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14/04/2016

Biréli Lagrène et les patrons du CAC40

Biréli Lagrène est l’un des meilleurs guitaristes de la scène mondiale depuis plusieurs années. Virtuose et concertiste à 12 ans, il était connu dans la guitare jazz manouche (style inventé et popularisé par le fameux Django Reinhard) mais a su évoluer et jouer des morceaux très variés (il faut écouter « Isn’t she lovely »  de Stevie Wonder et « Just the way you are » de Billy Joel !). Pour arriver à ce niveau exceptionnel, en plus de ses dons, il a dû travailler des centaines d’heures sur son instrument.

Biréli Lagrène.jpg

 

Je suis allé l’écouter début avril dans une salle de banlieue où il a joué 1 h 45 avec trois musiciens (un saxophone, une contrebasse et une guitare rythmique), après un trio en première partie ; la place coûtait 20 € (sans doute subventionnée). On imagine ce que chacun d’entre eux a dû toucher comme prix de son travail (que sont incapables de faire 99,99 % des habitants de cette planète).

 

  

Dans le même temps, M. J.-L. Bonnafé, directeur général de BNP-Paribas, a eu droit à une rémunération de 3,5 millions d’euros, en hausse de 26,5 % par rapport à l’année précédente (source : Marianne du 7 avril 2016) ; cela représente 9500 euros par jour et 950 euros de l’heure (à supposer qu’il travaille 10 h par jour tous les jours) ; lui et son prédécesseur avaient, entre autres, contourné l’embargo américain vis-à-vis de l’Iran, ce qui a coûté quelques milliards de pénalités à leur banque. Jean-Laurent Bonafé.jpg

On pourrait donner des chiffres plus ou moins équivalents à propos de la rémunération des autres dirigeants du CAC 40, par exemple de M. Carlos Tavarès, Président du Directoire du groupe PSA, virtuellement en faillite il y a peu. Ce Monsieur s’est fait attribuer 5,2 millions d’euros, ce qui représente le quasi-doublement de sa rémunération, incluant 2 millions d’euros d’actions de performance. Comme le versement de celles-là est soumise à conditions, le journal préféré des actionnaires individuels – je veux parler de l’hebdomadaire Le Revenu – conclut « Beaucoup de fumée pour rien » !

On pourrait surtout rappeler le cas de dirigeants qui ont touché des pactoles pendant que coulait leur entreprise ou qu’ils se contentaient de la céder à un autre groupe (Serge Tchuruk et Patricia Russo, Anne Lauvergeon et tant d’autres).

Dans le même temps, Benoît Potier, PDG d’Air Liquide, vendait pour 7667275 euros d’actions, et Pierre Dufour, son directeur général, levait pour 2349959 euros d’options de souscription d’actions ; titres aussitôt revendus, avec, à la clé, une plus-value brute de 2347725 euros, à savoir la culbute sans rien faire (source : Le Revenu n°1369 du 25 mars 2016). On espère que l’État touchera sa part d’impôt…

À propos d’impôts, ces privilégiés pourraient vivre heureux (peut-être) en vivant cachés et en évitant la provocation ; mais non, ils aiment ça, provoquer. Henri de Castries, PDG d’Axa, a ainsi dénoncé « le harcèlement fiscal » dans le Figaro, lui qui touche 2900000 € par an, soit 241000 € chaque mois, hors avantages en nature (source : Marianne du 22 janvier 2016).

Ces dirigeants aux rémunérations astronomiques, que font-ils d’extraordinaire, que ne sauraient pas faire 99,99 % des habitants de notre planète ?

Même bardés de diplômes, ils ne sont pas courtisés (sauf rares exceptions) par les multinationales étrangères ; on ne se les arrache pas ; quand l’un d’entre eux faut ou s’en va ailleurs, un autre prend sa place et applique le même genre de méthodes, avec les mêmes revenus en contrepartie.

Biréli Lagrène, lui, est unique.

Biréli Lagrène en concert.jpg

Où est l’erreur ?

PS. Il y a quand même matière à parler du français dans ce billet. J'ai été obligé de consulter mon Bescherelle pour bien conjuguer le verbe "faillir". Ce verbe ancien a trois acceptions : "manquer de" suivi de l'infinitif (il a failli tomber), "manquer à" (je faillirais à tous mes devoirs) et "faire faillite".

Et c'est là que cela devient passionnant !

Dans la première acception, il n'y a que le passé simple, le futur, le conditionnel et les temps composés du type "avoir failli". Dans la deuxième, idem mais en plus on peut s'autoriser des formes archaïques, du type "le cœur me faut", à savoir on retrouve le présent, l'imparfait et le subjonctif, tantôt sur la racine "fau", tantôt sur la racine "faill".

La troisième acception se conjugue régulièrement sur "finir" mais est inusité...

N'est-ce pas merveilleux ?

Version 2 du 17 avril 2016

 

11/04/2016

« Nos mythologies économiques » (Éloi Laurent) : critique (II)

Romain Duris et le pipeau.jpg

On aborde le deuxième chapitre du livre d’Éloi Laurent avec sérénité et intérêt, parce qu’il vient de nous démontrer que les lois économiques dont on nous rebat les oreilles, c’était bien du pipeau (rappelons-nous Romain Duris dans « les Poupées russes »…). On se console comme on peut.

 

Mais, dans le deuxième chapitre, l’auteur verse dans la bien-pensance et le déni. Voici ce qu’y on lit :

  • non, notre « deuxième » mondialisation ne se caractérise pas par des flux migratoires incontrôlables ;
  • oui, les flux migratoires vers la France sont à un point historiquement bas (0,4 % de la population française) ;
  • oui, la France, riche à l’échelle du globe, se doit d’être hospitalière ; oui, la contribution des immigrés au nombre de naissances sur le sol français est dix-neuf fois inférieure à celle des autochtones (?) ;
  • oui, le « grand remplacement » est matériellement impossible ;
  • oui, un cinquième de la population française est soit immigrée, soit issue de l’immigration depuis un siècle (8 % d’immigrés aujourd’hui) ;
  • oui, leur intégration sociale est défaillante ; non, ils ne représentent pas un poids insupportable pour l’économie française (c’est leur non-intégration qui coûte) et d’ailleurs envisager le problème sous l’angle économique est abject (sic) ;
  • oui, les migrants sont en majorité jeunes, actifs et éduqués ; oui, ils renforcent le dynamisme économique des pays où ils s’installent…

Et encore, je cite :

« L’immigration enrichit la France, au-delà des réalités économiques et de leur comptabilité monétaire : par la culture et les arts, par la langue (là, il faudra m’expliquer…), et jusque dans la manière d’être français (sic !), les immigrés rendent la France meilleure ». 

  • Oui, on peut concilier « diversité et solidarité » contrairement à ce que les Anglo-saxons ont propagé depuis le début des années 2000 : « Plus d’immigration correspond donc à davantage de protection sociale pour tout le monde ».
  • Non, les véritables territoires en souffrance en France ne sont pas les zones péri-urbaines (exit donc la thèse de Christophe Guilluy, qui n’est d’ailleurs pas cité) et les zones urbaines sensibles (ZUS) ne sont pas favorisées par la puissance publique (3 milliards d’euros par an depuis 15 ans, quand même), ce sont en fait les laissés pour compte. 

« La véritable singularité de la France, c’est que les descendants d’immigrés y sont plus nombreux que les immigrés ». 

On sera d’accord avec Éloi Laurent sur l’affirmation que les enfants d’immigrés peuvent réussir aussi bien que les autres (il dit même qu’ils font mieux…) si on leur en donne les moyens et qu’il faut le faire.

Et de conclure : « La France ne doit pas seulement reconnaître qu’elle est diverse : elle doit accomplir sa diversité en investissant dans l’intégration ». C’est beau… 

Je passerai rapidement sur le troisième chapitre, consacré aux mythes véhiculés autour de l’écologie car il est moins original à mes yeux et s’attaque à des « mensonges » déjà largement dénoncés. Il identifie ainsi et dénonce plusieurs résistances à la transition écologique de nos sociétés :

  • « Les crises écologiques seraient exagérées à des fins idéologiques » (donc il ne faut rien faire) ;
  • « Les marchés et la croissance seraient les véritables solutions à l’urgence écologique » (donc il suffit d’attendre) ;
  • « On ne pourrait pas changer les comportements économiques sans renoncer au libéralisme » (donc ce serait trop bête de changer et de se retrouver en régime totalitaire) ;
  • « L’écologie serait l’ennemie de l’innovation et de l’emploi » ;
  • « L’écologie serait une affaire de riches, synonyme d’injustice sociale ».

Tout cela, selon Éloi Laurent, est sans fondement. 

Au total, c’est un petit essai intéressant mais qui argumente de moins en moins au fur et à mesure des chapitres, se contentant, à plusieurs endroits, d’affirmer des points de vue et sans quasiment citer de sources (pas de bibliographie). Il a le mérite d’être bien écrit, direct et facile à lire. Mais il est cher pour ce qu’il est.

Version 2 du 11 avril 2016.

07/04/2016

« Nos mythologies économiques » (Éloi Laurent) : critique (I)

J’ai entendu Éloi Laurent, économiste de l’OFCE, dans la Matinale de Patrick Cohen sur France Inter ; il parlait de son livre « Nos mythologies économiques » (Les liens qui libèrent, 2016) de façon simple et convaincante ; je l’ai acheté.

L’économie est partout ; Régis Debray nous a dit que tout était formules et calculs aujourd’hui et Bernard Maris nous a alertés sur le fait que l’économie n’était que de la poudre aux yeux, du blabla pour journalistes et faux experts ; mais, bon, les décisions prises chaque jour au nom de l’économie (orthodoxe, c’est-à-dire néolibérale) par des politiques qui ne savent que suivre la doxa, ont un impact sur nos vies ; alors, autant y regarder de plus près et essayer de comprendre ; ça tombe bien, les économistes de tout bord ne se privent pas d’en parler et de l’écrire.

Éloi Laurent vient donc de publier un (tout) petit livre (103 pages pour 12 €) dans la même veine que l’inimitable et regretté Bernard Maris et aussi que Jacques Généreux ; il s’agit de démontrer que tout ce qu’on entend est « mythologique », que ça ne repose sur rien, que les journaux sont bourrés d’idées fausses et de préjugés sans fondement.

Le livre comprend trois parties très différentes : la mythologie néolibérale (finissante), la mythologie sociale-xénophobe (émergente) (sic !), la mythologie écolo-sceptique (persistante). C’est sur la première partie, la plus intéressante et la plus convaincante, que Éloi Laurent est intervenu sur France Inter.

« L’économie mythologique, nébuleuse de contes et de légendes à usage social, pollue donc le débat public ». Les citoyens sont mystifiés et les politiques envoûtés. Voilà la thèse.

Premier mythe : le marché spontané est asphyxié par les régulations publiques (l’État) et l’État est submergé par les marchés tout puissants. Démonstration : « Les promoteurs du prétendu libre marché ne réclament absolument pas la fin de l’intervention publique dans l’économie, ils demandent simplement que celle-ci soit détournée en leur faveur ». « C’est la puissance publique, en l’occurrence d’obédience socialiste, qui a organisé dans les années 1980 la libéralisation des marchés financiers… dans le but de financer sa dette publique sur des marchés ainsi rendus plus profonds. La mystification est complète lorsque, trente ans plus tard, l’État français, à nouveau d’obédience socialiste, entend réduire sa dette publique et sabrer dans les dépenses sociales au nom d’impératifs qui lui seraient imposés par les marchés financiers !... La puissance économique de l’État est parfaitement intacte, elle a simplement été mise au service d’une autre cause que le progrès social ». Imparable.

Deuxième mythe : il faut produire des richesses avant de les redistribuer ou plus exactement, priorité à l’efficacité sur l’égalité. « Les inégalités sont non seulement injustes mais elles sont tout autant inefficaces. Elles provoquent des crises financières. Elles substituent la rente à l’innovation. Elles empêchent l’essor de la santé et de l’éducation. Elles figent les positions sociales. Elles paralysent la démocratie. Elles aggravent les dégradations environnementales et nourrissent les crises écologiques ». Accablant.

Troisième mythe : l’État doit être géré comme un ménage ou une entreprise. Idiot car l’État agit dans le long terme, il doit investir et soutenir l’activité, surtout quand elle faiblit. Parler de faillite à son endroit n’a pas de sens car il dispose d’un actif (le patrimoine immobilier public par exemple) en face de son passif (la dette publique).

Quatrième mythe : les régimes sociaux sont financièrement insoutenables. En fait ils sont bien plus solides que les marchés d’actions et heureusement.

Cinquième mythe : il faut engager des réformes structurelles pour augmenter notre compétitivité.

On aura remarqué à travers mes extraits que l’argumentation de l’auteur est de moins en moins fournie à mesure qu’il avance dans la dénonciation des mythes. A-t-il voulu trop en faire ? 

(À suivre)