04/06/2016
Irritations linguistiques XXVII : franglais journalistique, Hauts de France, conteneur et raccord
Chaque jour, presque chaque chronique journalistique, nous apporte son lot de sujets d'irritation, de découragement et de commisération.
Dernier avatar en date : la revue de presse d'Hélène Jouan, sur France Inter, le 26 mai 2016. Voici deux perles de cette chroniqueuse :
- "Si Nicolas Beytout est le seul à outer...". "Outer" semble être une création de la dame ou, à tout le moins, un néologisme des "gens de Paris qui sont modernes", construit à partir de "out" (au dehors), sur le modèle de "outing" apparu pour qualifier la "déclaration publique" d'homosexuels connus pour autre chose que leur homosexualité et la révélant à cette occasion. Pour la dame, "outer" servirait donc à dire "s'exprimer", voire "se lâcher" ou carrément "exploser", "laisser parler sa rage"... Tout ça pour ça ?
- "Ils veulent hacker 2017...". Même punition (pour nous) : Hélène Jouan ne connaissant ni le mot "pirater" (pourtant guère correct...) ni le mot "préempter" (pourtant à la mode chez les technocrates) ni tout simplement les mots "confisquer", "dénaturer", "confisquer", "manipuler", etc., elle invente "hacker", en référence aux pirates informatiques qui déchiffrent les codes d'accès et font du dégât dans les sites internet et les systèmes d'information des entreprises multinationales.
Bien embêtée par la mission impossible de trouver un nom fédérateur associant la Picardie (région historique et géographique), le Nord (qui ne veut rien dire) et le Pas de Calais (département justifié géographiquement mais non historiquement), la nouvelle grande région présidée par M. Xavier Bertrand s'est trouvé un nom : les Hauts de France... évitant ainsi le piège de la frustration de telle ou telle composante. Certes mais c'est rigolo de se dire que ladite région a comme département proche, un qui a tout fait pour ne plus s'appeler la "basse" Normandie. C'est bien connu, il est préférable de faire partie de la haute !
Le Nouvel Observateur a trouvé ce nom incohérent (la vaste plaine de la région est en réalité la plus basse de France en altitude et n'est en amont de rien du tout), la Voix du Nord et le Parisien ont donné la parole à des historiens et troubadours picardisants, les uns promouvant "le Nord" (rappelez-vous Michel Galabru dans les Ch'tis, morceau d'anthologie), les autres "Picardie" tout simplement. Tous rappelant que l'Oise, historiquement, appartient plutôt à l'Île de France, berceau de la nation.
Retour à France Inter... Le 27 mai, j'entends parler de "container". Je croyais que cela avait disparu (comme hardware et software !) grâce à la proximité formelle et sémantique de "conteneur" : même longueur, même phonétique, même sens, même étymologie. Mais qu'est-ce qui peut donc pousser ces journalistes à utiliser encore "container" ? Moi, je sais ! Ce sont des snobs qui pensent, les pauvres, que la légère consonance anglaise rehausse le niveau et l'intérêt de leur discours.
Il y a une expression qui m'intrigue et m'amuse : "ça fait raccord", "c'est raccord avec ceci ou cela". D'où cela peut-il bien venir ? Quelle en est la motivation cachée ? Montrer l'importance de l'intégration, du nivellement, de la soumission, de l'absence d'aspérité, du "pas de vague"... ? J'attends des suggestions et des avis !
07:34 Publié dans Actualité et langue française, Franglais et incorrections diverses | Lien permanent | Commentaires (0)
02/05/2016
Irritations linguistiques XXV : Cheffe, Président, franglais et foot
Vu à la télévision le 14 avril 2016 dans l’émission d’échanges entre M. François Hollande, Président de la République, et des citoyens choisis par France 2 : une (jeune) patronne de jeune pousse est affublée, en sous-titre, du titre de « Cheffe d’entreprise »… Peut-être un effet de la féminisation des titres et qualités (mais je n’ai pas vérifié si « Cheffe » faisait bien partie des recommandations…) ou un effet de mode ou bien le zèle d’un assistant de la chaîne ? Cela étant, on aimerait que le féminisme aille s’exercer – et avec virulence – sur d’autres terrains bien plus fondamentaux (j’allais dire : radicaux…) ; malheureusement on ne l’y entend guère, sous le prétexte commode de respecter la liberté des femmes !
Tiens, à propos de « Président »… voici ce que rappelait Ernest Renan dans ses « Souvenirs d’enfance et de jeunesse » : « On s’est habitué, de notre temps (NDLR : nous sommes en 1883 !), à mettre monseigneur devant un nom propre, à dire monseigneur Dupanloup, monseigneur Affre. C’est là une faute de français ; le mot monseigneur ne doit s’employer qu’au vocatif ou devant un nom de dignité. En s’adressant à M. Dupanloup, à M. Affre, on devrait dire : monseigneur. En parlant d’eux, on devrait dire : monsieur Dupanloup, monsieur Affre, monsieur ou monseigneur l’archevêque de Paris, monsieur ou monseigneur l’évêque d’Orléans » (Folio Classique n°1453, page 154). Est-ce que l’ancienneté de la faute doit tempérer notre agacement devant les formules journalistiques comme « le Président Hollande », que j’attribuais à une influence américaine récente ?
Par ailleurs le franglais continue ses ravages ; il n’y a pas une semaine pendant laquelle des journalistes n’introduisent pas l’une de ces expressions « qui font bien » (du moins à leurs yeux), systématiquement à consonance et à syntaxe anglaises ; ainsi, depuis plusieurs mois, ils usent et abusent des constructions sur bashing : French bashing, Hollande bashing, etc.
J’ai l’impression que toute nouveauté, réelle ou proclamée, que ce soit dans le domaine technologique, sociétal, géopolitique ou autre, est maintenant affublée d’un nom anglais. Ce n’est plus une simple manie ou du snobisme, c’est un réflexe. Dernier exemple en date : BFM TV rend compte du débat autour d’un nouveau portique censé permettre de filtrer les spectateurs à l’entrée des stades de l’Euro 2016 ; et de nous parler des fan zones !
Comme le chantait Maxime Leforestier dans les années 70 : « Ça sert à quoi tout ça, ça sert à quoi tout ça ? Ne me demandez pas de vous suivre… ».
Et la francophonie, dans tout cela ? On n'en parle guère dans les médias… Ah, si ! France Inter a une toute petite rubrique sur l'actualité dans les pays francophones le dimanche à 6 h 15. Qui l'écoute régulièrement ?
Remarque : j’ai découvert récemment que Jean-Paul Sartre avait publié sous le titre « Situations » (I, II, III, etc.) des recueils de critiques de livres. C’est bien involontairement que j’ai repris ce nom générique avec mes « Irritations » (I à XXV…) pour regrouper des « brèves » au sujet de la langue française. Bien évidemment, aucun de mes billets, même ceux qui se piquent de critique littéraire, n’a la prétention ni même l’ambition d’arriver à la cheville du grand philosophe existentialiste… De même, Albert Camus a publié une série de "Carnets" (I, II, III)...
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Franglais et incorrections diverses | Lien permanent | Commentaires (0)
17/03/2016
Semaine de la langue française, CSA et Alain Mabanckou
Nous sommes dans la semaine de la langue française… et personne ne s'en aperçoit ?
Mais si !
D'abord, Alain Mabanckou était sur France Inter ce matin à l'occasion de sa Leçon inaugurale, ce soir, au Collège de France (voir mon billet à ce sujet) ; son entretien avec Patrick Cohen était passionnant. Il a plaidé l'ouverture du français de France au monde entier et, en particulier, à l'Afrique, rappelé les liens indissolubles issus de l'histoire coloniale et son attachement à la fois aux grands auteurs français et à la littérature africaine. Comme nul n'est prophète en son pays, il a déploré l'absence du ministre de la Culture congolais aux côtés de ses homologues français, suédois, hongrois, et de la secrétaire générale de la Francophonie… Un grand moment, à savourer en rediffusion sur le site de France Inter.
Ce n'est pas tout !
AL, toujours vigilante, m'a signalé une campagne du CSA contre l'usage envahissant du franglais ; la vidéo en question m'a fait plaisir car elle reprend un thème que j'utilise depuis des années : "accro au franglais, nul en anglais". Signe des temps, c'est une femme qui est parfaitement bilingue (et sûre d'elle), alors que le jeune homme, qui essayait de se mettre en valeur (en attendant autre chose sans doute…) ne sait que jargonner son pauvre discours pseudo-moderne. Qu'on se le dise : draguer en franglais, c'est mort !
Ah, voici le lien : Dites-le en français (CSA)
09:13 Publié dans Actualité et langue française, Francophonie, Franglais et incorrections diverses, Littérature, Roman | Lien permanent | Commentaires (0)