01/10/2015
"Immortelle randonnée" de Jean-Christophe Ruffin : critique (I)
Les récits de voyage sont une formalité ou un dérivatif pour les écrivains… tantôt on leur en fait la commande expresse, tantôt ils s'y livrent entre deux romans, pour se changer les idées, voire, en panne d'imagination, ils profitent d'un voyage ou d'une randonnée pour placer un livre à peu de frais.
Je suis sévère sans doute mais les récits que j'ai lus, écrits par les plus grands écrivains, m'ont toujours attiré d'abord et déçu ensuite. La raison en est peut-être que l'on se réjouit de découvrir comment voyage cet écrivain que l'on admire, qui nous ravit par ses œuvres de création ; que voit-il ? que lui inspirent les merveilles qu'il trouve sur son chemin ? Et souvent, soit que la rédaction en ait été bâclée, soit que les choses vues n'aient produit aucun effet particulier sur notre auteur, eh bien, le résultat est médiocre, pour ne pas dire banal.
Les deux premiers que j'ai lus étaient, sauf erreur, le "Voyage en Italie" de Jean Giono et le "Carrousel sicilien" de Laurence Durrell. Je n'en ai aucun souvenir particulier, sauf que la lecture n'en a pas été passionnante.
J'ai lu ensuite "Chemin faisant" de Jacques Lacarrière, dont "L'été grec" avait été un grand succès de librairie mérité. L'helléniste était parti cette fois sur les routes de France ; le récit qu'il en avait tiré était plaisant, sans plus.
Des années et des années ont passé ; sur le conseil d'un ami, je me suis lancé en 2009 dans les trois tomes de "Longue marche", dans lesquels Bernard Ollivier raconte son périple sur la route de la soie. Ici, ce n'était pas un écrivain qui parlait mais un journaliste qui, la retraite et le veuvage venus, avait entrepris cette randonnée pour redonner un sens à sa vie. Le livre qu'il en a tiré présente un point commun avec "Cent ans de solitude" ou "Les racines du ciel", le génie créatif et narratif en moins, en ce sens que les pages se suivent inexorablement et traduisent à merveille la monotonie et la redondance du cheminement le long des routes, avec un seul but : arriver. J'avais noté à l'époque : "Il traverse à pied la Turquie et l'Iran… C'est un exploit sportif à 62 ans mais, du point de vue littéraire et culturel, c'est creux. Les dernières pages du tome I sont prenantes car il doit abandonner suite à un grave problème de santé. Le tome II est pareil bien que meilleur que le précédent. Les aventures continuent… et il y a cette rencontre avec une jeune femme dans un café, et le coup de foudre réciproque. Du soleil dans la grisaille".
En 2012, j'ai lu "Transsibérien" de Dominique Fernandez, qui venait de sortir. Là, c'est autre chose, pour deux raisons : d'abord l'auteur ne cache pas que c'est une commande (il a été invité à voyager dans le célèbre train qui rallie Moscou à Vladivostok, via la Sibérie, avec une vingtaine d'autres écrivains français, en échange de son récit du périple) et par ailleurs, il retranscrit une vision vraiment "culturelle" de son aventure "tout confort". Dans mes notes, j'écris "Son récit, érudit et sobre, anticonformiste quant aux idées - il ne condamne pas les Soviétiques, il y trouve du bon -, est meilleur que celui de Durrell ; beaucoup de digressions sur l'histoire russe, la peinture et la littérature. Une excellente bibliographie sur le Goulag, dont "Les récits de la Kolyma" et "Vie et destin". Manifestement il s'est documenté, a beaucoup lu et connaît un peu de russe. C'est instructif mais sans beaucoup de lyrisme : ça reste plat comme la steppe et la taïga, et au total plutôt roboratif".
Enfin, en septembre 2015, je tombe sur "Immortelle randonnée".
À suivre...
07:30 Publié dans Écrivains, Littérature, Livre, Ruffin Jean-Christophe | Lien permanent | Commentaires (0)
30/09/2015
Peter Sloterdijk "La communication s'est substituée à la transmission"
Peter Sloterdijk, né en 1947, est le recteur, iconoclaste, de l'Université de Karlsruhe (pour ceux qui ne jurent que par Harvard et Berkeley et ignorent donc notre voisin allemand, disons que Karlsruhe est la capitale du Land de Bade-Würtemberg, qui longe notre Alsace, ville universitaire, siège du Conseil constitutionnel et d'EnBW, l'EDF locale). Il est l'auteur d'une trilogie "Sphères" (Pluriel) et d'un journal "Des lignes et des jours - notes 2008-2011" (Libella, 2014).
Interrogé par Marianne le 18 juillet 2014 (oui, j'ai un peu de retard de lecture…), voici ce qu'il répond à la question "La transmission est-elle encore possible ?" :
"On se demande si les éducateurs ont vraiment quelque chose à transmettre. Pour transmettre, il faut vouloir être un médium, être un véhicule, le véhicule d'un message. Qu'est-ce que vous voulez faire avec un enseignant sans message ? Les enseignants n'en sont plus, au sens propre. Ce sont tout au plus des coachs, qui font passer un savoir-faire, un code de conduite. La communication s'est substituée à la transmission.
Le Gymnasium (le lycée en Allemagne) est dans un état pitoyable : on y a éliminé l'apprentissage des langues anciennes et de la musique (NDLR : ah bon, eux aussi ?). L'enseignement n'est plus un contre-monde avec une fonction transcendante mais un outil de banalisation. Les jeunes arrivent dans les grandes écoles dans un état de formation plutôt lamentable et la lecture classique, qui était le médium formateur, est en voie d'extinction.
La lecture elle-même est dans une phase de métamorphose, entre écran et page. Il n'y a pas si longtemps, pour accéder au savoir, le sujet cultivé devait en passer par de longs détours. À présent, en un clic, on accède immédiatement à ce que l'on cherche. Nous sommes passés de la culture de l'inhibition à celle de l'impatience…".
Je ne vous dis rien du reste de l'entretien car je n'y ai rien compris.
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Sloterdijk Peter | Lien permanent | Commentaires (0)
29/09/2015
Halte aux attaques sournoises contre le français
Mon billet est motivé par la parution, dans le "Valeurs actuelles" du 27 août 2015, d'un dossier intitulé "Halte au massacre du français".
Vous constaterez que je n'ai pas repris son titre car je le considère comme inutilement "guerrier" ; d'ailleurs, il ne s'agit pas, selon moi, d'une attaque généralisée, consciente, meurtrière, contre notre langue ; pas de complot dans cette affaire ! Mais, comme je l'ai dit de nombreuses fois déjà, de la conjonction du snobisme, de la paresse, de l'autodénigrement, de la soumission à un modèle autre, qui conduit à abandonner le français à son sort et à le laisser s'appauvrir partout (à l'école, dans les médias et… dans nos conversations et dans nos textos).
Au demeurant, par rapport à ce qui a déjà été écrit dans ce blogue et que mes lecteurs connaissent bien, peu de choses nouvelles dans le dossier de "Valeurs actuelles".
Il confirme que, en plus du niveau calamiteux des élèves en grammaire et orthographe, il faut maintenant déplorer les faiblesses de nombre de leurs enseignants dans les mêmes disciplines (Source : correction des copies des candidats à la session 2014 du concours des professeurs des écoles, commentaires des jurys de Lille et de Grenoble). Ceci explique cela : si l'instituteur fait des fautes de français, y compris à l'écrit en corrigeant les copies, comment espérer que ses élèves soient irréprochables ?
Concernant les élèves, une enquête de l'Éducation nationale sur l'évolution des acquis en début de CE2 entre 1999 et 2013 conclut qu'il y a "plus de mauvais élèves et moins de bons"… Et la même dictée (d'une dizaine de lignes) proposée à vingt ans de distance occasionne plus de quinze fautes pour 46 % des élèves en 2007 (au lieu de 26 % en 1987) ! Une autre étude dénonce la prolifération des fautes d'accord et de conjugaison, qui prouve que les élèves ne maîtrisent pas la logique de la langue française, même quand c'est leur langue maternelle. Mis en cause unanimement : les "pédagogistes" qui, en particulier au Ministère, s'opposent à toute réforme visant à rétablir un enseignement efficace. La formation des enseignants est en question.
Gag supplémentaire, des extraits d'un discours de la Ministre qui comportent des fautes (accord de l'adjectif, accord de "tout", dont j'ai souvent parlé dans ce blogue. J'en profite pour inviter la délicieuse Najat à un cours de rattrapage).
Un encart s'insurge de la boulimie et de la complaisance des dictionnaires qui, chaque année, engrangent et légitiment de nouveaux mots et expressions (selfies, hashtag, lol et bien d'autres…). C'est bien de s'insurger mais c'est oublier que les dictionnaires sont des entreprises commerciales et non des services publics et qu'ils visent à être des éponges et non pas à normaliser ni à rationaliser ni à préserver la langue.
L'article dénonce, c'est maintenant bien connu, les instructions qui incitent les correcteurs du bac à mettre au moins 8/20 à tous les candidats, de façon à maximiser le pourcentage de reçus. Si les correcteurs notaient "au barème", le taux de réussite s'effondrerait à 25 ou 30 %, au lieu des 87,8 % démagogiques de cette année.
L'article de l'excellente Natacha Polony est excellent, comme d'habitude ; pas besoin d'y revenir, mes lecteurs ont été abreuvés de ses idées dans ce blogue, idées que je partage. "Notre langue est en train de se vider de sa substance…".
Autre éclairage, déjà utilisé dans ce blogue : les entreprises, elles, ne s'accommodent pas de ce niveau calamiteux car la forme d'expression de ses salariés peut nuire à son image. C'est donc maintenant un frein à l'embauche, et la remise à niveau à travers la formation professionnelle se développe.
Dernier article, de Philippe Barthelet, que mes lecteurs connaissent : "Le français tel qu'on le déparle". "Un mal plus général et plus profond, plus inquiétant aussi : l'incapacité où nous sommes désormais de parler français, d'employer une langue simple, claire et précise, où un chat s'appelle un chat et où, quand on veut dire qu'il pleut, on dit tout bonnement qu'il pleut". Et de dénoncer aussi cette mode, liée au franglais, d'employer des mots dans un faux sens : "académique" au lieu de "universitaire", "cursus académique" au lieu de "liste des diplômes", "campus" au lieu de "université", "versus" au lieu de "contre", "intriguant" au lieu de "curieux"… Et il conclut sur "la mode des substituts adéquats plus sortables, qui n'offensent plus l'unanimisme des grands principes et des bons sentiments, qui est notre nouvelle religion d'État".