10/07/2015
Le livre que la bibliothèque ne contiendra jamais
À AL.
"J'ai toujours eu le blanc en horreur. Quand je pense au blanc, j'ai froid. Je vois une page où les mots ne sont pas écrits. Une bibliothèque aux rayonnages vides. Pourtant il faudrait que j'apprenne à aimer cette couleur, comme il faudrait que je supporte la vue d'un feuillet sans signes et cesse d'empiler des livres dans ma bibliothèque.
Je l'aime et la déteste ma bibliothèque. Elle me rend légère mais souvent me leste. Je la trouve à la fois belle et hideuse. Parce qu'elle me ramène à moi. À mon visage.
Lucian Freud a dit : Tout est autobiographie et tout est portrait, même si ce n'est qu'une chaise. En peignant ma bibliothèque, j'ai livré une image de moi. Et j'ai vu mes manques, tout ce que je ne sais pas.
Il faudrait composer avec ses blancs, cesser d'avoir peur. Admettre que l'histoire n'est pas écrite et que l'absence fait de nous des êtres libres, pouvant ouvrir la porte et disparaître derrière un mur de livres pour aller chercher celui que la bibliothèque ne contiendra jamais".
Ainsi se termine "Ma bibliothèque" de Cécile Ladjali (Seuil, septembre 2014), un livre touffu, passionné, bourré de culture et, en conséquence, pas toujours explicite ni clair. Une promenade qui commence par les rayonnages de sa bibliothèque et se termine par des œuvres qu'elle aime, en passant par un retour aux thèmes de "Mauvaise langue" (l'enseignement, la transmission, le manque de recul et de silence, les outils modernes de communication...), mais toujours en flânant, en sautant d'un sujet à l'autre, sans guide apparent.
Impressionnant, à lire par les passionnés de littérature et de lecture.
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02/07/2015
Bibliothèque mazarine
Dans son livre "Ma bibliothèque", voici comment Cécile Ladjali décrit la bibliothèque de la Sorbonne, là où elle a préparé son agrégation, là où elle a lu toute "La Recherche" et là où, après des travaux d'agrandissement, elle a été invitée à lire un texte lors de sa réouverture.
"Car malgré ces bouleversements manifestes, je reconnaissais les sortilèges qui ont fait les très riches heures de la bibliothèque. Son odeur, sa lumière, douce invite à l'étude, et surtout son silence éloquent. Ils parlaient tous dans le cadre des grandes fresques : François Ier et l'imprimeur Estienne, Richelieu consultant les plans avec son architecte. Les étudiants, plume piquée à l'esbroufe, qui donnait aux silhouettes rouges ou noires des allures faustiennes. Ils toisaient, ces jeunes gens, les bustes marmoréens des conservateurs qui veillaient sous le grand plafond où volent les allégories réunies de la Poésie et de la Science. En son syncrétisme aride, l'esprit du lieu était là.
Il y eut les mots inscrits dans le marbre, ceux tracés à l'encre verte par les moines copistes, puis ceux confiés au vélin des in-quarto. À présent, ils courent, les mots, sur les écrans de cristaux liquides.
Mais les fables sont toujours les mêmes, comme les lecteurs, amoureux, immuables, installés dans leur dévotion. Celle vouée aux signes, pourvoyeurs de l'intelligence et de la beauté".
"… Car une bibliothèque est un lieu de mémoire mais aussi un sanctuaire où s'énonce et se vit le principe de transmission auquel j'accorde tant d'importance. Les livres nous lisent plus que nous ne les lisons, comme nous nous abandonnons à la douce tyrannie d'un professeur ou à la terrifiante emprise qu'un lieu exerce sur notre cœur".
"… J'ai lu, écrit, appris, beaucoup douté, dans cette bibliothèque. Et j'ai eu le sentiment, le soir de l'inauguration, en revenant sous les grands ciels peints pour en taquiner un peu les allégories, de regarder Méduse en face pour la première fois, avec la douce confiance néanmoins de ne pas être changée en pierre".
Très belle page 77, non ?
PS : Esbroufe : comportement fanfaron
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01/07/2015
Dieu, mais que Natacha écrit bien !
Donc j'ai attaqué la lecture de "Ce pays qu'on abat" (Plon - Le Figaro, 2014) de l'irrésistible Natacha Polony. C'est la compilation des billets de son blogue entre 2009 et 2012 (je vous en ai déjà parlé) d'une part et de ses chroniques dans le Figaro entre 2012 et 2014 d'autre part.
Je te le dis tout de suite, public, ce pavé de 362 pages se lit comme on boit une bière après l'effort mais il me pose un double méga-problème : d'abord je suis d'accord avec quasiment tout ce qu'elle écrit - et cependant je ne peux quand même pas recopier dans mon propre blogue des pages entières du sien…- et ensuite ce qu'elle a écrit n'est plus à écrire - et donc sa maîtrise de l'exercice met en question la pertinence et l'opportunité du mien (d'exercice)...
Et d'autant plus que je retrouve les miennes dans certaines de ses interrogations. Par exemple : "Certains commentateurs de ce blog trouvent qu'il y manque quelques remarques positives, quelques raisons de se réjouir. N'étant pas particulièrement douée pour l'optimisme béat, je pratique plus volontiers, il est vrai, une forme de critique qui pourtant dessine en creux des affinités électives". De mon côté, j'ai bien commis quelques billets intitulés "Émerveillements" mais je suis sûr que tu t'es déjà dit, public, que j'exagérais l'importance à consacrer aux dégâts du franglais et que ce blogue pourrait être plus "souriant"...
Elle a alimenté son blogue pendant trois ans mais tous les dix jours seulement. Moi, je vais souffler sa première bougie… aujourd'hui. En fait sa trois cent soixante quinzième ! Vais-je tenir trois ans ? Le faut-il ? Ce qui est sûr, c'est que le Figaro ne me proposera pas une chronique, ni quotidienne ni hebdomadaire.
Et en plus - cela fera plaisir à FPY - elle adore le dessinateur Fred et son Philémon. Nous aussi !
Trêve de bavardage. Seule solution face à Natacha : faire la promotion de son bouquin, inciter mon public à l'acheter et aller y voir, et pour cela, se permettre de citer quand même quelques bonnes pages (j'ai bien fait la même chose pour celui de Cécile Ladjali, avec moins de circonvolutions…). Mais bon, encore une fois, alerte-moi, public, si tu trouves que ce blogue se satisfait de peu en paraphrasant (en toute transparence, reconnais-le) des textes publiés et facilement accessibles. L'inversion de la courbe (de la fréquentation du blogue) qui est repassée depuis plusieurs jours sous la barre symbolique des 100, est pour moi une alerte… Que vos commentaires m'éclairent !
Revenons à notre Natacha préférée. Morceaux choisis.
"L'éducation n'est pas une illumination, elle est un cheminement. Elle ne relève pas du catéchisme, elle relève du magistère. Elle repose sur la relation de confiance entre les élèves et le maître…".
"… On se prête à rêver d'une route ensoleillée, qu'ombragent quelques platanes centenaires, et qui mène à la porte d'un village nous racontant les générations qu'elle a vu passer sous son arche. On sent les odeurs de foin coupé dans le bourdonnement des abeilles, quand la chaleur monte de la terre…" (à propos d'une lettre de Georges Pompidou, Président de la République, à Jacques Chaban-Delmas, protestant contre l'abattage systématique des platanes le long des routes).
"Une époque qui adule le présent au point d'interdire à quiconque de regretter ne serait-ce qu'une part infime du passé, est une époque totalitaire. Ce qu'elle déteste par-dessus tout, ce sont ces mauvais coucheurs qui ne croient pas qu'ils vivent dans les meilleurs des mondes possibles, ceux qui par leur amour d'un lieu, d'un petit geste oublié, d'un visage ou d'une habitude, résistent au lavage de cerveau publicitaire d'une société qui nous vend du bonheur sur écrans plats" (à propos de la nostalgie).
"Ce que nous apprend la fréquentation des grandes œuvres de l'esprit humain, de l'Iliade aux Misérables, en passant par le Conte du Graal ou les Sermons de Bossuet, c'est ce que nous partageons d'angoisse et de bonheur, d'espérance et de rêves, avec des hommes qui ont vécu en d'autres temps et d'autres lieux" (à propos de la violence).
"Il faut penser une éducation des filles centrée sur l'identification à des modèles valorisants et l'accès à la culture classique, notamment dans sa dimension française, c'est-à-dire galante , où les femmes trouvent la liberté par le langage" (à propos de l'émancipation des femmes).
"On voit mal comment on ferait comprendre aux peuples de ce continent que l'Europe est leur avenir si l'on refuse de leur rappeler qu'elle fut leur passé" (à propos de l'Europe).
"Entre les adorateurs du libéralisme économique qui ne comprennent pas que l'extension du marché à toutes les strates de la société - éducation, alimentation, production du savoir, etc. - détruit les valeurs dont il prétendent se réclamer,
et les adorateurs de l'extension des droits individuels qui ne voient pas que la destruction des anciennes institutions sert l'extension du parché qu'ils croient combattre,
partout règne l'incohérence au nom d'une hémiplégie politique" (dans sa préface).
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)