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25/02/2016

"L'instant présent" (Guillaume Musso) : critique

Voyons maintenant le cas de notre deuxième chouchou des libraires (celui des plages et des trains de banlieue) : Guillaume Musso.

Je viens de lire son dernier livre « L’instant présent ». 

Phare.jpgDans la veine de sa « deuxième manière » (voir le billet que je lui ai consacré le 21 septembre 2015), il s’agit d’un suspense psychologique, son héros – ordinaire – étant placé dans une situation extraordinaire, à savoir l’obligation de vivre vingt-quatre années de sa vie en vingt-quatre journées seulement. 

Le style de G. Musso est plus soigné que celui de M. Levy, bien que ses descriptions ne soient pas plus riches ni ses études de caractère plus fouillées ; ici encore, l’essentiel est de dérouler à un rythme soutenu une histoire à rebondissements, de telle façon que le lecteur ne lâche pas le livre avant sa chute (cela arrive à la montée ou à la descente dans le RER…).

Comme son précédent roman (« Demain »), il se passe aux États-Unis ; à croire que la référence au modèle américain est un passage obligé (« Elle et lui » se passe à Paris mais ses héros sont américain et anglais…). Cela étant, par sa connaissance de New-York et par sa façon d’émailler son texte de termes américains, G. Musso réussit à créer cette ambiance. 

En lisant, on pense à Jean-Christophe Grangé, la violence en moins, et ce n’est pas étonnant puisque G. Musso lui-même le cite comme l’un de ses modèles. 

L’histoire est délibérément invraisemblable, c’est la loi du genre puisque nous sommes dans le « fantastique ordinaire » mais, une fois que l’on en a accepté les prémisses, il est vrai qu’on a envie d’en connaître l’épilogue. Du coup, les 370 pages grand format se lisent aussi en deux ou trois jours ; c’est du « consommable » mais bien construit (autant de chapitres que de journées, avec malheureusement des paragraphes numérotés 1, 2, 3, etc. qui donnent l’impression d’un cours) et écrit correctement. Il paraît, G. Musso dixit, qu’on peut (doit ?) lire ses livres à deux niveaux : les péripéties d’abord, la réflexion philosophique ensuite.

Bon, c’est vrai que le chemin de croix de ce jeune Américain obligé de consommer 24 années de sa vie en 24 jours, donne le vertige en nous faisant réfléchir sur le temps, sur sa relativité surtout, car son entourage, lui, voit bien passer les 24 années l’une après l’autre… 

Notre critique, Alexandre Gefen s’était esbaudi de trouver dans le roman des citations ou des évocations de Saint Augustin, de Baudelaire et de Shakespeare… Sans être aussi enthousiaste, je reconnais que les pensées qui sont mises en exergue de chaque chapitre sont bien choisies et sont remarquables ; elles contribuent à sortir l’ouvrage de l’ornière des romans de gare.

« Où pouvais-je m’enfuir en me fuyant moi-même ? »

(Saint Augustin)

« L’expérience, ce n’est pas ce qui arrive à un homme, c’est ce qu’un homme fait avec ce qui lui arrive »

(Aldous Huxley)

« … j’ai songé alors que ce qui est violent, ce n’est pas le temps qui passe, c’est l’effacement des sentiments et des émotions. Comme s’ils n’avaient jamais existé »

(Laurence Tardieu)

« Aimer est une aventure sans carte et sans compas, où seule la prudence égare »

(Romain Gary)

« La route de l’enfer est si bien pavée qu’elle ne réclame aucun entretien »

(Ruth Rendell)

« Le passé est imprévisible »

(Jean Grosjean »

et dans la même veine

« Je me demande ce que le passé nous réserve »

(Françoise Sagan) 

Plus prosaïques, les manchettes de journaux lues par notre héros datent l’avancement de l’histoire : accident de voiture de Lady Di, élimination de la France en Coupe du monde de foot en Corée, etc. Ce n’est pas déplaisant. 

Concernant l’écriture, j’ai quand même trouvé quelques fautes :

  • page 102 : « Alors que j’essuyai une larme sur ma joue, je ne pus… » ; j’aurais écrit « Alors que j’essuyais… » ;
  • page 102 : « … j’essayais néanmoins de m’imaginer avec un bambin… ou d’aller le chercher à l’école » (phrase bancale) ;
  • page 119 : « le premier coup de matraque du vigile m’atteint à l’abdomen et me coupa le souffle » ; comme « couper » est au passé simple, « atteindre » doit l’être aussi. Or le passé simple de « atteindre », c’est « atteignit » car il se conjugue comme « peindre » !
  • page 166 : « Disons qu’elle s’en est accommodée » ; les verbes pronominaux, réfléchis ou non, sont ma bête noire, comme ils le sont pour Bernard Pivot ; mais j’aurais écrit « elle s’en est accommodé » ;
  • page 167 : « tandis que je ramassais sur le sol… je le regardai traverser le parc » ; j’aurais écrit « regardais » car « regarder » est une action d’une certaine durée ;
  • page 171 : « Je n’ai aucun souvenir de ce qu’il s’est passé ensuite » ; je sais bien que les deux formes existent et qu’on a le droit de choisir selon le sens mais j’aurais écrit : « … de ce qui s’est passé » ; G. Musso emploie cette formule à plusieurs reprises ;
  • page 209, plus ambigu : « Soudain, je commençais à avoir des doutes… » ; normalement, l’imparfait convient pour une action longue, répétée ; or « Soudain » indique que c’est instantané ; j’aurais écrit « Soudain, je commençai à avoir des doutes » ;
  • page 212 : « les meilleures lasagnes qu’elle eut mangées de toute sa vie » ; le participe passé est bien accordé mais « eut » est mal écrit ; il mérite un accent circonflexe car « qu’elle eût mangées » est un plus-que-parfait du subjonctif ; c’eût été différent si G. Musso avait écrit « quand elle eut mangé ses lasagnes… » ! 
  • page 308 : « pour ne pas qu’il me voit convulser » ; l’horreur ! D’abord le verbe « convulser » n’existe pas ; ensuite, on peut écrire « pour ne pas voir mes convulsions » ou « pour qu’il ne voie pas mes convulsions » mais jamais « pour ne pas qu’il… ». À la décharge de G. Musso, cette faute était déjà signalée en 1956 (Manuel pratique de l’art d’écrire, M. Courault, page 22). En plus troisième horreur, « pour qu’il ne… » doit être suivi du subjonctif. En effet, en pareil cas, nos instituteurs nous recommandaient de remplacer le verbe du premier groupe par un du troisième. Je choisissais souvent « cuire », donc « pour qu’il ne cuise pas », CQFD.

Mais G. Musso écrit avec raison :

  • page 202 : « nous ne pûmes pas aller très loin ? Nous nous assîmes donc sur l’un des bancs… » ; chapeau !
  • page 307 : « … je l’ai entendue dire à quelqu’un… qu’il s’occupait bien d’elle » parce que l’on peut remplacer « dire » par « disant » (à savoir : « elle disant qu’il s’occupait bien d’elle », « elle » est bien le sujet de « dire ») ;
  • idem page 319 : « je ne l’avais pas vue grandir » (« elle grandissant » ; « elle » est bien le sujet de « grandir »). Voir H. Berthet, « Résumé d’orthographe », page 23 ;
  • « anagramme » est bien féminin (page 327).

Voyons pour conclure ce qu’en dit notre critique de Marianne : « un polar métaphysique, écrit sans effort de style mais cultivé et ambitieux, et habile dans sa manière de nous faire réfléchir sur l’inauthenticité de notre rapport au temps (NDLR : ?). Une leçon de vie consolatrice, pas plus idiote que celle que l’on trouve dans nombre de récits plus chic. La grande surprise de cette sélection ».

Faut pas exagérer !

Livre prenant ? Oui. À recommander ? Non. À garder ? Non.

Lecture réservée à ceux qui aiment le fantastique et qui veulent se changer les idées sans se fatiguer.

22/02/2016

"Elle et lui" (Marc Levy) : critique

J’ai toujours été sceptique (pour ne pas dire méprisant) et, en tous cas, intrigué par le succès (commercial) de romanciers comme Marc Levy et Guillaume Musso, régulièrement présentés, l’un ou l’autre, comme « l’écrivain français le plus lu à l’étranger », « le roi des tirages et des chiffres de vente », « le préféré des Français », tandis que, bien sûr, les amateurs de littérature, les élites et les snobs les ignorent superbement. Ce débat entre l’insignifiance qui ferait vendre et le génie qui condamne au confidentiel est vieux comme le monde ; dans le cinéma, il a entre autres longtemps pénalisé des acteurs comme Louis de Funès, dans la chanson des gens comme Jean-Jacques Goldmann… 

Mais pour en revenir aux livres, voici que je tombe, début juillet 2015, sur un article de l’hebdomadaire Marianne intitulé « Que valent vraiment les best-sellers ? », dont j’ai rendu compte dans mon billet du 6 septembre 2015. Que disait cet article ? En substance, que les opus de ces vedettes populaires n’étaient pas si mauvais ni si inintéressants que cela…

Le journaliste avait lu « Elle et lui » de Marc Levy et « L’instant présent » de Guillaume Musso, et leur trouvait des qualités. Ni une ni deux, j’ai acheté ces deux livres et, ça y est, je les ai lus !

Examinons d’abord le cas de « Elle et lui ».

Il s’agit d’une histoire bourrée d’invraisemblances et de coïncidences tellement favorables qu’elles en deviennent invraisemblables. Elle se lit en deux ou trois jours sans effort vu que l’écriture en est dépouillée au point d’en être quelconque. C’est du roman d’aventure (sentimentale) écrit au kilomètre, sans recherche ; Maurice Leblanc, dans le genre, faisait mieux car il évoquait au moins sa Normandie natale ; et ses intrigues étaient amusantes, c’était du gentil roman policier.

Le livre de Marc Levy ne se veut pas non plus humoristique ni burlesque ; heureusement car il n’arriverait pas à la cheville de « Bienvenue à Skios » (Michael Freyn) et encore moins des désopilantes « Vacances anglaises » (Joseph Connolly), monument du non sense à l’anglaise. En 360 pages de petit format (Versilio), on trouve une seule phrase drôle, page 137 : « …la nuit était claire, son humeur joyeuse et sa voiture à la fourrière » !

À certains moments, vers la fin, quand son héros cherche la femme de sa vie qui a disparu, on pense à « Plonger » de Christophe Ono-dit-biot. Mais c’est fugitif.

Elle et lui film.jpg

 

Passons sur le côté « bobo » des situations et des comportements de ses personnages ; luxe, calme et volupté, grandes marques, cosmopolitisme (dont la Corée du Sud, pour faire moderne), billets d’avion en première classe achetés à la dernière minute, vie insouciante et passe-droits des gens connus … Admettons que le seul but de Marc Levy soit de faire rêver ; on n’est pas loin de Paris-Match. 

 

Est-il au moins écrit correctement ? pas sûr, jugez-en… 

  • page 33 : « Elle avait demandé à Paul de s’isoler dans son bureau » (au lieu de « Elle avait demandé de pouvoir s’isoler ») ;
  • page 33 : « Barbée par les propos de son interlocuteur, Lauren… » (au lieu de « Ennuyée par ») ;
  • page 43: « Maureen, l'assistante de l'agence, avait préparé une revue de presse avec amour » ; ici pas de faute de français mais une formule peu pertinente : prépare-t-on une revue de presse avec amour ?
  • Page 76 : « … et je ne sais pas pourquoi, mais je me sentirai gêné si elle l’apprenait » (au lieu de « je me sentirais ») ;
  • Page 133 : « … on apprend juste à le connaître de mieux en mieux » (au lieu de « on apprend seulement à ») ;
  • Page 173 : « Si tu t’installes à Séoul, c’est moi qui viendrais te voir à l’automne » (au lieu de « qui viendrai ») ; aurait-il un problème avec le futur et le conditionnel ?
  • Page 255 : « Je n’ai pris aucunes affaires » (au lieu de « aucune affaire ») ;
  • Page 255 : « Non, je n’ai pas faim, je veux juste dormir » (au lieu de « seulement dormir ») ;
  • Page 262 : « N’arrivant pas à joindre Mia, elle lui texta un message » ; sans commentaire ;
  • Page 264 : « La voiture roula à toute berzingue ».

Bon, ce n’est pas de la littérature, c’est un livre sans intérêt. 

Ah, j’oubliais ! Voici ce que le journaliste Alexandre Gefen disait de « Elle et lui » (je passe sur son résumé de l’intrigue) : « Des personnages stéréotypiques (NDLR : ça veut dire quoi ?), un récit bien ficelé, avec la fluidité d’une série américaine (NDLR : c’est une référence ?). Deux adultes paumés entre plusieurs histoires d’amour, un roman bricolé à coup de SMS sur les reconstructions amoureuses (NDLR : admirez la syntaxe…), joyeux et contenant même des petits bonheurs d’écriture… On s’était un peu mépris sur Marc Levy, qui ne mérite pas ici sa vilaine réputation ».

Et comme preuve des « petits bonheurs d’écriture », il cite… la phrase de la page 137. Faut bien vivre.

10/12/2015

Suis-je vraiment à toi ?

Imaginez-vous qu'il existe des "coachs en image" (ça vaut bien les wedding planner, non ?). Par exemple, Aude Roy, qui s'est intéressée aux formules de politesse que nous utilisons (ou non) à la fin de nos courriels.

On voit bien le lien avec "l'image" que nous donnons : la formule peut être inadaptée, incorrecte, prétentieuse, fade, administrative, etc.

Le Figaro Madame (eh oui, il faut être éclectique !) lui a consacré un article le 16 novembre 2015, sous la plume de Lucile Quillet.

Quelles sont donc les recommandations d'Aude Roy ?

D'abord de conclure avec une formule qui regarde vers l'avenir (elle dit "vers le futur" mais, pour moi, c'est incorrect).

"Ne pas mettre de formule de conclusion constitue un manque de politesse".

"… Il faut donner un rendez-vous futur, soit physique, soit téléphonique ou via un autre courriel (elle dit "via un autre mail" mais vous savez ce que j'en pense…)".

Ensuite de bannir le "bien à vous", traduction servile de l'américain "sincerely yours". En français, pourtant moins puritain, cela peut être interprété de façon ambiguë. "Vérité en-deça des Pyrénées, erreur au-delà" (Pascal). C'est vrai qu'en aucun cas, je ne suis "à mon correspondant" !

Aude Roy tolère "Cordialement" (que je trouve néanmoins passe-partout, omniprésent et impersonnel), "Bien cordialement" et même "Très cordialement". Fait surprenant, elle accepte aussi "Sincèrement", "Très sincèrement" et "Sincères salutations", qui nous rappelle, à nous autres, les belles formules des lettres d'antan ("Veuillez agréer, chère Madame, l'expression de mes sincères salutations" ; ça avait du chien, non ?). Mais "Salutations distinguées" est jugé trop solennel, même si l'on écrit au grand patron.

Les formules "Amitiés" (destinée à une personne avec laquelle des liens se sont créés), "Chaleureusement" (destinée à une personne plus âgée) sont également possibles.

Moi, j'aime bien la sobriété, voire le dépouillement, sauf exception ; après tout, on est au bureau pour travailler, non pour se faire des guili-guili… Mais Aude accepte un bref "Salutations" du bout des lèvres...

Et comment signer ?

Éviter un simple "Q." si vous vous prénommez Quentin, de même que "BOUCHER Quentin" (nous ne sommes plus à l'école) et "Quentin" (on n'est pas au foot mais au travail), et encore moins "Jean" car les homonymes doivent être nombreux dans la boîte.

Ego.jpg

L'ego maintenant : nul besoin d'étaler une "signature électronique" déclinant les innombrables moyens modernes de vous joindre ! Restez sobres et pragmatiques ; qui va vous contacter sur Facebook ? est-il vraiment utile de mentionner votre blogue (sauf si vous êtes Alain Juppé ou Michel Onfray) ? Pas de photo non plus ni de logo, qui appesantissent inutilement vos courriels (pitié pour les réseaux !).

Aude résume l'idéal comme suit : "Moins vous en mettez, plus vous vous rendez désirable".