11/04/2016
« Nos mythologies économiques » (Éloi Laurent) : critique (II)
On aborde le deuxième chapitre du livre d’Éloi Laurent avec sérénité et intérêt, parce qu’il vient de nous démontrer que les lois économiques dont on nous rebat les oreilles, c’était bien du pipeau (rappelons-nous Romain Duris dans « les Poupées russes »…). On se console comme on peut.
Mais, dans le deuxième chapitre, l’auteur verse dans la bien-pensance et le déni. Voici ce qu’y on lit :
- non, notre « deuxième » mondialisation ne se caractérise pas par des flux migratoires incontrôlables ;
- oui, les flux migratoires vers la France sont à un point historiquement bas (0,4 % de la population française) ;
- oui, la France, riche à l’échelle du globe, se doit d’être hospitalière ; oui, la contribution des immigrés au nombre de naissances sur le sol français est dix-neuf fois inférieure à celle des autochtones (?) ;
- oui, le « grand remplacement » est matériellement impossible ;
- oui, un cinquième de la population française est soit immigrée, soit issue de l’immigration depuis un siècle (8 % d’immigrés aujourd’hui) ;
- oui, leur intégration sociale est défaillante ; non, ils ne représentent pas un poids insupportable pour l’économie française (c’est leur non-intégration qui coûte) et d’ailleurs envisager le problème sous l’angle économique est abject (sic) ;
- oui, les migrants sont en majorité jeunes, actifs et éduqués ; oui, ils renforcent le dynamisme économique des pays où ils s’installent…
Et encore, je cite :
« L’immigration enrichit la France, au-delà des réalités économiques et de leur comptabilité monétaire : par la culture et les arts, par la langue (là, il faudra m’expliquer…), et jusque dans la manière d’être français (sic !), les immigrés rendent la France meilleure ».
- Oui, on peut concilier « diversité et solidarité » contrairement à ce que les Anglo-saxons ont propagé depuis le début des années 2000 : « Plus d’immigration correspond donc à davantage de protection sociale pour tout le monde ».
- Non, les véritables territoires en souffrance en France ne sont pas les zones péri-urbaines (exit donc la thèse de Christophe Guilluy, qui n’est d’ailleurs pas cité) et les zones urbaines sensibles (ZUS) ne sont pas favorisées par la puissance publique (3 milliards d’euros par an depuis 15 ans, quand même), ce sont en fait les laissés pour compte.
« La véritable singularité de la France, c’est que les descendants d’immigrés y sont plus nombreux que les immigrés ».
On sera d’accord avec Éloi Laurent sur l’affirmation que les enfants d’immigrés peuvent réussir aussi bien que les autres (il dit même qu’ils font mieux…) si on leur en donne les moyens et qu’il faut le faire.
Et de conclure : « La France ne doit pas seulement reconnaître qu’elle est diverse : elle doit accomplir sa diversité en investissant dans l’intégration ». C’est beau…
Je passerai rapidement sur le troisième chapitre, consacré aux mythes véhiculés autour de l’écologie car il est moins original à mes yeux et s’attaque à des « mensonges » déjà largement dénoncés. Il identifie ainsi et dénonce plusieurs résistances à la transition écologique de nos sociétés :
- « Les crises écologiques seraient exagérées à des fins idéologiques » (donc il ne faut rien faire) ;
- « Les marchés et la croissance seraient les véritables solutions à l’urgence écologique » (donc il suffit d’attendre) ;
- « On ne pourrait pas changer les comportements économiques sans renoncer au libéralisme » (donc ce serait trop bête de changer et de se retrouver en régime totalitaire) ;
- « L’écologie serait l’ennemie de l’innovation et de l’emploi » ;
- « L’écologie serait une affaire de riches, synonyme d’injustice sociale ».
Tout cela, selon Éloi Laurent, est sans fondement.
Au total, c’est un petit essai intéressant mais qui argumente de moins en moins au fur et à mesure des chapitres, se contentant, à plusieurs endroits, d’affirmer des points de vue et sans quasiment citer de sources (pas de bibliographie). Il a le mérite d’être bien écrit, direct et facile à lire. Mais il est cher pour ce qu’il est.
Version 2 du 11 avril 2016.
15:16 Publié dans Économie et société | Lien permanent | Commentaires (0)
07/04/2016
« Nos mythologies économiques » (Éloi Laurent) : critique (I)
J’ai entendu Éloi Laurent, économiste de l’OFCE, dans la Matinale de Patrick Cohen sur France Inter ; il parlait de son livre « Nos mythologies économiques » (Les liens qui libèrent, 2016) de façon simple et convaincante ; je l’ai acheté.
L’économie est partout ; Régis Debray nous a dit que tout était formules et calculs aujourd’hui et Bernard Maris nous a alertés sur le fait que l’économie n’était que de la poudre aux yeux, du blabla pour journalistes et faux experts ; mais, bon, les décisions prises chaque jour au nom de l’économie (orthodoxe, c’est-à-dire néolibérale) par des politiques qui ne savent que suivre la doxa, ont un impact sur nos vies ; alors, autant y regarder de plus près et essayer de comprendre ; ça tombe bien, les économistes de tout bord ne se privent pas d’en parler et de l’écrire.
Éloi Laurent vient donc de publier un (tout) petit livre (103 pages pour 12 €) dans la même veine que l’inimitable et regretté Bernard Maris et aussi que Jacques Généreux ; il s’agit de démontrer que tout ce qu’on entend est « mythologique », que ça ne repose sur rien, que les journaux sont bourrés d’idées fausses et de préjugés sans fondement.
Le livre comprend trois parties très différentes : la mythologie néolibérale (finissante), la mythologie sociale-xénophobe (émergente) (sic !), la mythologie écolo-sceptique (persistante). C’est sur la première partie, la plus intéressante et la plus convaincante, que Éloi Laurent est intervenu sur France Inter.
« L’économie mythologique, nébuleuse de contes et de légendes à usage social, pollue donc le débat public ». Les citoyens sont mystifiés et les politiques envoûtés. Voilà la thèse.
Premier mythe : le marché spontané est asphyxié par les régulations publiques (l’État) et l’État est submergé par les marchés tout puissants. Démonstration : « Les promoteurs du prétendu libre marché ne réclament absolument pas la fin de l’intervention publique dans l’économie, ils demandent simplement que celle-ci soit détournée en leur faveur ». « C’est la puissance publique, en l’occurrence d’obédience socialiste, qui a organisé dans les années 1980 la libéralisation des marchés financiers… dans le but de financer sa dette publique sur des marchés ainsi rendus plus profonds. La mystification est complète lorsque, trente ans plus tard, l’État français, à nouveau d’obédience socialiste, entend réduire sa dette publique et sabrer dans les dépenses sociales au nom d’impératifs qui lui seraient imposés par les marchés financiers !... La puissance économique de l’État est parfaitement intacte, elle a simplement été mise au service d’une autre cause que le progrès social ». Imparable.
Deuxième mythe : il faut produire des richesses avant de les redistribuer ou plus exactement, priorité à l’efficacité sur l’égalité. « Les inégalités sont non seulement injustes mais elles sont tout autant inefficaces. Elles provoquent des crises financières. Elles substituent la rente à l’innovation. Elles empêchent l’essor de la santé et de l’éducation. Elles figent les positions sociales. Elles paralysent la démocratie. Elles aggravent les dégradations environnementales et nourrissent les crises écologiques ». Accablant.
Troisième mythe : l’État doit être géré comme un ménage ou une entreprise. Idiot car l’État agit dans le long terme, il doit investir et soutenir l’activité, surtout quand elle faiblit. Parler de faillite à son endroit n’a pas de sens car il dispose d’un actif (le patrimoine immobilier public par exemple) en face de son passif (la dette publique).
Quatrième mythe : les régimes sociaux sont financièrement insoutenables. En fait ils sont bien plus solides que les marchés d’actions et heureusement.
Cinquième mythe : il faut engager des réformes structurelles pour augmenter notre compétitivité.
On aura remarqué à travers mes extraits que l’argumentation de l’auteur est de moins en moins fournie à mesure qu’il avance dans la dénonciation des mythes. A-t-il voulu trop en faire ?
(À suivre)
07:30 Publié dans Économie et société | Lien permanent | Commentaires (0)
04/04/2016
Hommage à Jim Harrison
C’est en avril 1999 que j’ai découvert l’écrivain américain Jim Harrison à travers son roman « Dalva », suite à la lecture d’un article de l’Événement du jeudi (24 septembre 1998) « Les coups de gueule de Big Jim », à l’occasion de son passage en France.
J’avais noté à l’époque : « Bon roman ; on s’attache à l’histoire de ces Américains non conformistes d’origine indienne. On attend la suite avec impatience ». Les critiques littéraires rattachaient Jim Harrison à l’École du Montana, à l’Amérique profonde, aux grands espaces… Fascinant !
Né dans le Michigan, il aimait les Indiens, les forêts, la chasse et la pêche, les chevaux, la cuisine et, chose sympathique, les vins français. Il tenait Gabriel Garcia-Marquez pour le plus grand écrivain vivant.
Mi-2000, j’ai lu la suite « La route du retour », que j’ai trouvé moins original que « Dalva », un peu « facile », sans beaucoup de rythme. Cependant la fin du roman était poignante.
Cela fait peu comme critique de livre ! Il faut dire qu’il y a quinze ans, je me contentais de tenir à jour l’inventaire de mes lectures mais pas l’exégèse de leur contenu.
Peu après, j’ai commencé la lecture d’un autre auteur américain William Stegner (« Vue cavalière », « La vie obstinée »). J’y ai trouvé de l’humour, du savoir-raconter, des sujets intéressants mais là encore pas de chefs d’œuvre.
Je crois bien que mon incursion dans la littérature américaine s’est achevée avec « La tache » de Philip Roth, bien construit, bien écrit mais trop « américain », trop loin de nous, un roman un peu noir sur la dissimulation et l’injustice.
Cela fait trop peu pour juger la littérature (ne serait-ce que contemporaine) d’un pays grand comme cinquante France… Mais d’un autre côté cela fut suffisant pour que j’en restasse là : les romans américains, c’est comme le cinéma américain et les actrices américaines ; tout est « trop » ; trop de sentiments déballés, trop d’hémoglobine (ou de sauce tomate), trop de voitures trop grosses, trop de sourires et trop de larmes…
Mais je m’éloigne de mon sujet !
Jim Harrison est mort le 26 mars dernier.
07:30 Publié dans Écrivains, Harrison Jim, Littérature, Roman | Lien permanent | Commentaires (0)