05/05/2016
Alain Mabanckou : ses leçons au Collège de France (III)
Quand il revient devant nous, le 5 avril 2016, dans le grand amphithéâtre, Alain Mabanckou, veste bleue et chapeau, semble transformé ; tout en résumant la leçon précédente et en insistant sur le rôle des femmes dans l’émergence de la négritude, il est euphorique : souriant, moins crispé et solennel qu’au début, il nous parle des nombreux courriels qu’il a reçus, se félicite de faire salle comble une fois de plus, nous vante la qualité du site internet du Collège de France (qui a mis en ligne la vidéo de ses premiers cours), et voit dans tout cela le signe de l’intérêt grandissant que la France porte à l’Afrique et à sa littérature.
Et justement, à mon grand soulagement personnel, il ne parle plus de littérature nègre mais de littérature africaine.
Mieux que cela, il place sa leçon sous les mânes de Jean Giono (l’un de ses écrivains préférés – on est au moins deux !), qui avait dit : « Le poète est un professeur d’espérance ».
Donc, ça commençait très bien ; il m’a semblé que le public vibrait…
Alain Mabanckou reprend alors son panorama historique en distinguant quatre périodes. Et d’abord la période pré-coloniale, c’est-à-dire l’histoire de l’Afrique avant l’arrivée des Blancs. L’empire du Ghana, du VIIIè au XIIIè siècles, était contemporain de Charlemagne, tandis que celui du Mali l’était de notre Moyen-Âge. Mais il ne fallait pas céder à la surenchère en magnifiant l’Afrique, qui aurait été un continent unique, un espace de paix ! Il cite les pratiques esclavagistes arabes (lire par exemple « Le devoir de violence »). Les romans « Le pagne noir », « À la belle étoile », « Les légendes africaines » prouvent que la littérature africaine n’est pas uniquement une compilation de contes et légendes.
Dans les années 20, c’est la période coloniale. Les romans décrivent la société coloniale et ses poncifs, du point de vue du colonisé (« Batouala »). Camara Laye publie « L’enfant noir » en 1953, qui décrit de façon idyllique les traditions africaines. Il sera critiqué.
Il s’agit à cette époque de s’engager, de critiquer l’Homme blanc et de se concentrer sur le général (et non sur des histoires individuelles). Il y a un malaise entre l’islam et l’attrait de la culture occidentale.
Bernard Dadié, avec « Climié » parle de la crise identitaire ; il faut contester et agir (lutter contre l’impérialisme de la langue française, qui conduit à l’acculturation).
Alain Mabanckou cite encore « Un nègre à Paris », « Le roi miraculé » (1958), « Une vie de boy », « Les bouts de bois de Dieu », « Le mandat ».
Cependant tous les livres ne critiquent pas le colonisateur !
Les années 60 sont celles des indépendances africaines.
« Les soleils de l’indépendance », « La vie et demie », « Le pleurer-rire » sont des armes anti-dictatures mais les nations africaines sombrent dans le chaos ; les violences sont encore pire que pendant la colonisation. « La grève de batou » raconte la vie des mendiants dans les rues de Dakar. Et voici d’autres livres « Elle sera de jaspe et de corail », « Une si longue lettre ». Léonora Miano avec « La saison de l’ombre » dénonce la complicité de certains avec les colonisateurs.
Et c’est l’époque de l’immigration, celle des Africains noirs en Europe.
Odile Cazenave écrit « Afrique sur Seine » et Sami Tchak « Place des fêtes » en 2001 (être libre, refuser la tradition, échanger avec les Africains de France). Les personnages y sont plutôt désespérés. Le Suisso-gabonais (sic) Bessora publie « 53 cm ».
Les autres thèmes traités sont la littérature-monde, le génocide du Rwanda, la contestation de l’hégémonie de Paris sur la littérature.
Mais comment sont donc reçues les littératures africaines ?
À suivre
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Écrivains, Francophonie, Histoire et langue française, Littérature, Mabanckou Alain, Roman | Lien permanent | Commentaires (0)
02/05/2016
Irritations linguistiques XXV : Cheffe, Président, franglais et foot
Vu à la télévision le 14 avril 2016 dans l’émission d’échanges entre M. François Hollande, Président de la République, et des citoyens choisis par France 2 : une (jeune) patronne de jeune pousse est affublée, en sous-titre, du titre de « Cheffe d’entreprise »… Peut-être un effet de la féminisation des titres et qualités (mais je n’ai pas vérifié si « Cheffe » faisait bien partie des recommandations…) ou un effet de mode ou bien le zèle d’un assistant de la chaîne ? Cela étant, on aimerait que le féminisme aille s’exercer – et avec virulence – sur d’autres terrains bien plus fondamentaux (j’allais dire : radicaux…) ; malheureusement on ne l’y entend guère, sous le prétexte commode de respecter la liberté des femmes !
Tiens, à propos de « Président »… voici ce que rappelait Ernest Renan dans ses « Souvenirs d’enfance et de jeunesse » : « On s’est habitué, de notre temps (NDLR : nous sommes en 1883 !), à mettre monseigneur devant un nom propre, à dire monseigneur Dupanloup, monseigneur Affre. C’est là une faute de français ; le mot monseigneur ne doit s’employer qu’au vocatif ou devant un nom de dignité. En s’adressant à M. Dupanloup, à M. Affre, on devrait dire : monseigneur. En parlant d’eux, on devrait dire : monsieur Dupanloup, monsieur Affre, monsieur ou monseigneur l’archevêque de Paris, monsieur ou monseigneur l’évêque d’Orléans » (Folio Classique n°1453, page 154). Est-ce que l’ancienneté de la faute doit tempérer notre agacement devant les formules journalistiques comme « le Président Hollande », que j’attribuais à une influence américaine récente ?
Par ailleurs le franglais continue ses ravages ; il n’y a pas une semaine pendant laquelle des journalistes n’introduisent pas l’une de ces expressions « qui font bien » (du moins à leurs yeux), systématiquement à consonance et à syntaxe anglaises ; ainsi, depuis plusieurs mois, ils usent et abusent des constructions sur bashing : French bashing, Hollande bashing, etc.
J’ai l’impression que toute nouveauté, réelle ou proclamée, que ce soit dans le domaine technologique, sociétal, géopolitique ou autre, est maintenant affublée d’un nom anglais. Ce n’est plus une simple manie ou du snobisme, c’est un réflexe. Dernier exemple en date : BFM TV rend compte du débat autour d’un nouveau portique censé permettre de filtrer les spectateurs à l’entrée des stades de l’Euro 2016 ; et de nous parler des fan zones !
Comme le chantait Maxime Leforestier dans les années 70 : « Ça sert à quoi tout ça, ça sert à quoi tout ça ? Ne me demandez pas de vous suivre… ».
Et la francophonie, dans tout cela ? On n'en parle guère dans les médias… Ah, si ! France Inter a une toute petite rubrique sur l'actualité dans les pays francophones le dimanche à 6 h 15. Qui l'écoute régulièrement ?
Remarque : j’ai découvert récemment que Jean-Paul Sartre avait publié sous le titre « Situations » (I, II, III, etc.) des recueils de critiques de livres. C’est bien involontairement que j’ai repris ce nom générique avec mes « Irritations » (I à XXV…) pour regrouper des « brèves » au sujet de la langue française. Bien évidemment, aucun de mes billets, même ceux qui se piquent de critique littéraire, n’a la prétention ni même l’ambition d’arriver à la cheville du grand philosophe existentialiste… De même, Albert Camus a publié une série de "Carnets" (I, II, III)...
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Franglais et incorrections diverses | Lien permanent | Commentaires (0)
28/04/2016
Alain Mabanckou : ses débuts au Collège de France (II)
Je suis donc allé écouter sa première leçon.
À 13 h 40, la magnifique salle « Marguerite de Navarre » du Collège de France est déjà comble ; une majorité de têtes chenues et sans doute de nombreux professeurs de français, tous « sages comme des images ».
Le professeur Mabanckou arrive, légèrement en retard ; veste bleue très seyante, lunettes moins « clown » que sur les photos du site, souriant, à l’aise.
En ce qui me concerne, j’attends un cours de littérature contemporaine africaine, voire afro-antillaise ou afro-créole.
Au lieu de cela, Alain Mabanckou reprend le concept de « négritude », apparu en France dans les années 30 par l’entremise d’Aimé Césaire en réaction au système d’assimilation des Noirs d’Afrique et des Antilles françaises qui prévaut à l’époque. Il ne quittera plus ce thème pendant les 75 minutes de sa leçon, se limitant à une présentation historique de l’émancipation progressive, sur plus d’un siècle, des écrivains noirs, du contexte colonial.
On apprend que les prémisses de ce concept sont à rechercher dans le « souffle haïtien » qui date de l’indépendance au début du XIXème siècle (Le nouvel Académicien Denis Laferrière rappelle que la littérature haïtienne est ancienne et centrée sur l’histoire de l’île) et dans le mouvement américain impulsé par William Dubois (1868-1963), auteur de « L’âme noire » et émigré au Ghana, qui donnera « la renaissance de Harlem » (1918-1928).
Focalisant son propos sur la France, Alain Mabanckou cite René Maran (« Batouala, véritable roman nègre », prix Goncourt 1921), Blaise Cendrars (« Anthologie nègre »), puis analyse longuement les revues – à durée de vie souvent très courte – fondées à cette époque par les précurseurs (Senghor, Césaire, Damas) : « La revue du monde noir » (six numéros), « Légitime défense » (un numéro), « L’étudiant noir », dans lequel Aimé Césaire, « en quête dramatique de l’identité » affiche la primauté de la culture sur la politique…
Un peu plus tard, ce sont des écrivains blancs qui soutiennent cet effort d’émancipation : André Breton préface « Cahier d’un retour au pays natal » (1939) d’Aimé Césaire, tandis que Jean-Paul Sartre fait de même pour « Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française » (1948) de Léopold Senghor.
Suit un moment de lexicographie qui établit la différence entre « négritude » (manière d’être des nègres) et « négrité » (ensemble des valeurs des nègres). (Remarque : on est choqué aujourd’hui par l’emploi du mot « nègre » mais, apparemment, il ne faut pas).
Alain Mabanckou dénonce l’ignorance du rôle pourtant important des femmes (noires) dans cet essor de la négritude ; la photo qu’il montre du Congrès des écrivains noirs en 1956, à la Sorbonne, est éloquente ! Une seule femme (au premier rang néanmoins…) dans une assemblée d’hommes.
Et dans les cinq ou dix dernières minutes, il se fait l’écho des contradicteurs, des intellectuels noirs qui ne se reconnaissent pas dans le concept de négritude et préfèrent se considérer comme des humains dans un monde globalisé.
Pour un esprit scientifique comme le mien (mais je pense qu’un juriste penserait de même), un exposé aussi déséquilibré entre les droits de la défense et ceux de l’accusation, est choquant, sauf à être certain qu’effectivement les contradicteurs ont été ultra-minoritaires. Béotien, je suis moi aussi perplexe devant un mouvement littéraire dont l’identité semble reposer sur une couleur de peau… Je sais bien que la colonisation avait étouffé, pour ne pas dire plus, toute tentative d’expression non européenne ou non occidentale. Mais était-ce pour autant le bon angle d’attaque ?
Quant à l’exposé, j’aurais nettement préféré qu’il se donnât pour but de nous montrer, citations à l’appui, les spécificités et les beautés de la littérature africaine et créole francophone… C’est peut-être pour la suite du cours !
À suivre...
07:30 Publié dans Écrivains, Francophonie, Histoire et langue française, Littérature, Mabanckou Alain | Lien permanent | Commentaires (0)