant à l'anglais...), voire à maîtriser leur propre langue maternelle (je signale aux distraits qu'il s'agit du français).

Et de quelles langues parle-t-on à propos de cette réforme dans les médias ? Dans l'ordre : du chinois, de l'espagnol et de l'allemand ! Ainsi la langue de notre voisin mitoyen, de notre premier partenaire commercial, du cofondateur du Marché commun, du pays avec lequel nous partageons une armée... est-elle reléguée au rang de n°3 pour la seconde langue vivante de nos collégiens.

Pendant ce temps, les entreprises s'arrachent les trentenaires français qui parlent couramment allemand, et qui ont été formés, eux, à une époque où la langue de Goethe n'était pas encore au fond du trou dans notre pays... Qu'est-ce que ça va être !

Et c'est le moment que choisit le Figaro (17 mars 2015) pour publier deux chroniques sur le "coup de grâce aux langues anciennes".

Augustin D'Humières, professeur de lettres classiques, d'abord.

De façon amusante, il commence par le même argument que moi à propos de la réforme de Madame Belkacem (cf. supra). Puis il déclare : "Relégués sur les créneaux horaires les moins porteurs, mis en concurrence avec le cinéma, le chinois (déjà !), la musique, les classes européennes, le latin et le grec avaient survécu". Et il rappelle que lui et ses homologues arrivaient à convaincre quelques élèves (en difficulté) en leur disant : "L'un des seuls endroits où vous pouvez encore essayer de pallier ces lacunes de fond, ce sont les cours de grec et de latin !". Comme le disait Jacqueline de Romilly, ces langues anciennes, c'est avant tout "une extrême attention aux mots". Comment ce blogue ne s'intéresserait-il pas au sujet ?

Et le professeur de démontrer, avec un exemple de mot latin (cadere), qu'il peut être suivi à la trace en italien, en espagnol et en français et que, à travers la construction sur une "racine" commune, il éclaire les mots suivants : chance, décadence, cadavre, caduc, méchant, cascade, incident...

Merveille en effet ; je me souviens de mon propre émerveillement quand j'ai découvert, tout seul, ces vertus explicatives de l'étymologie, grâce aux soirées (parfois pénibles) passées sur mon Gaffiot. Un peu plus tard, les "mathématiques modernes" de M. Lichnerowitz m'ont pareillement enchanté : cartésianisme, complétude, systématisme, pureté, cohérence, généralité... nul doute que nous avons été marqués.

"Les premiers mois d'un cours de grec et de latin constituent forcément une remise à niveau générale".

Le professeur considère par ailleurs que c'est aider les plus faibles, les moins favorisés, de laisser toute leur place aux langues anciennes, et que ce n'est pas une question ni de droite ni de gauche.

Mais, semble-t-il, Madame Belkacem n'en est pas consciente...

Elle a pas dû faire latin-grec...