02/09/2015
Mes lectures de l'été 2015 (III) : L'été 76
J'ai déjà parlé longuement des livres "Ma bibliothèque" de Cécile Ladjali et de "Ce pays qu'on abat" de Natacha Polony et dit tout le bien que j'en pensais.
Mon avant-dernière lecture de l'été, c'était justement "L'été 76" de Benoît Duteurtre. Ici, la structure est "linéaire", c'est-à-dire que l'histoire - autobiographique - est racontée chronologiquement. Elle concerne une tranche de la vie de l'auteur (les années 1976 et 1977), pendant laquelle il est sorti de l'adolescence et a pris des options pour sa vie future (abandonner l'idée d'être médecin et se consacrer à la musique et au journalisme).
Le parcours de B. Duteurtre m'a touché parce qu'il passait ses vacances d'enfant dans les Vosges sur les hautes chaumes, révérait Jean Giono (Que ma joie demeure, Le chant du monde) et appréciait Jules Verne, Arsène Lupin, Boris Vian, puis Léo Ferré, Led Zeppelin et Pink Floyd. Tout(e) une époque !
Il y a trois thèmes essentiels dans son livre : sa découverte de la contestation (en l'occurrence gauchiste) à travers Hélène, cette jeune fille de deux ans son aînée, sa découverte de l'amour platonique (du moins pour Hélène car deux fins de phrases sibyllines à la fin du livre éveillent des doutes sur son goût inconditionnel pour les femmes) et la découverte de sa passion pour la musique, très éclectique en l'occurrence (de Debussy à Deep Purple).
Rien à dire sur son style d'écriture ; il est simple, correct, sans effets particuliers. J'ai noté l'orthographe de la phrase "quelqu'un… qui pourrait m'ouvrir tout grand les portes du succès" (page 74). Mon (fameux) résumé d'orthographe indique que "tout" s'accorde toujours devant une consonne (Voir mon billet du 18 juillet 2014 "Tout, tout est fini entre nous"). L'ennui, c'est que les adjectifs employés adverbialement, comme ici "grand" qui peut se lire "grandement" ou "largement" sont invariables (H. Berthet donne comme exemple "Des arbres haut perchés"). L'affaire est donc complexe. Mon intuition m'aurait néanmoins fait écrire "toutes grandes"… L'un de mes lecteurs a-t-il une opinion ? Ou alors j'écris à l'Académie !
Deux ou trois passages - hors narration - sont excellents : en premier lieu, l'analyse des 30 glorieuses et de la crise issue de la restriction du pétrole, et le sentiment que chacun a de vivre entre deux époques (tout le chapitre 7, page 64).
Au total, un livre agréable à lire, qui vaut surtout par son témoignage sur une époque et sur une tranche de vie d'un adolescent dont nous avons été proches, quelques années avant ou après, mais qui ne restera pas dans nos mémoires.
B. Duteurtre a écrit aussi "Le voyage en France" en 2001, qui a eu un certain retentissement. Une prochaine lecture ?
09:39 Publié dans Duteurtre Benoît, Écrivains, Littérature, Livre | Lien permanent | Commentaires (0)
01/09/2015
Mes lectures de l'été 2015 (II) : Numéro zéro
Revenons donc à la question : un auteur qui a indiscutablement de la maîtrise et du style, est-il un "bon" écrivain ?
J'ai lu ensuite ("sans transition" selon la formule consacrée) le "Petit éloge des vacances" de Frédéric Martinez, dont j'ai donné de larges extraits dans plusieurs billets récents. Dans un genre complètement différent de celui de M. Belezy, il y a là aussi de la maîtrise et "un sujet". Sur le thème fort peu original du jeune homme étourdi par les affriolantes jeunes beautés qui passent devant ses yeux dans les rues de Paris, il réussit à concocter un mélange enivrant d'impressions sensuelles et de souvenirs tendres, que l'on dévore d'un coup. Bien sûr, là encore, il faudrait lire un autre livre du même auteur, et il n'y a que l'embarras du choix car il a déjà beaucoup écrit.
"Autre séquence, autre scène", je pars à l'abordage du dernier opus d'Umberto Eco, le sémiologue, historien et professeur italien, célèbre pour son "Nom de la Rose". Il s'agit de "Numéro zéro" (Grasset, 2015). L'exorde est plutôt fade : un homme s'inquiète de ce qu'il n'y a plus d'eau au robinet dans son appartement… et rapidement, U. Eco nous entraîne dans son récit à cent à l'heure : sous couvert d'une histoire d'espionnage classique, il règle quelques comptes avec l'université et surtout, il nous livre ses réflexions sur le journalisme, sur le vrai et le faux et sur les mœurs politiques de l'Italie de 1992 et d'ailleurs.
Par exemple, il fait expliquer par son narrateur la façon de procéder des grands journaux anglo-saxons : "Une fois les guillemets mis (NDLR : pour citer un témoin d'un événement déniché dans la rue), ces affirmations deviennent des faits car c'est un fait qu'Untel a exprimé telle opinion… L'astuce, c'est de mettre entre guillemets d'abord une opinion banale, puis une autre opinion, plus raisonnée, qui reflète celle du journalisme… Le problème, ce sont les guillemets - où et quand les mettre". À la suite de quoi, U. Eco fait faire des "exercices" à ses journalistes, à partir d'événements inventés. C'est édifiant...
Dans Numéro zéro, il y a un peu de 1984 (les manipulations) et un peu de Jean-Christophe Grangé aussi (les Loups gris de Turquie) mais avec l'érudition d'U. Eco (voir le chapitre "Mercredi 15 avril" dans lequel il brode avec brio sur les "chevaliers de Malte", les faux et les vrais, à tel point qu'on ne sait plus si c'est de l'histoire ou de l'imagination). On pense aussi, dans le genre "faux documentaire" et "description d'une machination", à Tunc et à Nunquam de Laurence Durrell.
Il y a aussi pas mal d'humour (les petites annonces que préparent les journalistes du Numéro zéro sont désopilantes) et une histoire d'amour en fond sonore.
Au total, un livre qui se lit agréablement mais qui me paraît tout de même "alimentaire" pour Eco.
07:00 Publié dans Eco Umberto, Écrivains, Littérature, Livre, Martinez Frédéric, Roman | Lien permanent | Commentaires (0)
31/08/2015
Mes lectures de l'été 2015 (I) : "C'était notre terre" (Mathieu Belezi)
Depuis le fabuleux sketch des Inconnus "Les chasseurs" et leur incursion dans le Bouchonnois (Pithibouviers et autres lieux fameux), on sait ce que c'est qu'un bon chasseur...
Mais qu'est-ce qu'un bon écrivain ?
J'ai pensé à cette question en ouvrant "C'était notre terre" de Mathieu Belezi (Albin Michel, 2008). Ce livre raconte le choc, psychologique (la perte) et physique (les exécutions sommaires et les crimes ignobles) des dernières années de la colonisation en Algérie, vu essentiellement du côté des colons. Il est construit sur une suite de monologues des principaux personnages du roman, chacun d'eux donnant sa propre version et surtout sa propre vision des événements. Dès les premières pages, je me suis donc dit "quelle maestria ! quelle habileté pour enclencher le récit illico presto" et, partant, "quel écrivain !".
Pour être plus précis, je me suis même demandé : "quels ingrédients", "quelles caractéristiques" font-ils qu'un livre vous "cueille" dès les premières pages ? Est-ce uniquement la fameuse "première phrase" ("Longtemps je me suis couché de bonne heure…") ? Sûrement pas.
Qu'est-ce qui fait qu'on est "embarqué" dans l'enthousiasme par "La promesse de l'aube" et qu'on avance à reculons dans, par exemple, "Je vous écris d'Italie" ?
Autant vous dire qu'à cette heure, tout cela me reste mystérieux. Il y a une alchimie, et même sans aller jusqu'aux paradoxes à la Cécile Ladjali selon laquelle "un livre nous lit autant qu'on le lit".
Bref, ce livre qu'une amie avait adoré et qu'elle m'a conseillé, m'a pris dans son tourbillon dramatique. Sur le fond, même s'il donne l'impression de plaindre ces colons qui sont chassés un beau matin de "leurs" terres, il les dépeint tellement arrogants et tyranniques, que l'on en vient à comprendre l'origine de la révolte des opprimés. Les exactions de part et d'autre sont relatées de façon équilibrée, et c'est l'horreur qui s'en dégage, toutes communautés confondues. Au total, le livre - on ose à peine parler de roman - donne certainement une bonne idée de ce qui s'est passé. Seul le titre demeure ambigu : ironique, nostalgique, provocateur ?
Sur la forme, j'ai déjà parlé de la construction du livre ; il m'a semblé que l'auteur en usait et abusait. Au milieu du gué, on en est un peu las, d'autant qu'il manie la répétition et les "formules" sans modération. Mais le dernier tiers du livre - prenant - nous fait dévorer les dernières pages. J'aurais apprécié pour ma part quelques descriptions supplémentaires du cadre de vie et des paysages, plus de pittoresque des situations… mais l'objectif de l'auteur n'était manifestement pas là.
Au total, un bon livre, et qui frôle le "documentaire" ou même l'essai militant sur la question.
07:00 Publié dans Belezi Mathieu, Écrivains, Littérature, Livre, Roman | Lien permanent | Commentaires (1)