24/08/2015
Vacances (I)
"L'ennui est devenu l'ennemi public numéro 1 ; tous les moyens sont bons pour l'arrêter. C'est regrettable car il nous enseigne la patience nécessaire pour accueillir la joie.
Les vacances nous permettent de retrouver ce temps plein dont nous dépouille la frénésie ordinaire, qui nous voue à la fragmentation ; d'être cet homme cher à Walter benjamin qui un après-midi d'été, s'abandonne à suivre du regard le profil d'un horizon de montagnes ou la ligne d'une branche qui jette sur lui son ombre et respire l'aura de ces montagnes, de cette branche. Cet homme-là sait que les vacances aiguisent son regard et lui enseignent la liberté" (page 36).
"Les dunes de sable s'effondrent sous la pied ; le sentier coupe à travers champs, se perd sous les hautes herbes où s'engourdit la marche. Il faut désapprendre les allées ratissées qu'empruntent nos vies au cordeau : en vacances, le temps est nu. Le cri aigre des goélands, la rumeur stridente des cigales submergent la fureur des métropoles. L'air plus vif rompt les entraves que la routine posées sur nos âmes. Le ciel se rapproche de nous. Nous voici libres. Ce brusque affranchissement nous grise et nous effraie ; la belladone se mêle aux trèfles et aux sainfoins. Tapis au cœur du temps comme dans une combe, nous faisons le gros dos sous la lune et reprenons peu à peu possession de nos corps qu'ébrèchent les travaux et les jours.
Loin du béton, dans cette vacance qui nous rend à nous-mêmes, quelque chose doit arriver. L'impérieux besoin d'y inscrire comme sur une page blanche un amour, un souvenir, nous saisit. Le grain du monde crisse sous nos mains. le bois craque ; les sources chantent. des odeurs fortes montent de la terre trempée d'averses. Cloîtrés dans nos demeures tapissées d'écrans, soumis au règne de l'immédiat, nous ne savons plus regarder ni sentir ; nous perdons l'habitude d'écouter, de goûter et de toucher" (page 34).
Bien sûr, je citerai mes sources, dans un prochain billet.
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23/08/2015
Les belles de Beaubourg
À AL.
"Les belles de Beaubourg, pareilles à des fleurs qui marchent, pavoisent le parvis du Musée national d'art moderne, éclosent par centaines sur la place Georges Pompidou. Elles entrent dans l'été comme dans leur bain. Elles arrivent de partout : de la rue Quincampoix, de la rue Saint-Martin ; de la rue Rambuteau, de la place du Châtelet.
Médusé, je me tiens au centre du monde. Je contemple ces contingents d'amazones épandus sur la ville.
Elles quittent leurs appartements bourgeois ou leurs chambres de bonnes, franchissent les porches des immeubles et montent les escaliers du métro, glissent en douceur dans la gueule de juillet.
L'été est déclaré ; ses guerrières passent à l'abordage. Un baril de rhum ne suffirait pas pour étancher la soif qu'elles me ravivent au corps. Le ciel de Paris descend dans ma gorge. Le soleil pétille.
...
Je persiste à piquer d'adverbes les cheveux défaits ou coiffés à la diable de ces princesses dépenaillées, à frôler du bout des lettres leur peau qui s'ensoleille. Elles déclinent indifférentes l'alphabet du désir.
Celle-ci, aux hanches pleines, aux jambes bien galbées, semble une naïade de pierre échappée de la fontaine des Innocents, faite chair pour charmer les mortels ; cette autre, le pas vif, lunettes d'écailles sur le nez, sort des Archives nationales : Aphrodite en Converse" (page 30).
Bien sûr, je citerai mes sources, dans un prochain billet.
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22/08/2015
À une passante...
À M.
"Elle a noué ses cheveux auburn dans un chignon tout près de se défaire, effet charmant de la hâte ou fruit d'un art consommé. Le temps n'est pas si lointain où sortir en cheveux paraissait inconvenant. Seules les femmes du peuple, les prostituées ou les pauvresses allaient les cheveux lâchés. Les honnêtes femmes ne se laissaient voir ainsi que dans la plus stricte intimité, ne concédaient ce privilège qu'à leur mari... ou leur amant.
...Rue de la Grande Truanderie, une beauté de grand chemin détrousse les passants, débusque les hommes sur les brisées du divorce. Elle porte en sautoir les cœurs brisés de ses amants, semble aller à l'amour comme on va à la guerre. Son sourire promet du sang, de la sueur et des larmes. La volupté est une possibilité ; la défaite une certitude" (page 53).
"Sa tunique de soie, pourtant légère, pèse sur sa peau. Ses cheveux bruns et drus, ramenés en chignon, découvrent sa nuque qui par-delà les siècles appelle les baisers. C'est l'été 79" (page 69).
Bien sûr, je donnerai mes sources dans un prochain billet !
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