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07/11/2015

Sur quelques points de grammaire et de vocabulaire… (I)

Je me suis déjà insurgé contre la forme "pour ne pas que", au lieu de la forme correcte "pour que… ne pas". Dans ma naïveté, j'en fixais la date d'apparition à 1994, c'était le moment où, pour la première fois, je l'avais identifiée dans le propos d'un professeur de l'enseignement supérieur, excusez du peu.

Quelle ne fut pas ma surprise de lire, dans le "Manuel pratique de l'art d'écrire" de M. Courault, datant de 1956 (!), le chapitre "Mots mal placés dans la négation" (page 22), dans lequel le paragraphe 28 dit clairement : "Évitons le tour incorrect pour ne pas que, corruption de pour que… ne pas". La cause est entendue, sauf que cette corruption perdure...

De fil en aiguille, j'ai lu (relu) le chapitre "Solécismes" ; il contient des mises au point, des recommandations et surtout des réprimandes, dont certaines n'ont plus lieu d'être aujourd'hui (à ma connaissance…) mais dont beaucoup d'autres sont encore, malheureusement, d'actualité.

Quand je pense que l'un de mes grands-pères, disait toujours "Ce gars-là reste à Travexin", alors que "rester, c'est stationner dans un lieu, sans y résider nécessairement" !

À mon avis, il manque à la liste de cette page 15, le mot "perquisitionner". Les journalistes l'emploient à longueur de journée (et de journaux) avec un COD : "Le juge a perquisitionné les bureaux de M. Sarkozy". Or "perquisitionner" est un verbe intransitif (Hachette, 1991).

On lit aussi : "À aucun temps de la conjugaison, être n'est synonyme d'aller". Or combien de fois entend-on aujourd'hui : "Il a été à Paris" ! M. Courault cite Corneille : "Il fut jusques à Rome implorer le Sénat", pour mieux souligner que Voltaire a écrit :"Il y a plusieurs personnes qui disent : Je fus le voir ; je fus lui parler… C'est une faute par la raison qu'on va parler, qu'on va voir ; on n'est point parler ; on n'est point voir". La cause est entendue.

Navire dans la tempête.jpg

Et pour terminer, du moins dans ce billet, l'anacoluthe.

Récemment, à propos du livre "Passage des émigrants" de Jacques Chauviré, j'ai pointé des phrases que je considérais comme bancale, parce que le sujet de la principale ne correspondait pas à celui de la relative. Par exemple : "Longtemps hébergé dans les dortoirs, l'infirmerie aurait été un havre de paix" et aussi "Situés au sud de l'estuaire, aucun mur ne les séparait de la ville". C'est une construction discontinue, que M. Courault pardonne à Bossuet ("Après s'être sauvé des eaux, une autre tempête lui fut fatale"), au motif que de tels auteurs sont "emportés par la vigueur de leur pensée et sont sûrs d'être entendus de lecteurs avertis" et que "il faut la caution du génie pour autoriser de telles licences avec la syntaxe".

Et le génie de Racine ne fait pas de doute :

"Ce Dieu, depuis longtemps votre unique refuge,

Que deviendra l'effet de ses prédictions ?"

 

 

 

 

27/10/2015

Ma vie d'hôtesse (dans une compagnie à bas prix)

Sous le titre "Ma vie d'hôtesse low cost", Marianne a consacré, le 9 octobre 2015, un long article à Sofia Lichani, hôtesse de l'air chez Ryanair pendant cinq ans et qui a démissionné en janvier 2011. Elle a publié ses souvenirs dans "Bienvenue à bord !" en collaboration avec Thomas Rabino (Les Arènes, octobre 2015).

Pas besoin de reproduire le fond de son témoignage ni le contenu de l'article : tout le monde a compris comment ces compagnies aériennes réussissent à proposer des prix bas. "J'ai bossé 1300 heures à l'œil", "Le compteur (des heures de travail) tourne quand l'avion quitte le sol mais pas pendant l'accueil des passagers, le nettoyage de la cabine", etc.

Ryanair.jpg

Intéressons-nous plutôt à la langue de ce métier et conséquemment, à la langue de l'article du journaliste Arnaud Bouillin.

Quand Sofia ne travaille pas, on parle de stand-by home ou de stand-by airport.

Ses congés sans solde (si Ryanair manque de clients...) s'appellent unpaid leave.

Les briefings ne sont pas du temps de travail.

Elle doit payer elle-même son Airport ID.

Pendant ses quatre premiers vols, elle était en surnombre, supernumerary.

Sur son planning, on voit la différence entre le flight time et le flight duty period.

Elle trimbale ses affaires personnelles dans son crew bag. Normal, elle fait partie du cabin crew.

Si elle ne répond pas aux convocations sur téléphone mobile, c'est un no-show. Elle sera convoquée à un entretien disciplinaire, gentiment appelé meeting.

Si son average spend n'augmente pas, elle écopera d'un warning. Ou sera demoted.

En ce moment, certains voudraient que l'on ratifie la Charte européenne des langues régionales (voir mon billet à ce sujet) et que donc on puisse exiger des documents administratifs dans une autre langue que le français... Passons sur le fait que les finances du pays sont à plat. Mais c'est inutile. Nous sommes déjà bilingues (français-globish) !

Chez Uber, il y a au moins la créativité qui a consisté à utiliser les nouvelles technologies, maintenant à disposition et permettant la mise en relation, le nomadisme, la mobilité, l'asynchronisme. Chez les compagnies aériennes à bas prix, rien de tout cela : c'est le retour en arrière, à la précarité salariale, au droit de se taire, aux mesquineries patronales (les salaires payés le 10 du mois...), à l'arbitraire (les salaires sont obligatoirement versés sur un compte dans une banque irlandaise, le contrat de travail peut être modifié en cours de route..).

C'est beau la mondialisation et l'avion pour tous... Ce n'est pas une révolte, Sire, c'est une révolution.

 

25/10/2015

Oh, fille de Garcia-Marquez et de la mondialisation !

L'autre jour, en cours, j'arrivai au chapitre du pilotage de projet et, plus précisément, à la nécessité (à l'obligation) de rendre compte au commanditaire de l'avancement des travaux.

J'employai le substantif "reddition de compte", qui correspond au verbe "rendre compte", tout comme on parle de la reddition d'une armée qui s'est rendue... L'histoire personnelle qui me lie à ce terme est en elle-même amusante, puisque je l'avais découvert sur le site de l'office belge de terminologie - à vrai dire, à la rubrique "finances-contrôle de gestion" - comme traduction correcte de l'horrible reporting, dont tout le monde abuse. Mon obstination à l'utiliser dans le langage courant, et en particulier en gestion de projet, a paru curieuse, et je dois dire que je n'ai pas eu beaucoup de succès auprès de mes collègues...

Mais revenons aux étudiants.

Ou plutôt à une étudiante qui m'a demandé ce que signifiait ce mot "reddition de compte". Ce fut pour moi l'occasion d'expliquer son origine, puis d'enchaîner sur l'inutilité d'utiliser le franglais, alors même que, la plupart du temps, des équivalents français existent ("Cherchez et vous trouverez" !).

Les choses en seraient restées là si une autre étudiante, avec un délicieux accent espagnol et un non moins charmant sourire ironique, n'était intervenue pour s'insurger contre cette préoccupation "vaine et dérisoire" (ce ne sont pas ses mots à elle mais c'est ce que j'ai ressenti de son argumentation...), à l'heure de la mondialisation. "Il y a des choses plus graves, quand même !" a-t-elle conclu.

 

Colombienne (licence pro NTIC).jpg

Interruption, échange courtois avec Loréna, qui est Colombienne et parle très bien français. Je rappelle à la classe, en passant, que la Colombie, pour ceux qui ne voyagent pas aussi loin, c'est Gabriel Garcia-Marquez, Prix Nobel de littérature 1980, auteur des inoubliables "Cent ans de solitude" et "L'amour au temps du choléra".

 

Colombienne miss_univers_2014___la_colombienne_paulina_vega.jpg

(la Miss Univers 2014, Paulina Vega est Colombienne...)

 

Que lui répondis-je en mots choisis ? Que, bien sûr, il y a plus grave dans la vie que d'employer le franglais reporting mais que la question est simplement de parler et d'écrire une langue belle et précise, qu'elle soit le français, l'anglais ou l'espagnol... que le parler franglais a pour cause tantôt le snobisme (on veut faire croire...), tantôt la paresse (on répète ce qu'on a entendu sans chercher le mot juste), tantôt l'ignorance (on ne sait pas trop ce qu'il y a derrière, alors on balance un mot à consonance américaine)... et que cela n'a rien à voir avec la mondialisation, puisque, au début du XXème, Proust raillait déjà l'anglomanie à travers Madame Verdurin...

J'ai repensé à cette échauffourée ce matin en écoutant l'excellente chronique d'un philosophe sur France Inter, à propos du succès, en France et dans nombre de pays, des aventures d'Astérix le Gaulois. Il y était dit que cette apologie précoce (1959 !) de l'exception culturelle, bien loin de prôner le repli des cultures sur elles-mêmes, les incitaient au contraire à s'ouvrir et à se frotter aux autres : Astérix va bien en Égypte, en Grèce et ailleurs. C'est ce que diront aussi, d'une autre manière, Claude Lévi-Strauss et plus récemment Mario Vargas-Llosa. Bien sûr, la recherche d'une certaine pureté de la langue peut faire dériver vers l'ethnocentrisme, le protectionnisme, le chauvinisme, le nationalisme ou d'autres positions plus critiquables. Mais, disons-le, vive l'anglais, l'allemand, l'espagnol et les six mille langues qui coexistent encore sur la planète, et à bas les charabias comme le globish et le franglais, fruits pleins de vers que veulent nous imposer les marchands et les néolibéraux obsessionnels ! Et vive aussi les langues régionales (mais sans droits juridiques ni administratifs).

Et honte aussi aux journalistes qui croient attraper les gogos, par exemple en promouvant des cahiers en papier recyclé "au look délicieusement vintage, parfaits pour noter ses bonnes résolutions" (14 euros le carnet XXL, source Marianne du 8 janvier 2011, page 93). Et ces cahiers à quoi ressemblent-ils donc sur les photos ? À des cahiers, dont la couverture est entièrement occupée par les inscriptions en très gros caractères "RESCUED PAPER NOTE BOOK" et "RESCUED PAPER SCRAPBOOK"...

Enfer et damnation !