01/04/2015
Figaro et Figara
Comme j’ai cinq minutes – plus, ce serait péché – je feuillette le (gros) cahier « So Figaro », dont le titre aujourd’hui est « JEUX DE GENRE, la mode se décline au féminin comme au masculin ». Et d’aligner des pages et des pages, des photos et des photos, pour nous convaincre que le mieux du mieux aujourd’hui, c’est que les femmes s’habillent et se parfument comme les hommes et lycée de Versailles !
Quoi ! le Figaro qui a milité, sauf erreur de ma part, contre le mariage pour tous et a soutenu la Manif’ pour tous, le Figaro qui a tiré à boulets rouges sur la théorie du genre (et heureusement) et les initiatives malheureuses de Mme Belkacem autour de ce thème, le même Figaro nous glorifie « le mélange des genres » pendant 35 pages, format A2 !
Florilège :
« Jean Paul Gaultier, qui mettait déjà ses hommes en jupe il y a trente ans, lui… ». Remarquez que son prénom est écrit sans trait d’union, à l’américaine ; c’est chic, non ?
« … son étole en cachemire, sa crème de jour et son grand cabas de cuir, aussi joli au bras d’un homme après tout ». Honni soit qui mâle y pense.
« Sur les podiums des grandes maisons comme des jeunes créateurs, la mode est à l’unisexe. Masculin et féminin se brouillent, s’hybrident et captent l’air du temps », le tout sous la (grande) photo d’un jeune homme ( ?) avec un sac à main !
« Au creux de leur cou, ces femmes glissent des notes musclées, piochées au rayon masculin ».
Soyons honnête : comme souvent, le contenu du dossier n’est pas entièrement dans la tonalité – volontairement provocatrice – de son titre. Et, à l’intérieur, on trouve, deux articles très classiques : les « nouvelles » femmes tiennent à leur tenue hyper-féminine au travail, même quand il n’y a pas d’hommes dans les parages, donc pas de séduction à exercer ; et les « nouveaux » hommes représentent l’eldorado des vendeurs de produits de luxe, puisqu’ils s’y sont mis, eux aussi.
Beaucoup de théorie du genre pour rien, en fait : c’était uniquement un moyen d’attirer le lecteur pour qu’il voie les marques et soit attiré par les produits.
07:30 Publié dans Actualité et langue française | Lien permanent | Commentaires (0)
29/03/2015
Anathème latin
Je pensais en avoir fini avec ma longue série sur les dégâts causés par les "modernistes" et les "pédagogistes" et par leur obsession à éliminer l'étude du latin et du grec des programmes de l'Éducation nationale, quand, en ouvrant le Marianne du 27 mars 2015, je tombai sur l'éditorial enflammé de Joseph Macé-Scaron (je devrais dire "l'éditorial au lance-flammes"…) intitulé "L'aversion latine".
Ce titre m'a tellement plu que j'en ai inventé un autre, son cousin.
Et que nous dit Macé-Scaron ?
Que la civilisation française est redevable depuis très longtemps à "ces exercices spirituels laïcs que furent le thème latin et la version grecque". Et lycée de Versailles d'ailleurs.
Que cette très ancienne pratique a subi depuis quelques années, "une déconstruction en règle, une attaque mortelle, dévastatrice". On a envie d'écrire : "une attaque subite aussi bien que mortelle"...
Et de décliner les "illusions" qui selon lui ont présidé à cette démolition : faire étudier les langues anciennes serait l'habillage d'un projet de domination des classes populaires, notamment de celles issues de l'immigration (ces idéologues ont mal lu Bourdieu, assure-t-il). Mais non ! c'est non seulement préparer à la citoyenneté française mais aussi permettre d'accéder directement et précocement à l'universel. Et il faudrait ne jamais "dépayser les élèves" ; or "inculquer la culture et opérer une transmission vivante, c'est forcément dépayser".
Ici arrive dans sa chronique, de façon étonnante, le même argument et le même effroi que ceux que j'avais écrits dans mon billet du 28 mars 2015 : "Le latin apparaît ringard, et déjà le français est présenté par nos élites comme la plus vivante des langues mortes" !
Selon Hannah Arendt, "l'éducation, par nature, est vouée à être conservatrice, puisqu'il s'agit de faire entrer les élèves dans un monde beaucoup plus vieux qu'eux". Même argument que Philippe Bilger.
Il termine par la facette politico-idéologique de la question : "Pendant des années, au nom d'un modernisme fétichisé et d'un libéralisme dérégulé (NDLR : pléonasme ?), la Droite n'a fait qu'accompagner le mouvement général vers le décervelage planétaire, prélude à la figure du consommateur universel".
"Le latin et le grec ne servent à rien ? Mais c'est justement ce qui fait leur prix ! Il n'y a pas de biens plus précieux aujourd'hui que ceux qui échappent à la grande marchandisation du monde".
Et sur ces sujets, ne nous faisons pas d'illusion, les Américains ne sont pas nos alliés. Leur credo, c'est celui de l'École de Chicago, à savoir l'ultra-libéralisme à leur profit. Seuls les pays latins pourront peut-être nous aider. Et Mme Fioraso, qui, avant de partir, nous a fait le cadeau de l'autorisation pour les Universités françaises d'enseigner en anglais, fait bien partie des fossoyeurs du "conservatisme culturel" qui est pourtant indispensable.
Cette fois, tout est dit, non ?
09:30 Publié dans Actualité et langue française | Lien permanent | Commentaires (0)
28/03/2015
Allons-nous (y) perdre notre latin ?
Quel est le point commun entre MM. Collomb, Juppé et Bayrou ?
Ils sont tous trois agrégés de lettres classiques et défendent, c'est bien normal, la culture qui les a formés.
Marie-Noëlle Tranchant les a interrogés pour le Figaro, à l'occasion du IXème festival européen latin-grec (et non : de latin-grec), qui s'est tenu à Lyon du 19 au 22 mars 2015. Écoutons-les.
Alain Juppé : "A-t-on le droit de priver tant de jeunes de rêver encore à l'aurore aux doigts de rose (…) ou d'accompagner les premiers pas de la démocratie en écoutant l'éloge qu'en fait Périclès ? Ou de découvrir avec Antigone qu'il y a des valeurs supérieures aux lois imparfaites des hommes ?".
François Bayrou : "Ce sujet qui apparaît à beaucoup secondaire est en fait crucial. Cet héritage nous donne les clefs de l'avenir : il est capital d'offrir à nos enfants la maîtrise de la pensée et de l'expression qui passe par les mots, leur histoire et leur sens. La question de la violence est liée à l'incapacité à s'exprimer. Tous ceux qui veulent nous couper de nos racines nous coupent de notre avenir".
Plus surprenante est la présence dans ce débat de Boris Johnson, le célèbre maire de Londres, qui déclare : "L'Europe avait un sens à l'époque où tout le monde avait lu les mêmes livres, et tout le monde savait qui étaient Didon et Énée".
Il a fait donner gratuitement des cours de latin à des jeunes défavorisés, estimant que les lettres sont la meilleure arme contre la violence. (NDLR : si l'on écrit "à des jeunes défavorisés", "jeunes" est un substantif et "défavorisés" un adjectif ; si l'on écrit "à de jeunes défavorisés", c'est l'inverse…).
La journaliste estime que "on active la fin par sédation douce de ce chef d'œuvre de raison et d'humanité qu'est l'héritage gréco-latin. On le juge inadapté au multiculturalisme , bien qu'il plonge ses racines en Asie mineure comme en Afrique du Nord, qu'il réunisse Athènes et Alexandrie, Rome et Carthage".
On aura compris ma position sur le sujet...
L'étude du latin et/ou du grec est formatrice, de par leur structure logique. Elle force à réfléchir, à raisonner. Il est vrai qu'elle demande des efforts. Est-ce trop demander ? Elle fait comprendre les racines des mots de notre langue et ouvre l'esprit sur la fondation de nombre de nos valeurs : démocratie, culture, arts, sport… Étudiée par tous, sans élitisme, elle donne un socle commun.
07:39 Publié dans Actualité et langue française | Lien permanent | Commentaires (0)