14/07/2015
Natacha et moi (II) : la France est belle et vide
Commençons par le commencement, c'est-à-dire par le début de ses billets (octobre 2009). Et, en ce jour de fête nationale, voyons ce que Natacha Polony dit de la France.
"Mais les Français, tous les Français connaissent-ils encore la France ?
Des vertes solitudes du Vivarais à la sauvagerie rugueuse des Corbières, des vergers du Comtat Venaissain aux vignes de Touraine, de la vallée du Tarn à la vallée du Loir, la France est belle, et nous l'oublions trop souvent, harassés que nous sommes par les sirènes du tourisme de masse.
Et la France est vide ! Oh, pas les plages bien sûr, pas les festivals en vue. Mais la France ardéchoise ou corrézienne, la France berrichonne ou vendômoise. Ces paysages époustouflants, ces lumières irréelles, et personne pour les admirer, s'en extasier, s'en rassasier ? Mais Lagrasse et Salles la Source sont plus exotiques que tous les cocotiers du monde. Le petit manoir de la Possonnière, où naquit Pierre de Ronsard, avec ses inscriptions latines comme un avertissement à notre futilité - souviens-toi que tu es poussière, sur un four à pâtisserie - et ses roses au nom délicat Cuisse de nymphe émue ou Vierge de Cléry, vaut toutes les destinations lointaines. Mais un dimanche de fin juin, pas un promeneur pour se réciter Comme on voit sur la branche, au mois de mai, la rose... Pas un enfant pour s'imprégner des beautés de la Renaissance et comprendre qu'elle fut un art de vivre autant qu'un courant de pensée.
C'est qu'on ne conçoit plus les vacances qu'au bord d'une piscine. Aucun parent n'oserait plus infliger à ses chers petits la visite de ces villages et de ces églises qui sont leur patrimoine. Et partout des voltes clos et des maisons à vendre, quelques vieillards sur un banc, et l'impression glaçante de voir mourir un pays. Au mieux reste-t-il ça et là une boulangerie ou une pharmacie. Les autres commerces ont fermé, victimes de la grande distribution. Plus de travail, puisque tout est fabriqué ailleurs, bien loin d'ici. Plus de vie. Mais il suffirait pourtant que les Français visitent la France, ce pays qu'ils méprisent parce qu'ils croient le connaître. S'extasier sur le petit village indien ou les traditions préservées des Aborigènes dispense curieusement de s'intéresser à ses propres traditions, qui, elles, sont un folklore moisi.
Les générations qui sont nées après la guerre ont cessé de transmettre, non seulement les valeurs, les récits et les savoirs qui fondaient la civilisation, mais elles ont également cessé de transmettre la connaissance de la France, de sa géographie, de ses modes de vie. La modernité s'est chargée d'effacer ces vieilleries. Et les enfants d'aujourd'hui, tous les enfants, qu'ils soient de Villiers le Bel ou du centre de Paris, sont orphelins de leur pays" (pages 96 et 97).
Et j'ajouterais bien : "et de leur langue", la "modernité" jouant le même rôle sur la langue que sur les paysages (à savoir : l'herbe est plus verte ailleurs).
Ironie de la synchronicité : au moment où je recopiais ces lignes, France Inter rendait compte d'une étude épidémiologique que disait que 70 % des touristes qui revenaient d'un périple en Asie, étaient porteurs de bactéries multi-résistantes, pour lesquelles les antibiotiques étaient impuissants...
Et c'est pareil, à peu près, pour ceux qui reviennent d'Afrique ou d'Amérique du Sud...
Voyagez, qu'ils disaient, il en restera toujours quelque chose (dans vos intestins) !
11:29 Publié dans Actualité et langue française | Lien permanent | Commentaires (0)
13/07/2015
Natacha et moi (I) : sa vie, son œuvre
Vous connaissez bien sûr Natacha Polony (sinon, reportez-vous aux billets de juin 2015)...
J'ai donc attaqué son pavé "Ce pays qu'on abat" (Plon, 2014), clin d'œil à celui de Malraux ("Ces chênes qu'on abat") et compilation des billets de son blogue et de ses chroniques dans le Figaro, entre 2009 et 2012.
Arrivé à la moitié (les billets de son blogue), je suis abasourdi : comment une si jeune femme peut-elle écrire - et si bien - des analyses aussi pertinentes sur les sujets d'actualité (l'éducation, le féminisme, les humanités, l'intégration, les pratiques religieuses, la télévision et les nouvelles technologies...), en bâtissant des textes d'une architecture irréprochable (contexte, bibliographie d'abord, thèse et arguments ensuite, conclusion souvent brillante et bien tournée) et à la langue claire et balancée.
On me dira qu'elle est agrégée de lettres, qu'elle est journaliste, etc. et que c'est bien le moins qu'elle sache écrire... Certes mais c'est un peu court !
Comme elle traite de l'actualité, elle touche forcément à la politique, sans toutefois être un commentateur politique. Je ne sais pas si elle cautionnerait le positionnement que je lui attribue, à savoir moralement plutôt à droite et économiquement plutôt à gauche. C'est dire qu'elle n'a pas peur d'apprécier l'ordre, les valeurs morales, le respect des traditions, le patriotisme... et qu'elle ne craint pas non plus de se dire anti-libérale, anti-mondialisation effrénée, anti-désindustrialisation délocalisante...
Ça me va bien !
Elle a des dadas moraux et intellectuels : les Lumières, la République, la transmission (des savoirs et des valeurs), la laïcité. On en redemande, de ceux-là.
Comme je l'ai déjà dit, un tel brio dans le blogage pourrait décourager les arpètes comme moi : on se sent maladroit et sans talent. Mais je ne voudrais pas vous priver de quelques bons morceaux (littéraires...) de Natacha Polony ; dans les billets suivants de cette série, je vous proposerai donc une balade dans son bouquin.
Il faudrait qu'il y ait en France des milliers de Natacha !
Mais alors, problème pour nous autres : on ne saurait plus où regarder...
07:35 Publié dans Actualité et langue française | Lien permanent | Commentaires (0)
11/07/2015
Pour la Grèce
Tu dis :
« J’irai vers d’autres pays, vers d’autres rivages. Je finirai bien par trouver une autre ville, meilleure que celle-ci, où chacune de mes tentatives est condamnée d’avance, où mon cœur est enseveli comme un mort. Jusqu’à quand mon esprit résistera-t-il dans ce marasme ? Où que je me tourne, où que je regarde, je vois ici les ruines de ma vie, cette vie que j’ai gâchée et gaspillée pendant tant d’années.
Tu ne trouveras pas de nouveaux pays, tu ne découvriras pas de nouveaux rivages. La ville te suivra. Tu traîneras dans les mêmes rues, tu vieilliras dans les mêmes quartiers, et tes cheveux blanchiront dans les mêmes maisons. Où que tu ailles, tu débarqueras dans cette même ville. Il n’existe pour toi ni bateau ni route qui puisse te conduire ailleurs. N’espère rien. Tu as gâché ta vie dans le monde entier, tout comme tu l’as gâchée dans ce petit coin de terre".
La ville (1910)
de Constantin Cavafy (1863-1933)
poète grec né à Alexandrie (Égypte)
Traduction du grec de Marguerite Yourcenar et Constantin Dimaras,
Éditions Gallimard/Poésie, 1994, ISBN : 2070321754, page 9
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)