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27/02/2017

Irritations linguistiques XLIV : les trois catégories

C’est comme si ça s’accélérait… il en pleut maintenant tous les jours ou presque (des franglicismes, des néologismes personnels hasardeux, des incorrections linguistiques, des tics langagiers).

Commençons par les tics : depuis pas mal de temps l’inévitable « voilà » ponctuait tous les discours des politiques comme des journalistes, une sorte de « respiration » pour signifier à la fois que la cause était entendue, qu’on était à bout d’arguments et que d’ailleurs ça tombait sous le sens. Il me semble qu’un autre tic est en train de s’implanter : « du coup ». Il sert de conjonction pour insister sur un lien de cause à effet, sur une conséquence manifeste, irrémédiable, indiscutable.

Plus compliqué et plus intellectuel, il y a le verbe « essentialiser » qui a envahi le discours des experts en sociologie, un peu derrière le fameux « briser les codes ».

Même si un journaliste du Figaro s’est fait une spécialité de dénoncer régulièrement dans sa rubrique « Langue » ces petits travers du francophone métropolitain de base, je considère qu’à côté du reste (ce qui va suivre », ce n’est que roupies de sansonnet, en un mot, c’est parfois énervant mais globalement amusant.

En écrivant cette dernière phrase et plus précisément en faisant allusion au « francophone métropolitain de base », j’ai pensé à une mise au point que je voulais faire (que j’aurais dû faire) depuis longtemps, destinée à mes lecteurs francophones qui ne sont pas « métro » justement : mes lecteurs inconnus du Québec, d’Afrique du Nord et sub-saharienne, d’Asie et d’Amérique latine, et aussi bien sûr à mes lecteurs français des cinq continents (Martinique, Guadeloupe, Réunion, Guyane et les autres). Sans doute mes billets sont-ils « franco-métro-français », trop peut-être ! Passe encore pour mes comptes rendus de lectures ; mais quid de la série « Irritations linguistiques » ? Rencontre-t-elle un écho outre-mer ? Irrite-t-elle ? Suscite-t-elle un intérêt documentaire, un intérêt ethnologique ou social ? Manque-t-elle d’ouverture et de largeur de vue, sachant que le français, malgré l’Académie, est tout de même très varié d’une contrée à l’autre ? Les « commentaires » du blogue sont là pour cela ! Donnez votre avis !

Bon je reviens à mes Irritations de la semaine.

Après les tics, les franglicismes, certains volontaires (snobisme ou paresse), d’autres non (ignorance).

Voici donc « définitivement », employé comme le serait en anglais definitely, qui malheureusement pour les ignorants signifie « assurément », « certainement » et non pas « définitivement ».

Voici « candidater », qui n’existe pas, à la place de « postuler ».

Voici les chatbots du 13 heures de France Inter le 24 février 2017, pour désigner ces « robots » (en fait des logiciels) qui répondent sans aide humaine aux questions récurrentes des internautes. Voici l’action de « redirecting vers les salariés », allez savoir ce que cela désigne… Voici enfin la playlist de France Inter…

Et les consultants qui adorent marteler que les entreprises doivent « adresser » plusieurs problèmes en même temps.

Et Stéphane Le Foll, sur BFM-TV le 19 février 2017, qui, comble de la snobitude et du cosmopolitisme le plus distingué, affecte de croire que l’adjectif « divers » est invariable et affirme que « le monde agricole est très diverse ».

BFM-TV, encore, donnait un reportage sur Emmanuel Macron le 20 février 2017. On y parlait des helpers, ces jeunes gens qui l’aident, bénévolement, à marcher sur l’eau et des start-upers qui arrivent, nous dit-on au bord de l’extase, « en direct de la Silicon valley ». J’ai entendu aussi évoquer le coaching des femmes, qui nouvelles en politique auraient besoin d’être déniaisées… Les féministes apprécieront. 

Autre catégorie, celle de la « bravitude de Chine » : les néologismes personnels. M. Gilbert Collard sur BFM-TV le 24 février 2017 parle ainsi de la « tardivité » d’une décision (sur le modèle de « brièveté » et de « précocité » sans doute).

23/02/2017

Irritations linguistiques XLIII : Jeux olympiques et projet gastronomique, et du franglais comme s'il en pleuvait

Je reviens sur le slogan choisi par le Comité de la candidature de Paris aux JO de 2024, dont j’ai déjà parlé le 6 février 2017, parce que Jack Dion y consacre sa chronique du 10 février 2017 dans Marianne et parce que l’Académie française, elle aussi, heureusement, s’est émue du choix de l’écrire en anglais et non pas en français. Encore une fois, malgré la mondialisation et son uniformisation rampante des cultures et des modes de vie, je reste convaincu qu’un touriste qui vient en France et même à Paris, n’y cherche pas ce qu’il peut trouver ailleurs dans le monde mais au contraire veut y découvrir l’art de vivre français, la mentalité française et la langue française.

Cela étant dit en « propos liminaire », voyons ce qu’en pense Jack Dion. D’abord il a une pensée pour ceux « qui s’échinent à faire apprendre le français aux enfants des écoles »… sans commentaire (sauf qu’il aurait pu ajouter qu’avec la pub à la télé et dans nos rues, la coupe est pleine). On apprend qu’il y aura « pour les analphabètes » une déclinaison traduite, « Venez partager » (sans doute parce que la loi y oblige) mais qu’elle sera discrète…

Le journaliste mentionne le choc que ce choix a dû causer chez les défenseurs de la francophonie, « à commencer par nos cousins du Québec ». C’est vrai, je n’avais pas pensé à cet effet collatéral.

Son argument principal est le mien, depuis longtemps : « Cette histoire n’est qu’un signe parmi tant d’autres du vent de démission qui souffle sur les élites ». On pense, entre autres, aux Conseils d’administration des sociétés du CAC 40 (Renault…), à la loi Fioraso, à M. Macron à Berlin et à M. Moscovici à Bruxelles, etc. « Les écrans, petits et grands, sont inondés de messages établis en vertu des codes de Hollywood, devenus les nouveaux mantras culturels des bobos parisiens ». « En vérité, cela va de pair avec la volonté de noyer les nations dans des sous-ensembles où elles ont vocation à être progressivement annihilées ». Et il conclut, après avoir rappelé la célèbre formule de Pierre de Coubertin « L’important, c’est de participer » : « S’il s’agit d’assurer la victoire de l’anglicisation des esprits, l’important, c’est de dire non ». On est d’accord, et cela n’a rien à voir avec une quelconque anglo- ou américano-phobie. C’est de l’autodéfense, l’instinct de conservation. 

Après ces envolées et ces cris d’alarme, revenons à la guérilla linguistique, celle qui détecte et combat les petites entorses quotidiennes, objet de cette rubrique « Irritations linguistiques » qui en est à son quarante-troisième épisode. 

Toujours des problèmes avec la conjugaison du groupe verbal « (se) faire + infinitif » au passé composé. J’ai trouvé, à peu près au même moment, dans une chanson de Serge Lama (dont les textes sont pourtant souvent soignés) et dans un épisode du feuilleton « Fais pas ci, fais pas ça », cette horreur : « Tu t’es faite larguer » (indépendamment du fait que la situation est évidemment très désagréable !). Rappelons une fois de plus que dans cette expression, le c.o.d. est « larguer » et non pas « toi », et qu’en l’espèce, il n’est pas placé avant mais après l’auxiliaire avoir. Cette erreur est très étonnante car, dans les cas simples, la plupart des gens négligent aujourd'hui de respecter la règle du c.o.d., que certains d'ailleurs au Ministère de l'Éducation nationale voudraient abroger.

Rien à voir, car il s’agit maintenant plutôt de la tendance à user de pléonasmes pour renforcer une argumentation (peut-être) défaillante : « ça leur permet de pouvoir envisager… ». Non ! Il suffit de dire « ça leur permet d’envisager… ». 

Entendu au 13 h de France Inter le 15 février 2017 : « Un terme venu du monde anglo-saxon et qui s’est imposé (sic !) : le burn-out, plus simple à dire que épuisement professionnel ». Ainsi va le journalisme et le snobisme (un pléonasme ?). 

Certains nous abreuvent du néologisme « branchitude »… Pourquoi pas… Mais sont-ce les mêmes qui s’étouffaient de rire quand Ségolène Royal avait parlé de « bravitude » ? 

Chaque nouveauté, qu’elle soit promesse d’avancée ou menace de dégâts (à vrai dire, on a en général les deux en même temps), est systématiquement baptisée d’un mot anglais. Ainsi de « fake news » (nouvelles erronées), phénomène que les ravis de la crèche feignent de découvrir sous les lambris dorés d’internet. On peut s’estimer heureux quand, une fois sur un million, c’est à une autre langue ou une autre culture, que l’on emprunte un mot. Je pense à « troll ». Et je n’ai guère d’autre exemple (au siècle précédent, on avait eu « pérestroïka » et « glasnost » ; j’avais adoré). 

Le dimanche 5 février 2017, vers 7 h 05 (mais il n’y a pas besoin de se lever si tôt pour trouver des horreurs linguistiques, elles poussent au pied de chaque journal et de chaque émission), France Inter faisait la réclame de son « Interception » en déclarant que « la priorité est au life saving, autrement dit les premiers soins » ! Il faut oser, non ? 

Le mois dernier, des étudiants d’une École consacrée aux métiers de la table me présentent leur projet, qu’ils ont baptisé « Share me trends » (l’influence du Comité olympique, sans doute). Je leur fais remarquer que to share est un verbe transitif et que to share with me serait plus correct, ils n’en ont cure ; ce qui compte, semble-t-il, c’est d’avoir un slogan qui fasse anglais. J’enchaîne sur l’argument que la gastronomie française étant ancestrale et réputée comme telle dans le monde entier, nul n’est besoin de l’habiller de termes anglais (au contraire, pensé-je). Quelle fut donc la réponse un peu condescendante de ces jeunes de vingt ans ? « Détrompez-vous ! Tout est en anglais dans la gastronomie internationale ».

À ce moment-là, avant de passer à autre chose, j’ai pensé au Denis de « Fais pas ci, fais pas ça », avec son food truck

06/02/2017

Irritations linguistiques XLII : Jeux olympiques, Tournoi des six nations de rugby et Championnat de France de football

Les hasards du calendrier ont fait que, ces jours-ci, trois grandes compétitions sportives ont réussi à m’irriter ensemble, pour la même raison : une attirance irraisonnée, veule et autosatisfaite pour l’anglais.

Le résultat ? du franglais toujours et encore.

Premiers de la classe : le Comité de candidature de Paris aux JO de 2024, qui vient de choisir l’accroche de cette candidature. Après avoir rappelé que le mouvement olympique international, fondé par le Français Pierre de Coubertin, a deux langues officielles : le français et l’anglais, ce comité a officialisé la phrase qui est censée rallier la majorité des suffrages et attirer le moment venu les touristes du monde entier :

« Made for Sharing »

Comble de la honte, le co-président de Paris-2024, Tony Estanguet, indique que ce slogan en anglais a été choisi afin de « donner un caractère universel au projet français ». Ainsi donc ce que font ou proposent les Français n’aurait un caractère universel que si c’est exprimé en anglais ? Voltaire, Hugo, Anatole France, Paul Valéry et tant d’autres doivent se retourner dans leur tombe… 

Le journal La Croix qui rapporte cette brillante initiative dans son article du 3 février parle de la candidature de Paris « aux jeux Olympiques 2024 », avec une majuscule à « olympique », comme font les anglophones… On est cerné ! Il y a deux ans, un article des Échos sur le même sujet écrivait que l’expo universelle de 2025 à Paris était bien « JO compatible »… 

Les pauvres, ils ne savent pas ce qu’ils font… 

Pas la moindre nouveauté, pas le moindre gadget, pas la moindre mode aujourd’hui qui ne reçoive pompeusement un nom de baptême « à l’anglaise ». Ainsi, au moment où commence le Tournoi des six nations de rugby nous bassine-t-on avec le « crunch ». 

J’ai parlé de veulerie en introduction de ce billet, j’avais déjà parlé de soumission antérieurement. Oui, c’est bien ce qui caractérise la Commission européenne, qui s’est cru obligée de déclarer que, malgré le Brexit, l’anglais resterait bien l’une des langues officielles de l’Union… Comprenez : LA langue officielle de l’Union européenne (dans laquelle il n’y a plus que l’Irlande pour l’avoir comme langue maternelle).

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Je reviens au sport : rappelez-vous Dominique Rocheteau ; on l’appelait « l’ange vert » dans les années 70-80. Eh bien maintenant pour évoquer une rencontre régionale entre Saint Étienne et Lyon, les journalistes parlent de « green angels » (ou plutôt de « Green Angels » pour écrire comme les tabloïds) !

Besoin d’un peu de réconfort ? Écoutez donc ce que dit Fabrice Lucchini de la littérature et de notre langue dans son entretien avec le Figaro (vidéo visible dans le site lefigaro.fr) ! 

Ou alors, en écho à l’exigence d’universalisme globish de Thierry Estanguet (qui après tout n’est qu’un champion olympique d’aviron, pas un agrégé de lettres modernes…), lisez l’éditorial de Jacques Julliard dans le Marianne du 6 janvier 2017 : « (…) (Le peuple) ne veut pas non plus d’une école qui a cessé de faire de la littérature française un patrimoine sacré, constitutif de son identité, et de la langue française notre bien commun, notre trésor à tous, la base du contrat national, celui d’une France ouverte à tous ses enfants, de toute histoire, de toute couleur, de toute origine. (…) (Ce que) nous avons appris chez Michelet et chez Péguy, chez Victor Hugo et chez Jaurès : que la France est le nom que nous voulons continuer de donner à notre universalisme ». 

Et ce qui est drôle – et même épatant – c’est que la phrase ci-dessus sur l’école est justement celle, à peu de choses près, qu’écrivait Péguy en 1910 et que lit Lucchini dans l’entretien que je citais plus haut. D’une part les grands esprits se rencontrent mais d’autre part le mal est profond (et ancien). 

PS. Suite à l’annonce du slogan des JO en anglais, les internautes se sont déchaînés, du moins sur le site de RTL que j’ai consulté.

Extraits : 

« L'article 24 stipule que les langues officielles du Comité International Olympique sont le français et l'anglais (énoncées dans cet ordre). Qui plus est, en cas de divergence entre le texte français et le texte anglais de la Charte olympique et de tout autre document du CIO, le texte français fera foi. Une personnalité du monde francophone est chargée d'observer la place du français ». 

« Scandale ! Slogan anglais, discours anglais, décompte anglais... Les organisateurs ont-ils si honte d'être français. Un bon signe pour ceux qui veulent changer le français en anglais comme langue officielle des JO !

Pauvre France déjà envahie par cette langue: My TF1, burn-out, open space, etc. » 

« Nos élites sont toujours prêtes à s'aplatir devant la langue anglaise qui, il est vrai, domine le monde. Mais c'est dans l'authenticité et le respect de soi-même que l'on doit s'affirmer. Donc un slogan en français, facile à comprendre, ne nous aurait pas défavorisés ! Hélas, trop de gens n'attachent pas d'importance à ça ! Dommage ». 

Des Français comme ça, moi, je les aime !