30/08/2015
"Petit éloge des vacances"
Voici donc la réponse à la devinette VIII, que seule ICB a trouvée (c'était difficile).
Il s'agissait de "Petit éloge des vacances", de Frédéric Martinez (Gallimard, 2013 et Folio 5609). Cet été, sa distribution était particulière parce qu'il était offert pour tout achat de deux Folio !
Et c'est un beau cadeau de l'éditeur (ou du distributeur) car ce petit opuscule, compilation de 24 chroniques motivées par le début des vacances, Paris qui se vide et les Parisiennes qui vont partir à l'assaut des plages, est épatant.
Ce qui frappe au premier abord, c'est le sens de la métaphore : une passante l'inspire et le fait penser, par exemple, à une princesse irlandaise, et c'est tout le vocabulaire propre à l'Irlande - y compris les verbes - qui compose ses descriptions enflammées. Il a du style, le bougre.
Ensuite, le fil conducteur, ténu mais présent d'un bout à l'autre : ces filles magnifiques, énigmatiques, attirantes, l'emmènent à rebours sur les chemins de l'adolescence et de l'enfance (voir "Creuse, creuse"). Bien plus, elles lui suggèrent de véritables improvisations ; comme en jazz, la grille d'accords sert de structure et une note en appelle d'autres. Ainsi, baptisant Dorothy une passante de la rue de Venise, il imagine les promenades d'une Anglaise à Venise. C'est bien écrit, créatif, évocateur.
Enfin, bien sûr, il y a la nostalgie, de l'enfance, des gens et des paysages disparus, et le pincement de cœur quand on voit que l'automne s'annonce et que les vacances sont finies.
À part les extraits que j'ai donnés dans les billets précédents, j'ai aimé "Continent perdu", "Les derniers jours de l'été" et "La folle journée de Mme de B.".
PS. Profitons-en pour noter quelques points d'orthographe et de grammaire, et de vocabulaire.
- Page 48, F. Martinez écrit "Elle traverse des petites places...". J'aurais écrit "de petites places" (à ne pas confondre avec par exemple "au cœur des petites places".
- Mais approuvons l'accord des adjectifs de couleur : "Ces façades ocre ou blanches" (en effet, l'adjectif est invariable quand il correspond à un objet ou un matériau) et, page suivante, "L'eau est vert sombre, presque noir" (c'est le vert qui est noir !)
- Page 12, admirons ce quasi-jeu de mots, peut-être involontaire : "Recrus de désir, cuits de fatigue...".
- Et enfin, page 93, ce mot que je ne connaissais pas au masculin "greluchon" ; c'est l'amant de cœur d'une femme qui est par ailleurs entretenue par un autre homme.
Et l'auteur, me direz-vous ? Frédéric Martinez est né en 1973 (quel choc...) ; c'est un écrivain éclectique, qui s'est intéressé à Maurice Denis, Versailles, Paul-Jean Toulet, Claude Monet, Liszt, Maupassant et... Jimi Hendrix.
L'un de ses ouvrages m'a intrigué : "Aux singuliers, les excentriques des Lettres" (2010). Peut-être une prochaine lecture ?
07:02 Publié dans Littérature, Livre | Lien permanent | Commentaires (0)
29/08/2015
Creuse, creuse...
"Après venaient les genêts, les chênes et les châtaigniers, les vaches rousses et les eaux vives. Quand nous entrions en Creuse, mon grand-père , heureux de revoir ses terres d'enfance et d'y associer la mienne, ouvrait la fenêtre, nous invitait à nous emplir les poumons, à respirer l'air pur, c'est sûr, on n'en avait pas un pareil en banlieue.
L'odeur épaisse des foins coupés pénétrait dans la Simca qui prenait vaillamment les virages, parfois s'arrêtait pour laisser passer un troupeau de vaches qu'un paysan, casquette enfoncée sur la tête, faisait de son mieux pour conduire à l'étable. De temps à autre un tracteur se rangeait sur le bas-côté pour laisser passer notre équipage et je revois la Simca glisser sur les routes heureuses, vers lesquelles coulaient doucement des prairies grasses chargées de trèfles et de fleurs, je revois ces visages aimés, disparus, ces silhouettes infimes retournées à la terre, corps glorieux sautillants, saturés de couleurs dans l'assomption du super 8.
Je pourrais m'évader dans la lecture, mais passé un certain âge, les livres ne suffisent plus. J'ai fait l'expérience des secrets qu'ils contiennent, éprouvé que la terre est ronde et l'amour difficile. Ces rectangles de papier qui contiennent des mondes, s'ils demeurent des consolations, ne me délivrent plus si facilement leurs passeports pour le rêve. Les voyages imaginaires ont fait long feu ; les mardis soir sont une terre étrangère" (pages 60 et 61).
Bien sûr, je citerai mes sources dans un prochain billet (mais voyez la devinette X d'abord).
NDLR pour les jeunes lecteurs de ce billet :
- Simca : voiture des années 60-70 ; marque rachetée par Peugeot et tombée en désuétude.
- Super 8 : format de film argentique, successeur du 8 (qui était moins large) et prédécesseur des cassettes 8mm. Il fallait faire développer les films que l'on prenait en Super 8 (et qui durait quelques minutes seulement). Il y a toujours des inconditionnels de ce cinéma amateur.
- Les mardis soir : veille du mercredi, journée sans école, ce qui autorisait l'auteur à regarder des films à la télévision et donc à se coucher tard.
07:00 Publié dans Littérature, Livre | Lien permanent | Commentaires (0)
28/08/2015
La saison des incendies
"Les marronniers jettent leur ombre sur les trottoirs, tamisent l'éclat brusque du ciel qui pleut sur les femmes. Vêtues de robes légères, chaussées de tongs ou de sandales, de spartiates ou d'espadrilles, elles déambulent dans les rues, fredonnent sur l'asphalte la chanson de l'été.
...
La Sorbonne ferme ses portes, déverse sur le bitume les étudiantes promises aux vacances ; le grand mot est lâché. Alors tout se complique.
...
Parmi les fleurs, les passantes promènent leur corps en liesse et leurs yeux qui brasillent, allument des feux qu'elles ne veulent pas éteindre. Ainsi commence la saison des incendies.
...
De toute manière, il est trop tard. Les femmes s'enfoncent dans la chair de Paris, laissent dans l'air brûlant une balafre d'épices. Le poing fermé sur le sable de l'été qui me file entre les doigts, j'étreins le bleu des villes. Vêtues de tuniques, de jupes ou de corsaires, de minishorts ou de jeans effrangés, habillées d'un rien, les belles arpentent le pavé comme des compas fous. Je peine à ravauder, au fil de la plume, mon cœur en lambeaux que leurs jambes sans fin détissent.
...
Une brune en débardeur traverse la rue. Son visage fendu d'un sourire flibustier, sa démarche chaloupée, entraînent mon souffle dans son sillage. Elle semble déjà longer l'Océan : elle fera de beaux ravages, portera la peste au camping des cœurs brisés, dans la touffeur de l'Aquitaine ; empruntera bientôt les sentiers de la guerre, semés d'aiguilles de pin" (pages 11 à 13).Bien sûr, je citerai mes sources dans un prochain billet.
07:00 Publié dans Littérature, Livre | Lien permanent | Commentaires (0)