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08/10/2015

La modestie de B. Pivot et "le plus"

Voici ce qu'écrit Bernard Pivot dans "Les mots de ma vie", à propos de son émission-culte (il n'approuverait peut-être pas ce mot composé à la mode…) "Apostrophes" :

Pivot B..jpg"Je suis le plus mal placé pour répondre à cette question, et tenterais-je de le faire que je mettrais à mal l'une des qualités que l'on m'a souvent reconnues : la modestie.

Elle n'était pas feinte parce que j'ai toujours considéré que l'auteur d'un livre, même de circonstance, même de médiocre avenir, du moment que je l'avais invité, avait préséance sur moi, journaliste, aux yeux des téléspectateurs (NDLR : les journalistes de "On n'est pas couché" feraient bien d'en prendre de la graine !).

Et qu'il y avait davantage à attendre de ses réponses que de mes questions, d'ailleurs le plus courtes possible".

Indépendamment du fond, intéressons-nous à la forme de cet extrait et, plus précisément, aux mots qui le closent et que j'ai soulignés.

On est titillé parce que "le plus" voisine avec un adjectif au féminin et parce que "le plus" et "possible" sont au singulier, contrairement à "courtes".

Qu'en dit le Bescherelle (page 65, § 73 "Le superlatif" de l'édition Hachette de 1956) ?

"Le choix de l'article est commandé par le sens dans les deux superlatifs ci-dessous :

  • la maison le plus solide qu'on puisse concevoir n'est plus à l'épreuve des bombes modernes (c'est un superlatif authentique : la qualité qu'il exprime est considérée à son plus haut degré possible) ;
  • la maison de mes parents a seule résisté au bombardement. C'était la plus solide de toutes celles du bourg (Ici le superlatif emprunte de son sens au comparatif : la situation de la maison est rapportée à celle d'autres maisons)".

Il est donc normal que B. Pivot ait employé "le plus" et non pas "les plus" ou "la plus" (c'était un superlatif authentique, sans connotation comparative).

Le fameux "Dire, ne pas dire" de l'Académie française ne dit pas autre chose (page 135) : "le plus" est invariable (comme un adverbe) quand on ne "compare" la chose qu'à elle-même. le superlatif peut alors être remplacé par "au plus haut degré".

Mes premiers lecteurs se rappellent de l'exemple : "C'est le matin que la rose est le plus belle" (voir mon billet à ce sujet dans la série "Dis pas ci, dis pas ça").

Reprenons enfin le "Résumé d'orthographe" d'H. Berthet (1941), ouvrage déjà cité dans ce blogue, pour élucider le cas de "possible" :

"Possible est invariable après le plus, le moins, le mieux : faites les portes les plus grandes possible".

Mais alors, si l'on a bien compris, H. Berthet se trompe : il aurait dû écrire "les portes le plus grandes possible" et B. Pivot a raison sur toute la ligne !

 

07/10/2015

Apocopes et aphérèses

Il n'y a pas que l'anglais qui abrège et fait court ; le français aussi aime couper les mots pour aller vite. Et il coupe la fin de façon privilégiée (rien à voir avec la Veuve de 1793 ni avec les sachets protéinés !) : c'est l'apocope, c'est-à-dire la suppression des dernières syllabes des mots.

Bernard Pivot en cite de nombreux exemples dans son livre "Les mots de ma vie" (Albin Michel, 2011) : prof, instit, interro, labo, gym, ordi, prépas, Sciences Po, petit-déj (voire p'tit déj), ciné, télé, etc.

C'est cohérent avec le fait qu'en français, le déterminé précède le déterminant (on ne pourrait pas procéder de cette manière en allemand, où c'est l'inverse).

B. Pivot y voit parfois une irrévérence envers des substantifs "bien installés" : cathos au lieu de catholiques, socialos au lieu de socialistes, écolos au lieu d'écologistes, etc.

Il s'amuse aussi que même des noms propres soient l'objet de telles dissections : tout le monde a en tête Ségo et Sarko. Moi, j'aime particulièrement Jean d'O. Il y a aussi Libé, L'Obs, Saint-Trop...

 

guillotine_bunny.jpg

 

Normalement, on devrait placer un point (".") après le début du mot, pour remplacer les syllabes manquantes. Mais tant qu'à aller vite...

Le contraire de l'apocope, c'est l'aphérèse. Elle est plus rare : bus au lieu d'autobus, Ricains au lieu d'Américains.

 

 

06/10/2015

Irritations XXI : franglais du luxe et autres aberrations

Vu dans la rue la publicité de l'Oréal sur les panneaux défilants : toute en anglais. Pourquoi ?

Vu la plaquette de Volkswagen ("Das Auto") sur la Coccinelle : série spéciale ORIGIN, jantes Circle Black, système audio Composition Media, Authentic Road, Sound Boulevard, volant Orange Calypso, tableau de bord Twist Wave Dark, la plus trendy des Cox, Rainbow Corner, Discover Media, Fashion Street, jantes Twister, peinture Moon Rock, Sport Docks, pack R-Line Extérieur, CAR-NET et ainsi de suite ad nauseam… La plaquette ne dit pas si le logiciel anti-contrôle de pollution est offert.

Restons dans le merveilleux monde de l'automobile. Le numéro de mai 2015 de la revue "Alternatives économiques" enquête sur "Renault ou le succès de l'ingénierie frugale". L'article parle de la gamme Entry (low cost dérivé de la Logan), de crossover, de design to cost, de carry-over...

Dans une revue municipale, on informe sur une opération Cultures urbaines qui propose une performance. Il s'agit de transformer les bancs de la ville et ça s'appelle "Bench movie"… À cette époque, il y avait aussi une démonstration de break danse (sic ! avec un "s" !) et une initiation à la trottinette free style...

3 petits cochons.jpgRien à voir mais notre ministre préférée, qui semble reculer (ou fait semblant de reculer ?) sur sa réforme du collège dans laquelle elle supprime les classes bi-langues, en promouvant l'apprentissage de l'allemand dès le primaire, au même titre que l'anglais ou l'espagnol…, aurait laissé entendre que le porc était un aliment confessionnel. Plus exactement, elle a dit, suite à la suppression du menu de substitution dans les cantines scolaires de Chalon-sur-Saône : "Supprimer la possibilité d’avoir un menu non confessionnel, je trouve que c’est une façon, en réalité, d’interdire l’accès de la cantine à certains enfants". Quid du poisson, et aussi du Saint Nectaire, des cuisses de grenouille, des escargots et du foie gras ? Il est vrai que ces aliments ne sont pas servis dans les cantines.

D'aucuns disent que c'est une bourde ; on aimerait le croire. En tous cas, c'est une provocation, volontaire ou involontaire, qui risque d'encourager, s'il en était besoin, rejets et conflits.

Il va falloir que je m'intéresse à Yann Moix, cet écrivain-cinéaste touche à tout. Il officie maintenant dans l'émission du ricanant Laurent Ruquier "On n'est pas couché" et se distingue (en fait non, les autres sont pareils !) par une certaine agressivité cultivée et germanopratine mais à géométrie variable (dure avec les faibles, maîtrisée avec les puissants). Il  prépare manifestement beaucoup ses joutes oratoires avec les vedettes des médias (Onfray, Finkielkraut…) et arrive à citer Renan et Péguy "pour se mettre à niveau". Malheureusement, dans son enthousiasme d'intellectuel à la mode, il oublie que la vedette de la nuit, ce n'est pas lui mais l'invité ! Et qu'il n'est ici qu'un journaliste qui pose des questions et non pas un élève de Sciences Po au grand oral…

Finkielkraut et son élève Léa.jpg

 

Tant qu'à illustrer ce billet par une photo relative à l'émission, je vous propose celle-ci, la belle photo d'une élève face à son (ancien) maître.