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03/04/2017

Irritations linguistiques XLVII : délire lexical II

Je continue sur le même article de Valérie Hénau et Vanessa Houpert dans le Marianne du 14 mars 2014 à propos des slogans-placards.

Un autre exemple de « tee-shirt déclaratif » est baptisé « Le Parigot tête de veau ». On craint le pire et on lit en effet « Le hipster revendique très fort son amour du Paris populaire qu’il a contribué à vider de ses habitants historiques, au profit de boutiques de fringues et de coffee-shops ». Et les journalistes de railler les porteurs de slogans « Pigalle » ou « Barbès parle », parodie, disent-ils, des sweats américains « California » ou « I love New-York », point de vue exactement inverse de celui défendu dès le début dans ce blogue (je me suis toujours demandé pourquoi les jeunes Américains portaient des tenues à l’effigie de LEUR ville et qu’est-ce qui faisait que les jeunes Français éprouvaient le besoin de porter des tenues à l’effigie de tout sauf de leur ville, de préférence en anglais… Soumission, dirait l’autre). 

Blood, sweat and tears.jpgÀ propos de sweat, avez-vous remarqué que les Français, ignares qu’ils sont de l’anglais, prononcent le mot : « souit » (au lieu de « souettte »). Rappelez-vous Churchill et le groupe des années 70 : « Blood, sweat and tears ». 

Dans un autre registre, il paraît qu’il y en a qui portent sur la poitrine « Chômeur », « Voyou », « Flambeuse », « Purée jambon », « Crème de la crème », « La superbe » ou « Fille à papa forever »… Et vous trouvez ça drôle ?

Moi, j’ai surtout vu à une époque « Fruit of the loom » (qui a le mérite de correspondre à son objet). Mais il y aurait eu des « French Pride » (que l’on ne peut condamner ici, puisqu’il semble vouloir dire au monde – par construction, anglophone – que nous sommes fiers d’être français) et même « Brooklyn parle français » (qui est évidemment faux mais qui a le mérite d’annoncer que l’Empire contre-attaque). Malheureusement, à ce stade de l’enquête, nos deux pimprenelles se croient obligées d’ajouter : « Personne ne comprend bien l’intention de départ (ah bon ?) mais, curieusement, elle est perçue comme plus valorisante qu’un noble Sauvez les baleines ».

Elles terminent leur article par un décodage-décryptage en parlant des slogans qui pastichent les marques et ne sont savoureuses que pour ceux (les ados) qui connaissent les marques elles-mêmes : « Isabelle Golri » (pour « Isabel Marant »), « Bucci » (pour « Gucci »), « Féline » (pour « Céline ») ou « Comme des fuckdown » (pour « Comme des garçons »). On ne sait pas bien qui est le plus ridicule, les marques ou leurs pastiches mais ce débat nous éloigne de notre propos, qui est de dénoncer l’invasion de la vie courante, en métropole (regardez autour de vous !), par des termes anglais sans raison aucune.

30/03/2017

Irritations linguistiques XLVI : délire lexical I (c'est le 700ème billet)

L’évolution des langues s’accompagne peut-être de l’affaiblissement inexorable de la force de leur vocabulaire et corrélativement du recours grandissant au pléonasme, à l’emphase et à l’emprunt à des champs lexicaux plus violents.

Déjà un éditorialiste fameux avait publié « Le suicide français »…

Et la campagne en vue de l’élection du Président de la République française est un exemple caricatural du délire langagier : on y évoque un « coup d’État », « un assassinat politique », « une guerre civile » ; on y accuse ses adversaires – parfois ses partenaires naturels – de vouloir nous « tuer »…

C’est Pierre Ivaldi dans le Marianne du 17 mars 2017 qui faisait cette remarque à propos du candidat Fillon, qui créerait « une atmosphère lourde et délétère », l’appelant à se ressaisir, mais il faut bien dire que certains autres candidats ne sont pas en reste ; les mots ayant perdu de leur force évocatrice et percutante, on va en chercher d’autres, dans le vocabulaire guerrier en l’occurrence.

Et Jean-François Kahn, dans le Marianne du 29 janvier 2011 (six ans déjà !) écrivait « Les propositions sarkozystes sont avant tout verbales mais elles existent. Tout le monde peut les comprendre. Le silence, lui, n’a jamais été plus audible que le bruit ».

 

Dans un autre ordre d’idées, il y a une autre façon de se faire entendre, c’est de paraître « branché » (« connecté » dirait-on aujourd’hui) en parsemant son discours de termes anglais. Et s’il y a bien une rubrique des magazines qui est droguée au franglais, c’est celle de la mode, la rubrique « Société » ; dans l’hebdomadaire Marianne, elle s’appelle « Quelle époque ! ».

Dans le numéro du 14 mars 2014 (trois ans déjà !), j’avais noté un article sur les « placards » des tee-shirts, qui résonnait avec mon premier billet dans ce blogue (s’y reporter, à l’été 2014). Entre les inscriptions « littéraires » comme « Jean-Paul et Simone » ou « Alfred et George » (non George, ce n’est pas du franglais, et rien à voir avec les Beatles), voire « I love philo », et les slogans d’autodérision comme « Vieille chose », « Pipelette », « Gueule de bois », voire « Geek et fier de l’être » (le journaliste parle de messages « gaguesques » dans son article…), il y a malheureusement d’authentiques et béates proclamations franglaises comme « #SINGLE », « Keep calm and call me maybe », « Kiss boys and let them cry », voire les honteux et stupides « I just want to fuck you », « New York City Bitch », « Bad girls have more fun », « School sucks » et « Hate me ».

Le journaliste commente ainsi cette manie des slogans ventraux en anglais : « (…) est-elle fière de cette revendication ? (celle qui porte ce vêtement). On en doute. Elle est plutôt la énième victime de la croyance : si c’est en anglais, on comprend pas. Comment expliquer sinon, le nombre de devises dévalorisantes que les enseignes de fast fashion continuent à proposer ? », et plus bas: « On notera que l’équivalent franchouillard passerait moins bien ».

23/03/2017

Irritations linguistiques XLV : laisser-faire

Ça faisait longtemps, public, que je ne vous avais pas abreuvé de mes irritations linguistiques… Alors, sans transition, voici les dernières incongruités que j’ai découvertes.

D’abord, et à propos de cette fin de phrase « que j’ai découvertes », je constate jour après jour, que cet accord du participe passé quand le COD est placé avant l’auxiliaire « avoir » est fait de moins en moins, y compris par les candidats à l’élection présidentielle française, qu’ils soient diplômés de l’ENA ou non. 

Entrons maintenant dans le dur…

Le 22 mars 2017, j’ai entendu, vers 7 h 10, sur France Inter, un technicien du laboratoire de test des casques vélo pour enfants (dorénavant obligatoires), sis à Châtellerault, dire : « Ça laisse à réfléchir ». J’ai tout de suite pensé à ces vendeuses qui nous infligent à longueur de journées « Je vous laisse sortir votre carte bancaire » et bien sûr à « Let my people go ». En effet, en anglais, et bizarrement, l’impératif se formule avec le verbe « laisser ». Conclusion : encore un franglicisme, et inutile comme d’habitude. 

Dans le Marianne du 24 février 2017, M. Jacques Hicaubé, lecteur de son état, parlait à propos des élites et du franglais, « de trahison délibérée, de morgue, de mépris, de suffisance, etc., vis-à-vis de tous les sans-grade qui peuplent un pays qui ose encore s’appeler la France ». Il concluait sur une citation du livre d’Alain Borer, « De quel amour blessée », à propos de l’omniprésence de l’anglais : « Si l’on ne devait parler qu’une seule langue, ce devrait être le français ». C’est un peu rapide, sans doute, mais ce serait bien d’en parler à MM. Ghosn et Moscovici. Au moins, « laissez-nous » parler français ! 

Il y a une tendance à rendre transitifs des verbes qui ne le sont pas (par paresse ou pour imiter l’apparente simplicité de l’anglais ?). J’ai un exemple en tête : « signer un artiste » dans le milieu artistique. Mais bizarrement, il y a aussi la tendance inverse, à savoir compliquer : « pallier (à) une défaillance », par confusion sans doute avec « remédier à une défaillance ». Sans parler de la confusion orthographique avec le « palier » de nos immeubles.