31/12/2015
Le français, encore...
Voici des nouvelles du front, toutes repérées dans le Marianne du 27 novembre 2015.
D’abord l’excellente Fleur Pellerin, Ministre de la Culture, a présenté un projet de loi « Liberté de création, Architecture et Patrimoine » (CAP pour les intimes), ainsi qu’un appel à projets national, doté de 1 million d’euros, pour soutenir des initiatives culturelles qui favorisent la maîtrise de la langue française, dont elle dit que c’est « une démarche d’intérêt général qui contribue à faire vivre l’article 2 de notre Constitution : La langue de la République est le français ». Il est urgent en effet de le répéter encore et encore…
Il paraît que le dernier opus de Perez, intitulé Saltos, est une démonstration de la capacité du français à s’accorder aux synthétiseurs et aux boîtes à rythme, c’est-à-dire à accompagner la chanson électro. Le journaliste, Thibaut Pézerat, tout à son extase, écrit que Perez « est de cette lignée d’artistes français qui allient une certaine grâce british à la poésie de la langue de Molière ». Perez, Saltos, british, Molière, c’est l’Europe quoi… La question, c’est : et si sa grâce était auvergnate, est-ce que sa poésie lui attirerait autant de louanges ?
Dernière brève : Laurent Nunez s’interroge dans la chronique « À dire vrai » sur l’intérêt et même l’opportunité qu’il y aurait encore à écrire sur les Prix littéraires, alors que d’un tel drame s’est passé en plein Paris. Il en voit quatre, dont je vous fais grâce (encore la grâce !). Mais il cite des faits et chiffres intéressants et rassurants : « Boko Haram » signifie « La lecture est un péché » ; Paris compte 75 bibliothèques et 750 librairies, 600 fictions ont été publiées en septembre 2015. Oui, Paris est bien « la capitale des abominations et de la perversion ». Alors, lisons !
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Données chiffrées sur le français, Livre | Lien permanent | Commentaires (0)
28/12/2015
Les passants (Jacques Chauviré, 1961) : critique
Il y a certains textes, certaines chansons, certains spectacles, qui donnent l'impression de "décoller" tout à coup, grâce à un mélange de crescendo, d'accelerando, de rage et d'éloquence.
Pour les chansons, je pense à certaines de Léo Ferré, pour les spectacles, j'ai le souvenir précis de celui de Jane Birkin avec un ensemble arabo-andalou, plutôt monotone dans sa plus grande partie et qui, au moment où elle prononçait un texte passionné sur sa tournée à l'étranger et sur la ferveur que déchaînait la chanson francophone, nous a emportés dans un final aux allures de maëlstrom. En musique, bien sûr, on ne peut que citer Ravel et son envoûtant Boléro.
Dans les textes, cette impression d'emballement tient beaucoup à la "période", au "phrasé" et sans doute faut-il aussi que le contenu aille du quotidien au lyrique. Eh bien, comme exemple, voici ce que je vous propose :
"L'hiver est là. Dans la ville, l'envol des voiles noirs des religieuses circulant à bicyclette rappelle le tournoiement inlassable des mouettes sur la Brévince. Mme Rivoire et Louis Colin ont repris leurs veilles auprès des mourants. Sophie Heitz, secrète, peut-être meurtrie, sanglée dans son imperméable clair, s'efface aux coins des rues et, discrète, gagne l'école où elle continue à enseigner. Elle aurait, dit-on, demandé un changement de poste. Aux sorties de usines, les mêmes files d'ouvriers à vélos sillonnent la rue Doumer et la rue de Paris. Si, un jour, l'un de ces hommes disparaît, un autre prend sa place et, dès le lendemain, s'intercale dans l'espace laissé libre. À Reploges, les Fracchini attendent l'enfant qui va naître. Il sera leur roi.
Les hommes, la mort, la vie montrent une obstination pareille. Dieu n'est ni mort ni vivant. Vivant, nul ne l'a jamais revu ; mort, nous ne parvenons pas à faire taire sa voix. Certains proclamaient l'avoir tué. Les choses seraient trop simples. Tout porte à croire qu'il est seulement à l'agonie, comme on l'a dit. Une agonie qui s'éternise, où la voix sempiternellement s'éteint, puis remurmure.
Allez donc parier que c'en est fait ou que la lumière est sur le monde !
Il faut continuer, comme l'a enseigné Camus, sans comprendre et sans savoir pourquoi. Le percepteur Laliette succède à Rivoire dans le remords, Truchaud relaie Maria Duvillard dans le cancer. Ainsi s'assure la relève du désespoir et de la mort. Ainsi voguent dans le même navire vers le même châtiment ceux qui se disaient coupables et ceux qui se croyaient innocents.
Allons, Camus, mon compagnon et mon maître, plus vivant que jamais, mus par une pitié que nous voudrions inépuisable - notre vraie raison et notre seule vertu - il faut, quoi qu'il arrive, reprendre notre route. Il nous reste encore des rues à parcourir, des escaliers à monter.
Dresse-toi de ta couche puisque je te crie que tu me manques et que tu es encore vivant. Et écoute. Écoute, ce soir encore, l'interminable chant funèbre, qu'à mi-distance de l'orgueil et de l'humilité, de l'amour et de la haine, entre la terre présente et le ciel entrevu, comme entre l'innocence et la faute, les hommes entonnent devant le cycle des saisons et la gloire du soleil".
C'est la dernière page du livre de Jacques Chauviré intitulé "Les passants". En la citant in extenso, je ne révèle rien du roman, qui raconte, avec des mots simples, la vie des petites gens dans une vallée industrielle, et surtout l'installation de leur troisième médecin, précédemment médecin du travail dans une usine des environs.
Son style dépouillé traduit parfaitement le parcours de ces "passants" qui tombent malades un jour ou l'autre, et les états d'âme, jusqu'au doute, de celui qui les soigne avec patience, dévouement et fatalisme.
Ce roman dense (320 pages en format de poche) n'est pas triste mais réaliste ; il se déroule comme la vie passe, comme un patient remplace l'autre, comme la rivière coule, comme le médecin arpente les rues et rentre chez lui chaque soir...
Albert Camus est en filigrane, et lui aussi disparaît, victime d'un accident de la route comme on sait, ajoutant un malheur aux autres.
Il est curieux de remarquer la fréquence des mots "émigrants", "passants" et "passage" dans l'œuvre littéraire de Jacques Chauviré, à tel point qu'il a terminé sa vie dans un immeuble qui s'appelait "Le passage"...
Pour conclure, un livre que je recommande, que je vais garder, que je ne relirai peut-être pas.
07:30 Publié dans Chauviré Jacques, Écrivains, Littérature, Livre, Roman | Lien permanent | Commentaires (0)
21/12/2015
Au revoir, Princesse...
"J'attends un signe. Rien ne vient. Et c'est l'enfer sur terre. Je sors de chez moi. Le fond de l'air en est modifié. Au premier pas dans la rue, j'embrasse l'espace des yeux. Je cherche, je scrute. Débute alors la plus triste des parties de cache-cache. Je regarde vers la place de Breteuil, je fouille l'horizon dans l'axe du métro aérien. Derrière le lycée Buffon, dix façades hétéroclites se chevauchent, montent à l'assaut d'un brouillard carbonique. Rien.
C'est pourtant par là qu'elle arrivait lorsqu'elle venait me voir en trottinant dans ses boots en daim. Ou elle m'attendait sur le banc en face de l'immeuble, les jambes croisées, un châle de cachemire sur les épaules. Le banc est vide, trop vide, le vide n'existe pas, il n'est qu'un signe.
Je traverse la pelouse de l'esplanade de Breteuil. Le ciel est bas, spongieux. Le vertige me prend, je presse le pas, afin de retrouver un peu de droiture. Arrivé à la station Duroc, l'angoisse passe dans mes cheveux. Tout est grisaille, attente, asservissement au néant.
…
J'en suis revenu au point de départ, celui d'une autre vie, maintenant. Le Paris d'avant Ava, celui qui me préparait le terrain et dépliait ses rues pour que je la rencontre un jour a changé. Mais la rue de Rennes descend toujours en pente douce jusqu'à Saint Germain des Prés. Tourner à droite, vers l'église Saint Sulpice. Longer les grilles du jardin du Luxembourg, rue de Vaugirard. passer devant le Petit Suisse (Le Rostand, c'est un peu plus haut). Entrer à la Sorbonne.
...
Cette vie, c'est le passé. Nous passerons tous, bientôt. Bientôt, c'est-à-dire, à l'échelle de l'éternité, dans moins d'une seconde, tout de suite, hier déjà, et tous les jours d'avant. La vie, c'est du temps aboli.
Restent les facilités que nous nous sommes accordées pendant toutes ces années, Ava et moi. De nous être quittés, nous nous sommes toujours retrouvés. J'aimerais n'avoir aucun doute sur la question : nous remarcherons ensemble dans les rues du temps".
Jean-Marc Parisis
Les aimants
(Éditions Stock, 2009)
Eh oui, avec la Princesse, c'est fini...
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Écrivains, Livre, Parisis Jean-Marc | Lien permanent | Commentaires (0)