28/09/2015
"Plonger" de Christophe Ono-dit-Biot : critique
Alors allons-y, livrons-nous à la critique d'un livre.
Le dernier que j'ai lu est "Plonger" (Gallimard, 2013, Grand Prix de l'Académie française) de Christophe Ono-dit-Biot, célèbre pour "Birmane" (2007).
Cherchant des livres au format de poche à offrir à des amis comme récompense d'un grand jeu, je suis tombé par hasard sur ce livre, en même temps que sur "L'été 76" de Benoît Dutertre, dont j'ai déjà rendu compte et que sur "Immortelle randonnée" de Jean-Christophe Rufin. Ça tombait bien, Folio proposait un livre gratuit pour deux achetés… C'est ainsi que j'ai pu me régaler avec "Petit éloge des vacances" !
Ce n'est certes pas le titre qui m'a attiré (j'aime bien la mer vue de la plage ou des falaises…) ni encore moins l'illustration de la couverture (deux corps nus, plutôt disgracieux, enlacés dans une mer artificielle…). Non, c'est la quatrième : "Un homme enquête sur la femme qu'il a passionnément aimée", promesse d'une histoire d'amour, même finie.
Alors j'attaque le livre, et ça accroche, même si je n'apprécie pas cette astuce du narrateur qui parle à son fils de deux ans. La Belle est photographe, espagnole, indépendante, mélancolique ; son amoureux est journaliste-baroudeur (qui en a marre de voyager sur tous les terrains des catastrophes), béat d'admiration et prêt à tout accepter.
Ça accroche parce que le rythme est alerte, avec des chapitres pas trop longs qui sont autant d'échos de l'actualité (le tsunami, le Liban) ; il y a de l'épaisseur, non pas dans les personnages mais dans les situations et les lieux visités (l'art contemporain à Venise).
Tout bascule avec la grossesse et la naissance : l'artiste ne semble pas faite pour la maternité, et c'est Albertine disparue (ici : "Paz partie", puisqu'elle s'appelle Paz). Et l'intrigue se noue, sur des thèmes complètement différents : une enquête quasi-policière pour retrouver Paz et les réminiscences du Grand Bleu.
L'Académie n'a manifestement pas été gênée par le fait que Christophe Ono-dit-biot a mélangé les genres dans son roman, ce qui le rend à la fois "dispersé" et "prenant". Et ça se lit effectivement d'une traite (voilà un critère de qualité respecté).
Bien sûr, je ne dis rien de la fin, encore qu'elle soit connue dès le début du livre.
Et alors, la réponse à mes deux autres critères ? Oui, je le recommanderais à un tiers (avec les réserves ci-dessus) et Non, je ne le garderai pas (il ira rejoindre la pile que je vais donner à une brocante prochaine).
07:30 Publié dans Littérature, Livre, Ono-dit-Biot Christophe | Lien permanent | Commentaires (0)
27/09/2015
Critiquer un livre...
Qu'est-ce que la critique d'un livre ?
La plupart du temps, parce que nous ne sommes pas des spécialistes de littérature, c'est simplement dire qu'on l'a aimé, pour telles ou telles raisons (sachant que vos raisons ne seront sans doute pas celles de vos interlocuteurs), donnant ainsi à d'autres l'envie de le lire...
Plus rarement, c'est dire qu'on ne l'a pas aimé - et là, vos raisons sont très importantes car il est délicat - et même contestable - de dire qu'un livre est mauvais… Tout au plus ne vous a-t-il pas plu… Il plaira peut-être à d'autres : vous n'aimez pas les récits de voyage, d'autres adorent ; vous n'aimez pas les structures de récit originales, d'autres en raffolent ; je n'ai pas pu terminer "Femmes" de Philippe Sollers, d'autres s'en sont-ils délectés ?, etc.
Dans les deux cas, ce n'est pas raconter l'histoire ni paraphraser l'auteur, encore moins déflorer la fin !
On peut toujours décrire le "genre" du livre (récit, réflexion, fantastique, psychologique, roman d'amour ou d'aventure), présenter l'écrivain, rattacher son ouvrage à une "école", le comparer à d'autres...
On peut aussi l'analyser ou en contester les thèses, sans rien en révéler hormis par allusions, en s'adressant par anticipation à ceux qui l'auront lu et reviendront ultérieurement à votre critique...
La vraie critique littéraire est affaire de spécialiste ; elle s'attache non seulement à l'histoire mais aussi à la construction, au style, au vocabulaire, au savoir-faire et à la maestria de l'auteur. On joue alors dans une autre catégorie (Antoine Compagnon, Cécile Ladjali et alii).
Et nous voici donc ramenés à la question fondamentale : qu'est-ce qu'un bon livre ? et à son corollaire : qu'est-ce qu'un bon écrivain ?
Contrairement à Guillaume Musso (voir mon billet à ce sujet), je ne considère pas qu'un livre est là seulement pour nous distraire et passer un bon moment !
Bien sûr un bon livre doit nous "embarquer" et nous "tenir" jusqu'à la dernière page ; les premières phrases et les dernières sont de ce fait fondamentales. Mais il doit aussi nous dépayser, nous faire découvrir des paysages ou des comportements humains, nous émouvoir par des destins hors du commun et des histoires d'amour qui pourraient nous arriver, nous charmer par des images poétiques, un vocabulaire précis et même recherché, et des phrases au balancement classique (des "périodes"…), nous étonner par une construction originale (par exemple à la Faulkner, Vargas-Llosa ou Durrell)...
Bref le mélange est complexe et l'alchimie subtile de ce qui fait un bon livre...
Au total, sans qu'il soit toujours possible d'en donner des raisons objectives ni exhaustives, les deux critères pertinents ne sont-ils pas : m'a-t-il été impossible de m'arracher de ce livre avant la fin ? vais-je le garder, dans l'idée de le relire un jour ou l'autre ?
Si l'on répond oui aux deux questions, c'est un bon livre.
L'excellent Pierre Magnan s'était retiré dans une petite maison à Forcalquier à l'approche de la vieillesse, avec seulement vingt-cinq livres, les meilleurs, ceux qui avaient compté dans sa vie, et qu'il relisait sans cesse.
On peut ajouter un troisième critère : a-t-on envie de le recommander à un tiers ?
09:35 Publié dans Littérature, Livre | Lien permanent | Commentaires (0)
26/09/2015
Paradigmes et autres animaux
J'aimerais bien établir la liste des nouveaux paradigmes, ceux de notre époque.
J'ai longtemps été fasciné par le mot : qu'est-ce donc qu'un paradigme ? Je m'en suis fait l'idée suivante, peut-être grossière et approximative : c'est une méta-règle, une règle qui domine toutes les autres, qui se situe à un niveau plus élevé, plus global, et qui nous aide à les décoder et à les agencer entre elles.
J'ai cru déceler récemment deux paradigmes, de natures bien différentes.
D'abord à propos des âges de l'humanité. Les scientifiques ont établi une échelle des temps géologiques, constituée d'ères, subdivisées en périodes, elles-mêmes subdivisées en époques ; c'est la chronologie de l'histoire de la Terre, dans laquelle s'inscrit l'histoire de l'homme pour quelques secondes.
Jusqu'à présent, on se croyait tout simplement dans l'ère cénozoïque (depuis 66 millions d'années), dans la période du quaternaire (depuis 2,58 millions d'années) et à l'époque de l'holocène (depuis 11600 ans). Mais, en 2000, un biologiste américain Eugene Stoermer et un chimiste néerlandais Paul Crutzen (Prix Nobel de chimie 1995), constatant l'impact de l'activité humaine sur la planète ont "inventé" l'âge de l'humain et l'ont baptisé "anthropocène".
Surgissent évidemment quantité de questions de spécialistes : depuis quand ? la maîtrise du feu il y a 700000 ans ? les débuts de l'agriculture il y a 11000 ans ? le contact entre Ancien et Nouveau Monde en 1610 ? la première révolution industrielle (la machine à vapeur de 1784) ? la "grande accélération" à partir de 1950 (CO2…) ?
Et aussi quel est le marqueur indiscutable qui permettra de dater le début de l'âge ?
Trève de querelles scientifiques… Ce serait donc un nouveau paradigme : l'homme a commencé à transformer son environnement naturel de façon aussi dévastatrice que la tectonique des plaques ou le volcanisme et il est entré de lui-même dans "son âge" (pour en savoir plus : "Comment l'homme a détraqué la planète" dans le Marianne du 18 juin 2015).
Autre paradigme, à une tout autre échelle : "l'ubérisation" des économies occidentales (l'économie 1099) est en train de détruire le salariat, qui était la modalité du travail depuis le XIXème siècle, chacun étant censé devenir autoentrepreneur pour proposer ses services payants. Ce faisant, le phénomène transfère les risques de l'entreprise vers l'individu, qui doit faire son affaire de la baisse d'activité, des accidents de santé, des congés éventuels… et transfère la "rente" du producteur au consommateur qui impose des prix plus bas, des délais raccourcis, des livraisons à toute heure, etc., et aussi à l'actionnaire.
Tous ceux qui ont aujourd'hui plus de quarante ans vont difficilement encaisser ce nouveau paradigme car ils ont été élevés dans un monde où 80 % de leurs congénères étaient salariés… (pour en savoir plus : "Uber et l'argent d'Uber", François Lenglet, Le Point, 27 août 2015).
Compilons les nouveaux paradigmes !
09:11 Publié dans Actualité et langue française | Lien permanent | Commentaires (0)