07/03/2016
La Francophonie, c'est pas ce que vous croyez (V et fin)
Huitième idée reçue : le français serait en perdition dans le monde
Pas du tout ! Bien sûr, le français n'est pas comme l'anglais LA langue de communication mondiale… Mais sa place est encore enviable. Jugez-en.
L'Organisation des Nations Unies a six langues de travail : l'anglais et le français y cohabitent avec le chinois, le russe, l'espagnol, l'arabe et le portugais. Et les pays francophones y pèsent le tiers.
Le français est langue officielle de 29 pays dans le monde, en plus d'être langue nationale, langue d'enseignement ou langue étrangère enseignée dans de nombreux autres. C'est la deuxième langue la plus apprise au monde.
L'Organisation internationale de la francophonie compte 80 États ou gouvernements.
On estime qu'il y a 274 millions de personnes capables de parler français dans le monde.
Selon le classement à partir de dix critères effectué par le site portalingua, les cinq langues prépondérantes sont l'anglais (largement), le français et l'espagnol, puis l'allemand et le néerlandais. Étonnant, non ?
Selon la taxonomie de Calvet, il y a dix langues "supercentrales" : l'anglais (la seule "hypercentrale"), l'arabe, le chinois, l'espagnol, le français, le russe, l'hindi, le malais, le swahili et le portugais.
Bref, quelle que soit la façon de classer, on retrouve toujours le français !
Et cela devrait continuer car la croissance démographique de l'Afrique francophone va accroître encore son importance numérique.
Neuvième idée reçue : le concept de francophonie serait récent
Nous avons déjà vu que non… et le terme "francophone" est encore plus ancien puisqu'il a été créé par un géographe français, Onésime Reclus, en 1880, dans son ouvrage "France, Algérie et Colonies".
Voilà, nous avons énoncé et corrigé neuf idées reçues sur la francophonie. Force est de constater que cette grande idée généreuse et ambitieuse n'a pas la faveur des médias ; d'une part parce qu'elle est à contre-courant de la pensée unique actuelle (le néolibéralisme, la concurrence à outrance, les droits de l'individu et l'individualisme, l'ouverture à tous les vents, la technologie sans modération…) et d'autre part parce qu'elle crée très peu d'événements susceptibles de "faire l'actualité".
Et d'où viennent donc les éléments de ces cinq billets qui nous ont permis de jouer au jeu des neuf erreurs ?
Ils sont extraits d'un CLOM de l'Université Lyon III, cours que l'on pouvait suivre en ligne sur internet au dernier trimestre 2015 et qui était intitulé "La Francophonie : essence culturelle, nécessité politique". Nous étions 5000 à travers le monde…
Salut en passant à Marijuz, Fatima et Shelton, d'Amérique du Sud et d'Afrique !
PS. CLOM : cours en ligne, ouvert et massif (en anglais MOOC)
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Francophonie | Lien permanent | Commentaires (0)
03/03/2016
Vive la République, vive les Lettres (II)
Le livre de Marc Fumaroli, en plus d’être remarquablement bien écrit, est, bien sûr, une synthèse sur l’histoire littéraire du Moyen-Âge à l’époque classique, dans laquelle on sent sa sympathie pour ces esprits savants, passionnés et solidaires. Il ne le dit pas mais leur réseau d’hommes cultivés est, dans sa pratique, aux antipodes de la mondialisation sans foi ni loi, de la concurrence exacerbée et des divertissements faciles.
Il y a de l’élitisme, sans doute, chez Marc Fumaroli et chez ceux qu’il admire : les Pétrarque, Erasme, Nicolas de Peiresc, Bembo, Budé, Lipse, Gassendi… mais aussi de la solidarité, un goût pour la recherche et pour la « conversation » en marge de ce qui se fait à l’Université de l’époque… Ils vont utiliser l’imprimerie, la correspondance, les voyages, et constituer des bibliothèques privées. Leur langue va rester longtemps le latin. La « conversation » entre lettrés est à ce point un mode prioritaire d’échange et d’entretien de l’amitié que M. Fumaroli lui consacre un chapitre entier.
À l’origine, il y a le souhait de retrouver les textes des auteurs antiques, qui ont été protégés dans les monastères mais à l’occasion déformés et interprétés. Cet effort se fait dans le cadre de l’Europe chrétienne, sans opposition avec l’Église.
« L’alliance entre RESPUBLICA LITTERARIA et Respublica christiana fut dès les origines étroite. Pétrarque et ses héritiers n’ont opposé leurs studia humanitatis à la science scolastique des universités du nord de l’Europe que pour réformer et revivifier l’Église par l’étude savante des Pères des premiers siècles , et par une véritable résurrection érudite de l’Antiquité chrétienne, inséparable de la civilisation gréco-latine de l’Empire romain ».
Cependant…
« Cette grande aspiration des humanistes italiens à renouer avec le génie et la foi antiques, une fois transplantée dans le nord gothique et scolastique de l’Europe, a pris un tour infiniment plus dangereux pour l’unité de la Respublica christiana et pour l’orthodoxie romaine. Beaucoup moins tenu par la tradition italique, l’humanisme du Nord a penché très tôt vers le libre examen et une « modernité » théologique littéraire et scientifique difficile à admettre par l’Église romaine » (page 70).
(À suivre)
07:30 Publié dans Essais, Histoire et langue française, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
29/02/2016
Vive la République, vive les Lettres (I)
La République, tout le monde connaît : la Première (1792-1804), la Deuxième (1848-1852), la Troisième (1870-1940), la Quatrième (1944-1958), la Cinquième et actuelle (1958- ).
Les Lettres, tout le monde connaît : Corneille, Chateaubriand, Balzac, Hugo, Zola, Proust et tant d’autres ; la littérature quoi !
Mais la République des Lettres, kézako ?
Il faut, pour le savoir, se plonger dans le merveilleux dernier livre de Marc Fumaroli « La République des Lettres » (Gallimard, Bibliothèque des Histoires, 2015).
En 459 pages grand format, l’Académicien et ancien professeur au Collège de France, en compilant et révisant des articles qu’il a déjà donnés sur le sujet, nous explique qu’il s’agit d’un réseau de personnes savantes qui ont cultivé, à travers l’Europe, à la fois la connaissance, la recherche et l’amitié, avant la création des Académies officielles, puis en parallèle avec elles.
Cette République des Lettres, qui s’est dégagée du latin pour s’exprimer progressivement dans les langues romanes, est donc le précurseur, à la fois des Académies (mais sans leur rapport au Pouvoir), des Sociétés savantes, du tourisme culturel, des réseaux de recherche, de l’Europe sans frontière et du travail en réseau.
« Dans les trois derniers siècles de l’Ancien Régime, on appelait République des Lettres, cette société qui se cooptait elle-même dans la société et qui réunissait, pour coopérer dans le même usage studieux du loisir, par-delà les professions et les conditions ecclésiastiques et laïques, et même par-delà les frontières et les confessions, par la correspondance et les voyages, tous ceux qui œuvraient pour le bien commun de l’Europe de l’esprit, érudits et savants…
… de leur propre chef, sur leurs propres ressources, ces abeilles collaborant et conversant entre elles, dans le même otium studiosum (NDLR : loisir studieux) infatigable, accumulaient et augmentaient le miel et la cire de la remémoration historique, source vivante et sans cesse renouvelée des lumières du savoir et de la douceur des mœurs civiles.
Le syntagme « République des Lettres » eut un synonyme au XVIIIème siècle : l’Europe littéraire, où l’adjectif « littéraire » embrasse à la fois les belles-lettres et l’ensemble des disciplines érudites et savantes, théologie, droit, histoire, histoire naturelle, philosophie morale et politique, rhétorique et poétique des lettres et des arts, etc. »
On l’a vu dans ces quelques lignes, l’écriture de Marc Fumaroli est élégante, harmonieuse, balancée, riche ; c’est un plaisir renouvelé à chaque chapitre de le lire, même si la concaténation des différents articles nuit un peu à l’homogénéité de l’ensemble.
Nous en verrons d’autres exemples dans de prochains billets, qui éclaireront le concept de République des Lettres.
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Remarque : « kézako », écriture phonétique de « quèsaco », vient de la locution occitane « Qu’es aquò ? » qui signifie « Qu’est-ce que c’est ? ». Attesté en 1730 (A. Piron) (Source : wiktionary)
07:30 Publié dans Essais, Histoire et langue française, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)